11e congrès d’AL (Toulouse, 2012)

Motion d’orientation générale




L’ aggravation de la crise, qu’Alternative libertaire a déjà analysée, pourrait se décliner politiquement de multiples manières : des tensions nationalistes pourraient conduire à l’implosion d’États (option crédible en Belgique) ou à l’émergence de régimes ultra-conservateurs comme en Hongrie, des technocraties pourraient se substituer aux partis traditionnels comme en Italie, des gouvernements de gauche réformistes (type Front de gauche en France ou Syriza en Grèce) pourraient parvenir au pouvoir, rompre avec la logique libérale et relancer l’économie capitaliste grâce à quelques nationalisations et augmentations de salaires, la zone euro pourrait exploser, ou bien... après un saignement à blanc du prolétariat européen, les attaques spéculatives pourraient s’arrêter et l’économie capitaliste pourrait reprendre son cours. Enfin, le capitalisme pourrait une fois de plus, déclencher des conflits armés pour sortir du marasme et faire taire la contestation sociale.

Ces scénarios seront de toutes façon compliqués par la montée d’une crise écologique : le réchauffement climatique, l’appauvrissement de la biodiversité, les dérives de l’agro-industrie pourraient, plus rapidement que ce que l’on ne peut l’imaginer, se traduire par des crises alimentaires, en particulier dans les pays du sud, mas pas seulement.

Aucune de ces options n’est à exclure et il faut se garder de tout mécanisme. Il est en réalité impossible de savoir aujourd’hui quelle sera l’issue de cette crise, car ce qui sera déterminant en dernier ressort, ce sera la résistance des travailleurs et des travailleuses aux cures d’austérité. De ce point de vue, les résistances passées ou en cours induisent de premières réflexions.

La Grèce, laboratoire de l’austérité

La Grèce a été le pays le plus durement touché par la crise. Les luttes s’y sont rapidement multipliées en réaction aux plans d’austérité, ponctuées par des journées de grève générale très suivies. Cela a entrainé une grande instabilité politique, mais n’a nullement arrêté l’austérité. Certains travailleurs et travailleuses parmi les plus radicalisées ont tenté de sortir de la posture défensive, en reprenant en autogestion un hôpital, un journal, ou en tentant d’attaquer le parlement grec, sans être suivis massivement dans cette démarche. Depuis, la résignation et la déprime s’installent.

L’éventail des forces anticapitalistes est large en Grèce avec une présence importante d’anarchistes plus ou moins fédéré-es qui sont bien implantés notamment à Athènes. Il apparaît que la stratégie insurrectionnelle qui a pu se développer depuis le début des politiques d’austérité n’est pas suffisante ni efficace pour se transformer en véritable alternative. Cette réalité est accentuée par l’absence d’un projet de société alternatif porté collectivement.

Les excellents scores électoraux réalisés par la coalition Syriza ont rendu crédible l’accession au pouvoir d’un gouvernement rompant avec la logique libérale des cures d’austérité. La nature a horreur du vide et le discrédit jeté sur le Pasok (parti socialiste grec) a créé un espace que Syriza a su occuper en donnant corps aux attentes des classes populaires grecques. Pour autant, le projet politique de Syriza est loin du projet de rupture qu’on lui attribue, à droite comme à gauche, en France. L’annulation pure et simple de la dette publique de l’État grec a été ainsi remplacée par une renégociation de celle-ci, afin d’éviter la rupture avec l’Union européenne. La priorité restait donc bien pour Syriza de sortir de la crise via des voies « réalistes », plutôt que de s’engager sur la voie d’une sortie du capitalisme, par exemple en encourageant la reprise en main des entreprises par les salarié-es et en popularisant des mots d’ordre de rupture, bref en encourageant l’initiative populaire.

Ce premier bilan, même s’il est transitoire et que rien n’est joué, impose deux conclusions. D’abord, sans projet politique alternatif tangible porté par des forces sociales et incarné dans des expériences réelles et des solidarités concrètes, il peut y avoir de nombreuses luttes, leur portée reste limitée. Et les luttes ne génèrent pas d’elles-mêmes ce projet alternatif, contrairement à ce qu’Alternative libertaire pu sous-entendre par le passé [1]. Bien sûr, la généralisation de luttes donne plus d’échos aux projets alternatifs, mais pour qu’il y ait écho, encore faut-il qu’il y ait un cri de ralliement. Le rôle de l’organisation politique est précisément de construire des résistances, mais aussi de les radicaliser autour de revendications unifiantes, de mots d’ordre de rupture et d’un projet de société alternatif.

