Tunisie : La révolution n’est pas finie




La chute de Ben Ali a surpris tout le monde tant son emprise sur la Tunisie était totale. Arrivé au pouvoir en 1987 à la suite d’une révolution de palais, il prend le chemin de l’exil vingt-trois ans après, renversé par une révolte populaire. En un mois la Tunisie est entrée dans un processus révolutionnaire à l’avenir incertain.

Plusieurs coups de semonce ont eu lieu au cours des deux dernières années : en janvier 2008 commençait la longue révolte du bassin minier de Gafsa contre la corruption et le chômage, en février 2010 de jeunes diplômé-e-s de Skhira manifestaient contre le chômage, en août les commerçants et les jeunes de Ben Gherdane se révoltaient une semaine durant contre la fermeture de la frontière avec la Libye voisine.

Chaque fois les violences policières s’abattent sur ces mouvements pacifiques, des centaines de personnes sont arrêtées, battues et souvent torturées. Rien ne semblait pouvoir ébranler le pouvoir du dictateur jusqu’au 17 décembre 2010. Ce jour là, à Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi jeune marchand ambulant de 26 ans s’est immolé en public pour protester contre la misère et l’oppression. L’émotion suscitée par son suicide entraîne des manifestations dans la ville, comme d’habitude réprimées par la police. Cette fois-ci la révolte ne reste pas isolée, en quelques jours elle se répand spontanément dans les villes voisines, puis dans les régions les plus déshéritées, pour finalement embraser tout le pays.

Une répression contre-productive

Le régime a répondu par une répression féroce : passages à tabac arrestations de masse, viols, tirs à balles réelles qui ont fait au moins une soixantaine de morts. Mais à la différence du passé, elle a été contre-productive. Pacifiques au départ, les manifestations se sont transformées en affrontements de plus en plus violents prenant pour cible les symboles du pouvoir : les sièges des gouvernorats, les locaux du parti présidentiel le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), les commissariats et les voitures de police. Les enterrements des manifestantes et manifestants tués par la police sont devenus des actes d’oppositions eux aussi réprimés dans le sang, provoquant l’indignation et radicalisant un nombre toujours plus important de personnes. La répression a aussi pesé sur le contenu politique de la révolte, ce qui était au début un mouvement social contre le chômage de masse s’est transformé en lutte généralisée contre la dictature.

De plus en plus inquiet de la tournure des événements, Ben Ali a lâché du lest pour faire retomber la pression. Ses concessions ont eu l’effet inverse au but recherché, en montrant que par la lutte on pouvait arracher toujours plus. Le 10 janvier, il promet la création de 300 000 emplois, le lendemain les affrontements touchent Tunis et les villes côtières et touristiques. Ce qui l’amène à faire de nouvelles concessions : le 12 il limoge le ministre de l’Intérieur, le 13 il annonce qu’il ne se représentera pas aux prochaines présidentielles, qu’il garantit la liberté d’information et que les prix vont baisser. Ce n’est plus suffisant pour la rue qui exige son départ. Dans une dernière tentative l’après-midi du 14 janvier, il licencie le gouvernement et convoque des élections. C’est trop tard, au même moment des insurgés mettent à sacs les luxueuses villas de membres de son cercle rapproché. Quelques heures après il s’envole vers l’exil, lâché par ses grands amis français il est accueilli par la dictature saoudienne.

Un processus révolutionnaire

Les choses auraient pu en rester là, les gens rentrer chez eux et attendre la suite des évènements devant la télé. Cela n’a pas été le cas, le pays est entré dans un processus révolutionnaire, certes très fragile mais au potentiel prometteur. Les premiers jours de l’après Ben Ali, la mobilisation s’est poursuivie avec deux objectif immédiats.

Il faut d’abord repousser la contre-attaque désespérée du noyau dur benaliste, car des bandes armées liées à ce groupe multiplient les attaques, à certains endroits la police ne fait rien pour mettre fin aux pillages, alors qu’elle matraque toujours les manifestantes et manifestants. La population interprète ces faits comme une manœuvre des ultras visant à créer le chaos pour obliger l’armée à prendre les choses en main, et briser ainsi l’élan de la révolution dans l’espoir d’une future restauration. En réponse elle organise dans les quartiers des groupes d’auto-défense et force le gouvernement à emprisonner les proches de Ben Ali qui n’ont pas pu fuir le pays.

Ensuite, si la rue s’est débarrassée du dictateur, il reste à renverser la dictature. Il est évident que la nomenklatura du RCD ne renoncera pas facilement à ses privilèges. Le remplacement de Ben Ali par son premier ministre Mohammed Gannouchi, fait craindre une répétition du 7 novembre 1987 [1]. L’indignation populaire l’oblige à céder la présidence à Foued Mebazaa, un autre apparatchik du RCD. La constitution du gouvernement d’union nationale le 17 janvier est elle aussi inquiétante : les ministres RCD de Ben Ali gardent huit ministères dont les postes clés (la Défense, l’Intérieur, les Finances, les Affaires étrangères), trois chefs de partis d’opposition et des représentants de la « société civile » n’obtiennent que des miettes. Les protestations se multiplient, sous la pression de la base les trois représentants de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) se retirent du gouvernement de transition. La tentative du RCD pour se maintenir au pouvoir est mal partie.

Vers une redistribution des richesses ?

De nombreuses incertitudes planent sur la dynamique révolutionnaire : la capacité de résistance du RCD, l’attitude de l’armée, les tentatives des politiciens qui ont pris le train en marche pour confisquer la révolution à leur profit, les probables ingérences des puissances impérialistes et des dictatures voisines l’Algérie et la Libye.

Mais la révolution n’est pas finie, car les problèmes qui ont fait descendre les Tunisiennes et Tunisiens dans la rue sont toujours là : pauvreté, chômage, corruption, etc. Pour les régler, il ne suffit pas que le gouvernement soit remplacé par un autre, il faut une vraie redistribution des richesses et un vrai contrôle populaire de l’économie.

Hervé (AL Marseille)

[1Ben Ali jusqu’alors premier ministre renversait celui qui l’avait nommé à ce poste, le vieil autocrate Habib Bourguiba. En prenant le pouvoir il promettait de démocratiser le pays, finalement son régime fut pire que celui de son prédécesseur.

 
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