Syndicats : Se bagarrer pour rester «  l’interlocuteur incontournable  »  ?




Alors que les syndicats jaunes gagnent du terrain, les syndicats réformistes pourraient être tentés d’imiter leur attitude conciliante. Ils n’ont en fait pas d’autre choix que de démontrer leur capacité de nuisance.

Durant les batailles de 2016-2017, la position des confédérations jaunes (CFDT, Unsa, CFTC) a, bien entendu, pesé lourdement contre l’éventuel élargissement. D’abord en donnant du crédit aux « réformes », auprès des salariés. Et si des militants et militantes prenaient leurs distances avec l’enthousiasme de leurs porte-paroles nationaux, bien peu d’équipes locales ou fédérales auront osé les contredire et s’engager dans les mobilisations.

La CFDT. Il faut ici mesurer que la CFDT a pris la place de FO comme « syndicat maison » dans bien des secteurs, ce qui explique, pour une part, son succès aux élections dans le privé. Néanmoins, le vote des salarié.es pour la CFDT témoigne aussi d’une adhésion réelle à un syndicalisme « réaliste ». Un important travail de syndicalisation, mené depuis plus de vingt-cinq ans, explique aussi la place prise par la CFDT. Si ceci s’est fait sur des bases que nous contestons, voire que nous combattons parfois, il n’en reste pas moins que la construction d’un syndicalisme de masse ne peut nous laisser indifférent.

Paradoxalement, les syndicalistes révolutionnaires ont à regarder de ce côté-là. Il s’agit de critiquer les expériences passées, mais tout en reprenant les éléments positifs : par exemple, la volonté collective de prioriser l’implantation dans des secteurs peu syndiqué.es en employant des moyens humains et financiers issus de secteurs encore forts. Reconnaître le poids de la CFDT aujourd’hui, ne signifie pas qu’il faut s’en accommoder ; au contraire, il s’agit de combattre cette évolution en comprenant qu’elle n’a rien d’inéluctable.

Force ouvrière. Voyant la CFDT grignoter son terrain, et ne tirant guère avantage de la posture combative de 2016, la direction de FO a fait volte-face en 2017, en capitulant devant la loi Travail XXL. Ce changement d’attitude de FO a également pesé. Même mis en minorité par son comité confédéral national, Jean-Claude Mailly aura largement réussi à désarmer ses troupes sans qu’il semble que l’épisode ouvre une crise dans cette confédération.

La CGT. Contrairement à 2010 où la direction CGT s’était délibérément mise en travers de la recherche d’une grève générale, alors que le mouvement était massif, Philippe Martinez, qui prenait les rênes de la confédération lors d’un congrès en pleine sé­quence contre El Khomri a affiché une attitude plus combative, acceptant la nécessité de mettre la grève générale en débat dans les entreprises. Le débat sur l’interpré­tation de ce changement n’est pas clos  : réel tournant à gauche ou simple posture  ? Et si tournant « à gauche », encore faudrait-il aborder le rapport à l’unité qui est loin d’être neutre.

En tous cas, bien peu de secteurs ont réellement « mis la grève générale en débat » et moins encore ont réussi à la réaliser ! Se contenter d’accuser la direction confédérale serait ne pas comprendre qu’une large partie des directions syndicales intermédiaires et d’entreprises ne se sont pas mobilisées à la hauteur des enjeux. C’est pourquoi, si nous reprochons à la direction confédérale CGT de n’avoir pas clairement appelé à une grève générale reconductible, ou à tout le moins à plusieurs jours de grève consécutifs pour tenter d’amorcer la pompe, nous doutons de l’impact qu’aurait eu, dans ce contexte, un appel clair.

L’Union syndicale Solidaires, malgré une position nationale plus offensive et volontaire, n’a pas non plus démontré une capacité à enclencher un mouvement significatif dans quelque secteur que ce soit, au contraire de ce qu’on a pu connaître lors de séquences similaires ces dernières années. Elle a représenté cela dit un outil intéressant, faisant dans une certaine mesure le lien entre les différentes composantes et problématiques du mouvement social en cours (intersyndicale, Nuits debout, lutte contre les violences policières...). 

La FSU, frappée de plein fouet par le basculement générationnel, est restée globalement en retrait sur des sujets où ses syndiqué.es ne se sentaient pas toujours directement concerné.es.

La CNT-SO mène des luttes importantes dans quelques secteurs et localités, mais cela ne s’est pas traduit par des mouvements reconductibles. La faiblesse de la CNT ne lui permet pas de peser sur l’entrée en grève reconductible de quelque secteur que ce soit.

Pour que le tableau soit complet, remarquons que la CGC, dont les positions oscillent entre la servilité des cadres dirigeants et le mécontentement qui peut émaner des ingénieurs de production, peut tenir des discours variables… Mais cette organisation reste marginale en termes de rapport de forces.

Le patronat n’a pas de doctrine unifiée

Il reste une interrogation sur l’attitude qu’aurait pris Martinez et la direction confédérale CGT face à une généralisation qui serait partie de la base. La réponse est difficile à donner. Mais il est possible d’affirmer que les bureaucrates jaunes et les bureaucrates réformistes jouent aujourd’hui dans deux registres bien différents pour être l’« interlocuteur incontournable », ce qui est le rêve de toute bureaucratie syndicale depuis l’entreprise jusqu’au plan national.

La fonction reconnue par la bourgeoisie au bloc jaune CFDT-CFTC-Unsa est d’éviter que des grèves ne se déclenchent. Ils sont largement gra­tifiés par le patronat et par le gouvernement pour ce rôle. Il semble que FO cherche à revenir dans la course à ­cette reconnaissance.

Cependant le macronisme marque une étape nouvelle dans la « refondation sociale » voulue par une partie du patronat et des tenants d’un renouveau du management. Dans la logique de liquidation des « corps intermédiaires », le syndicalisme institutionnel n’occupe qu’une place résiduelle ; il est même perçu comme inutile, voire comme un frein. La vocation du syndicalisme d’accompagnement à paraître codécider s’en trouve ruinée, ce qui explique la colère de la CFDT, privée des mesures sur le mandatement qui lui tenait à coeur dans les ordonnances 2017. Le futur comité social et économique (CSE), issu de la fusion des institutions représentatives du personnel (DP, CE, CHSCT) peut conduire à une autoliquidation des syndicats en échange de mesures de cogestion partielle. Cela va dans le sens d’une intégration non plus seulement des cadres syndicaux mais des salarié.es eux-mêmes.

A contrario, le rapport sur l’entreprise demandé à Nicole Notat (ex-dirigeante de la CFDT) et à Jean-Dominique Sénard (patron de Michelin) pourrait déboucher sur une place renforcée pour les représentants syndicaux dans les conseils d’administration des entreprises. La bourgeoisie n’a pas de doctrine unique sur la meilleure méthode pour effacer la conscience de classe.

La CGT – et dans une moindre mesure la FSU – seraient alors l’ultime recours des patrons pour trouver les compromis et faire cesser la grève si elle démarre malgré tout.

Quant à ­l’Union syndicale Solidaires, n’ayant pas eu l’occasion de tenir ce rôle au plan national, il est impossible de jurer qu’elle tiendrait bon en tant qu’outil national interprofessionnel, pour transformer une grève générale en épisode révolutionnaire.

Coordination fédérale d’AL, janvier 2018


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