Cela ramène à la situation grecque. Ce pays connait une des meilleures implantations anticapitalistes d’Europe. Pourtant aucun projet alternatif n’émerge, la gauche anticapitaliste est incapable d’agir ou de s’exprimer dans l’unité. La question n’est pas ici de savoir si les camarades grec-ques pourraient faire différemment, mais plutôt de savoir si on peut éviter une telle situation en France. Si les luttes se généralisent, ça ne sera pas le moment de se contenter de tirer la couverture à soi, il faudra également agir dans l’unité pour organiser la résistance et faire émerger un projet de société alternatif au capitalisme. Le Front anticapitaliste proposé par Alternative libertaire prendrait alors tout son sens tandis que l’idée d’autogestion, qu’Alternative libertaire essaie de remettre au cœur du débat politique à la « gauche de la gauche », pourrait trouver de multiples traductions concrètes.

La montée des nationalismes en Europe

La crise économique et sociale a provoqué un certain nombre de bouleversements dans de nombreux pays, faisant évoluer les lignes de forces politiques. Si l’on ne peut que se réjouir du dynamisme des luttes qui se sont déroulées au cours de cette période, on ne peut que s’inquiéter quand celles-ci ne parviennent pas, pour les raisons évoquées plus haut, à renverser l’ordre des choses. C’est aussi à partir de cette impuissance que progressent les groupes d’extrême droite dans de nombreux pays. Les dernières élections grecques ont ainsi été l’occasion d’une percée à 6% pour l’organisation néonazie l’Aube dorée. De même, en France le Front national a considérablement augmenté son audience électorale. Les résultats du premier tour de la présidentielle ont en effet confirmé une poussée de l’extrême droite. Ce vote est aujourd’hui solidement ancré dans des milieux sociaux et professionnels spécifiques et constitue plus qu’un simple "vote de contestation". En effet les thématiques portées par l’extrême droite, qui a su s’adapter à la situation de crise en mâtinant ses discours de "social", ont progressé dans les consciences et cela même au-delà de l’électorat FN. Ajoutons la progression inquiétante d’une extrême droite "extra-institutionnelle" qui montre que la progression de ces forces politiques est incontestable. La crise économique et sociale n’a fait qu’accroitre les éléments sur lesquels s’appuie l’extrême droite : isolement social, violences, etc. Si une action antifasciste peut être menée spécifiquement, il ne faut pas oublier que le véritable frein à cette lame de fond sera le développement d’une solidarité de classe. Solidarité de classe qui passe par le renforcement, la constitution d’organisation de masse sur les lieux de travail, d’études et de vie. Plus cette dernière recule et plus l’extrême droite progresse et plus une solidarité concrète, visible existera moins l’extrême droite aura de crédibilité.

En Hongrie c’est un gouvernement de droite qui applique un programme xénophobe flirtant avec la dictature. Les projets et traditions politiques des formations d’extrême-droite sont très variés, allant du populisme islamophobe comme en Scandinavie au fascisme ouvertement revendiqué comme en Grèce. Il faut continuer à développer des solidarités concrètes au niveau international, un des remèdes incontournables contre les replis xénophobes et nationalistes.

Une crise écologique régressive

Trop souvent les luttes sociales et de défense de l’emploi s’organisent de fait autour d’une réponse de type productiviste aux difficultés sociales. La lutte écologique est sacrifiée sur l’autel de l’urgence et de la lutte sociale. Or des victoires durables pour les luttes écologiques passent par la nécessaire remise en cause de l’organisation et de la nature de la production ainsi que du système économique d’échange en cours.

Pour Alternative Libertaire la réponse à cette contradiction passe par une interpénétration des préoccupations des luttes écologiques et des luttes sociales. Il s’agit d’une orientation fondamentale d’Alternative Libertaire pour les années à venir.

L’actualité de la révolution à travers le « printemps arabe »

Les révoltes populaires qui ont éclaté au Maghreb en réaction à la vie chère et au chômage se sont rapidement transformées en véritables révolutions du fait de l’intransigeance des dictateurs en place et de l’aspiration des populations, notamment des jeunes, au changement démocratique et social. La preuve est là : lorsque les classes populaires font massivement irruption dans la vie politique, rien ne peut les arrêter. Ces révolutions doivent donc susciter une attention particulière, d’autant qu’une partie importante de la population française, notamment immigrée, s’y intéresse.

Si le renversement des dictatures a été l’objectif commun des manifestants et des manifestantes, de nombreuses autres revendications ont émergé au cours des grèves et des occupations de places qui ont secoué notamment la Tunisie et l’Égypte, et ces pays sont encore traversés par de nombreux conflits sociaux. A l’issue des premières élections démocratiques dans ces pays, des formations islamistes ont accédé au pouvoir. Comprendre les processus en cours demande de savoir distinguer les différents partis islamistes impliqués : les salafistes, Ennahdha en Tunisie ou les Frères musulmans, eux-mêmes fortement divisés en leur sein, ne sont pas équivalents, que ça soit dans leur rapport aux impérialismes occidentaux, leur volonté d’imposer l’islam comme mode de vie universel ou la répression des mouvements sociaux.

Une chose est néanmoins sûre : ces organisations sont les meilleurs remparts aux revendications sociales exprimées par les jeunes et les salarié-es, et les élections présidentielles égyptiennes, qui ont placé au deuxième tour le candidat des militaires et le candidat des Frères musulmans, sont révélatrices des combats qu’il reste à mener pour que les révolutions arabes ne s’achèvent pas dans le retour à l’ordre. La constitution de pôles politiques et syndicaux relayant des revendications sociales indépendamment des institutions, en capacité de résister physiquement si nécessaire aux militaires et aux islamistes radicaux, va donc être l’enjeu des années à venir. Il faut donc observer, soutenir et relayer le développement de tels pôles et travailler de concert avec des organisations immigrées ou de soutien aux pays du Sud.

Dans plusieurs pays du Maghreb, de véritables organisations communistes libertaires sont en train de s’organiser, en particulier en Egypte, en Tunisie et au Maroc. Il s’agit d’un élément important pour le combat révolutionnaire et en particulier pour sa dimension internationaliste. Au delà du soutien politique habituel, cette situation appelle une solidarité spécifique, visant à mobiliser le réseau Anarkismo pour qu’il aide de façon importante au financement de ces organisations, en particulier si elles ont besoin de moyen de communication, d’impression… Alternative libertaire, au travers de sa commission internationale, s’adressera dans ce sens aux organisations d’Anarkismo, tout en se rapprochant des organisations communistes libertaires du Maghreb pour connaître leurs besoins.

La capacité d’intervention des impérialismes américains et européens a été réduite ces dernières années suite à la crise et à l’émergence d’autres impérialismes, chinois en premier lieu. Ils ont donc essayé de reprendre la main en Libye, en apportant un soutien militaire aérien à une des organisations anti-Kadhafi, le Conseil national de transition. Alternative libertaire a alors clairement dénoncé les motivations réelles de cette intervention et les risques d’une escalade. Cette position était juste, même si elle avait sans doute surestimé ce risque. A défaut d’un réseau international constitué, il faut se garder dans de telles situations de se positionner sur des éléments sur lesquels on n’a aucune prise, vis à vis de groupuscules (par exemple, l’armement de rebelles), pour privilégier des grilles de lectures (motivations des impérialismes étrangers, nature des organisations sur place etc.). Enfin, ces tensions impérialistes pourraient rendre pressante la nécessité de réactiver d’un mouvement anti-guerre large.

Les Indigné-es : un modèle importable en France ?

Dans plusieurs pays d’Europe occidentale et aux États-Unis, la crise a entrainé un renouvellement générationnel de la contestation sociale avec le mouvement des Indigné-es, particulièrement massif en Espagne, aux États-Unis ou encore en Israël. Exigeant au départ une « démocratie réelle » tout à fait compatible avec le capitalisme, il s’est progressivement radicalisé pour appeler à l’occupation de places publiques par les « 99% contre les 1% », slogan certes réducteur mais néanmoins « de classe ». Ces mouvements ont réussi à prendre de l’ampleur quand ils ont tissé des liens avec le mouvement social traditionnel (syndicats, associations de mal-logés, de précaires), démontrant une fois de plus que celui-ci est incontournable. En France, les Indigné-es se sont au contraire réclamés d’un apolitisme et d’un asyndicalisme totaux, voire d’un certain confusionnisme avec la reprise de certaines thématiques conspirationnistes ou d’extrême droite. Force est de constater que ça n’a pas pris.

Les 99% ont rebondi fin 2011 aux États-Unis et en Espagne en intervenant sur le front du logement. Il n’est pas sûr que ce rebond gagne la France, mais si c’est le cas Alternative libertaire devra y intervenir sans a priori, en argumentant notamment sur la nécessité de tisser des liens avec le mouvement social, et réciproquement.

La montée des tensions en Inde et en Chine

Enfin, l’évolution de la crise dépendra également en bonne partie de ce qui se passe dans pays émergents les plus compétitifs. Les BRICS [2] entendent bien concrétiser l’affaiblissement de l’impérialisme américain au sein des institutions internationales, notamment par la remise en cause de l’hégémonie du dollar. Pour autant, leur économie dépend encore en grande partie des marchés des États-Unis et de l’Union européenne et la Chine semble d’ores et déjà aller au devant d’un net ralentissement de sa croissance.

D’autre part, l’indépendance économique et énergétique de l’Inde et de la Chine passe par un alignement sur les politiques impérialistes occidentales avec des conflits importants en perspectives. Il faut rappeler que ces politiques de développement ne visent pas seulement à assurer des infrastructures aux populations mais surtout à garantir la croissance des profits des capitalistes, ce qui aboutira aux mêmes conséquences que dans le monde occidental, c’est à dire une crise sociale doublée d’une crise écologique sans précédent. La transition vers une démocratie libérale se fera donc dans un contexte tendu avec possibilité de renversement des oligarchies en places. Les régimes chinois et indiens, très différents par leur nature, marchent ainsi actuellement sur des œufs, en particulier face aux vagues de grèves consécutives à la crise économiques mais également face aux manifestations contre les industries polluantes. Il s’agit d’un réveil social et écologique majeur. Ces conflits titanesques pourraient entraîner des changements politiques, écologique et économiques très importants dans ces pays et au-delà. Il faut donc les analyser plus attentivement, notamment dans la presse d’Alternative libertaire.

La nécessité d’un pôle communiste libertaire international

Alternative libertaire a acté depuis plusieurs années le regroupement de son courant à l’échelle internationale, ce qui a donné lieu dernièrement à une implication accrue au sein d’Anarkismo. Et en même temps, des courants politiques de tradition libertaire émergent ailleurs dans le monde, notamment en Europe, en Amérique latine et en Amérique du Nord. Ils déduisent, comme Alternative libertaire, de leur intervention dans le mouvement social la nécessité de dépasser (sans les renier) les références politiques du passé pour construire un socialisme anti-autoritaire du XXIe siècle.

La mondialisation de l’économie et donc de la crise actuelle, ainsi que la nécessité de développer les luttes à l’échelle internationale, doivent inciter à renforcer toujours plus une expression politique communiste libertaire internationale, en particulier via Anarkismo. Le secrétariat international est mandaté pour suivre l’investissement d’Alternative libertaire dans Anarkismo et y encourager des rencontres continentales et internationales, des échanges entre organisations (presse, invitations, soutiens) et des expressions communes (communiqués de presse mais aussi tracts et affiches quand l’occasion se présente).

En France : sortir de l’attentisme

Une population majoritairement attentiste mais de nombreuses luttes

Le Xe congrès d’Alternative libertaire s’était tenu en plein pendant le mouvement social de 2010 contre la réforme des retraites. Depuis cette défaite, la majorité du salariat français s’est tenue dans une position attentiste. Les élections de 2012 ont conduit le gouvernement à différer l’essentiel de l’austérité et les exploité-es à attendre un changement de majorité électorale qui ralentirait la pluie de coups durs. La France n’a donc pas encore pleinement ressenti les effets de la crise et c’est plutôt la peur de celle-ci qui a structurée le débat électoral.

Cependant, de nombreuses luttes se sont développées, le patronat et les grandes administrations publiques ayant profité sans attendre de la crise pour entamer des restructurations, et cela sur tous les fronts : contre les licenciements, contre la casse des services publiques, contre l’extrême droite etc. Une description exhaustive serait inutile ici – voir le bilan d’activité d’Alternative libertaire et les nombreux articles publiés dans le mensuel Alternative libertaire. Le problème n’est donc pas tant l’absence de luttes mais plutôt leur dispersion, leur manque de visibilité, parfois leur faiblesse, et l’absence de projet politique à même de faire apercevoir la possibilité d’une autre société et les moyens pour y parvenir.

Syndicalisme : changer la donne

Le paysage syndical a quelque peu évolué depuis l’échec du mouvement des retraites à l’automne 2010 : l’unité de l’intersyndicale a volé progressivement en éclat, le pôle réformiste authentique ou d’accompagnement ou apolitique/corporatiste (Unsa, CFTC, CFDT, CGC, FO...) a progressé aux élections de la fonction publique en 2011.

Pour autant, le syndicalisme de lutte de classe s’est maintenu, a progressé par endroits et reste présent à divers échelons et secteurs dans la CGT et dans une moindre mesure dans la FSU. Il est revendiqué en tant que tel par Solidaires et la CNT. Dans le secteur privé et dans certains secteurs de la fonction publique, la plupart des luttes menées l’ont été à l’initiative de la CGT, de la FSU et de Solidaires. Mais ce syndicalisme reste globalement minoritaire et n’est pas en capacité de constituer un danger pour l’État et la bourgeoisie, ainsi que les bureaucraties syndicales qui les accompagnent, chacune à leur manière.

Cette situation, paradoxale en apparence, s’explique par la poursuite de la crise du capitalisme et ses développements ultérieurs en termes de déstructuration/segmentation du prolétariat. Selon les professions et les cultures syndicales qui s’y sont développées, cela peut se traduire, soit par des avancées dans la capacité collective des travailleurs et des travailleuses à élaborer des réponses globales à la crise, soit au contraire par des réponses corporatistes défensives ou d’accompagnement du moindre mal, ce qui favorise la progression constante de l’Unsa, voire de FO et le maintien de la CFDT.

L’émiettement, la division et la concurrence des divers courants syndicalistes de luttes de classe rendent encore plus aléatoires leurs capacités à créer de véritables dynamiques de lutte. Il en est de même du manque de crédibilité et de visibilité pour les exploité-es d’un projet alternatif au capitalisme.

L’unité des syndicalistes lutte de classe est déterminante pour changer les lignes de force actuellement favorable aux partisans d’un syndicalisme intégré peu ou prou au capitalisme et à ses rouages sociaux.

Cette unité devrait pouvoir se construire d’ores et déjà dans les professions et les territoires où les divers syndicats sont animés par des courants lutte de classe. Ailleurs, elle a plus de chances de s’établir lors de moments de luttes.

Le développement de Solidaires, des courants lutte de classe unitaire et d’alternative dans la CGT et la FSU, avec tous les militant-es révolutionnaires et anticapitalistes de ces organisations syndicales, apparait ainsi comme une priorité.

Ces tâches politiques n’ont rien à voir avec une volonté de constitution de fractions politiques qui agiraient masquées dans les syndicats (ce qu’Alternative libertaire combat). Elles n’ont de sens que lorsque, sur la base de leur militantisme de terrain et l’expression de leur sensibilité idéologique, les syndiqué-es attribuent démocratiquement et en toute transparence des responsabilités syndicales aux révolutionnaires. C’est devant eux et devant eux seuls que ces derniers sont tenus de rendre des comptes et qu’ils et elles tiennent leur légitimité à s’exprimer sur la base de discussions les plus larges et démocratiques au sein des syndicats. Alternative libertaire tourne donc le dos à la fois au modèle de la fraction (clandestine) et de la tendance (formalisée), pour affirmer qu’il existe une alternative à ces deux types d’expression de courants divergents au sein d’un syndicalisme de masse et de classe. Par conséquent, les communistes libertaires ne cachent pas leurs idées et leurs pratiques. Ils et elles mènent la lutte dans le respect et le développement de la démocratie syndicale et pour la reconnaissance légitime de leur courant à être partie intégrante du mouvement des travailleurs et travailleuses organisés.

Cela signifie aussi que la visée autogestionnaire de ce syndicalisme ne doit pas se cantonner à la seule défense de l’auto-organisation des luttes et de la démocratie syndicale – même si sur ces deux points, la vigilance reste toujours de mise. Un projet syndical est à bâtir autour de l’autogestion, de la lutte des classes, de ce que l’on entend par « transformation sociale ». Il peut rencontrer l’intérêt de très nombreux syndicalistes.

D’autres courants qui sont aussi des lieux d’échanges et d’élaboration existent. La tendance intersyndicale Émancipation continue d’être actrice du champ syndical dans l’Éducation. Des démarches unitaires de base, qu’il faut promouvoir, peuvent aussi contribuer à ces échanges.

Solidaires a pris pour la première fois l’initiative d’appeler seul à une manifestation nationale le 24 mars 2012, affirmant ainsi l’existence d’un syndicalisme combatif et la nécessité de devancer le résultat des élections pour se battre, mais sans réussir à mobiliser au-delà des franges militantes. La capacité de cette organisation à impulser ponctuellement des mobilisations interprofessionnelles indépendamment des autres organisations syndicales va être déterminante pour son avenir.

Au plus près du terrain, c’est aussi l’avenir de cette organisation qui est en train de se jouer. Le développement de Solidaires locaux comme la progression de la syndicalisation dans le privé témoignent d’un cadre interprofessionnel de plus en plus affirmé. Dans les décennies 1990-2000, les communistes libertaires ont pris toute leur place dans la construction et l’animation de plusieurs fédérations ou syndicats nationaux SUD. Aujourd’hui, avec 100 000 adhérent-es, la question est bel et bien de changer d’échelle, de participer à la construction d’un syndicalisme alternatif de masse, qui parle à toutes et tous les salariés, précaires et privés d’emploi compris.

Ce syndicalisme alternatif, à l’œuvre également ailleurs en Europe (CGT-E en Espagne, Cobas en Italie…), peut-il être un « syndicalisme révolutionnaire contemporain », ouvrant des perspectives anticapitalistes pour des centaines de milliers de salarié-es, réhabilitant solidement la grève générale et l’action directe face aux politiques d’austérité ? C’est le pari que fait Alternative libertaire. S’inscrire dans cette dynamique c’est aller, en termes de contenus comme de pratiques, bien au delà du statut d’opposition syndicale qui peut encore exister dans les centrales bureaucratiques.

Au sein de la CGT, des militant-es communistes libertaires ont lancé en avril 2011 une expression publique au travers d’un blog intitulé Communistes libertaires de la CGT. Ces camarades ont rencontré un certain écho du fait de leur démarche d’alternative unitaire dans la CGT et au-delà, sans masquer leurs divergences quand il y a lieu avec les orientations globalement régulatrices et keynésiennes actées depuis 1995 dans les congrès confédéraux de la CGT.

Le développement de cette expression et de son impact dans la CGT comme de la volonté réelle de faire front avec les courants lutte de classe de la CGT, peuvent constituer à moyen terme un appui déterminant pour l’unité syndicale de lutte, interprofessionnelle et démocratique.

Sur les autres fronts : la nécessaire recréation d’organisations de masse

Du fait du déclin des mouvements sociaux comme Ras l’Front, AC ! ou le DAL dans les années 2000, Alternative libertaire a été amené à participer davantage à des « cartels d’organisations », nationaux ou locaux, sur plusieurs fronts, notamment l’antifascisme et l’antiracisme (UCIJ puis D’ailleurs nous sommes d’ici). Au sein des mouvements féministe et écologiste, c’est la bureaucratisation croissante des organisations de masse (respectivement le CNDF et Sortir du nucléaire) qui ont poussé Alternative libertaire à intervenir collectivement avec d’autres organisations politiques à l’intérieur ou à l’extérieur de ces associations. Les réseaux militants n’étant pas infinis, ces situations émergent naturellement de la coordination des organisations existantes. Mais elles n’ont jamais vraiment suscité de prise de recul de la part d’Alternative libertaire.

Le fait que plusieurs de ces initiatives soient des succès ne doit pas pour autant aveugler Alternative libertaire : ces situations ne peuvent être pérennes. A terme, soit ces cadres unitaires évoluent vers des organisations de masse autonomes, soit les organisations politiques seront attirées vers d’autres priorités et il faudra tout reprendre depuis zéro lors de la mobilisation suivante. Les organisations politiques sud-américaines ont réussi à pérenniser de tels fronts socio-politiques larges, mais ces réussites sont spécifiques aux traditions du mouvement social dans ces pays, et leur compatibilité avec la situation sociale française est loin d’être garantie.

Sur les fronts où aucune organisation de masse n’existe, Alternative libertaire doit donc avoir pour objectif à terme la recréation de telles organisations. Là où elles existent mais sont en partie bureaucratisées, les quitter n’est sûrement pas une décision à prendre à la légère. La stratégie d’Alternative libertaire reste de créer des organisations du mouvement social dont la vocation est de rassembler le plus largement possible, autonomes des institutions, pas des annexes élargies d’Alternative libertaire. La décision de quitter collectivement une organisation de masse doit donc faire l’objet d’un débat au sein d’Alternative libertaire, en s’assurant que tous les moyens sont mis en œuvre pour recréer une telle organisation.

La séquence électorale, marquée par une surenchère de la droite par rapport à l’extrême droite, s’est achevée par la victoire annoncée du Parti socialiste. A cet égard, les quelques annonces gouvernementales qui ont précédé les élections législatives ne sont pas de nature à remettre en cause l’analyse déjà développée par Alternative libertaire : les promesses électorales vont bien vite faire place à une politique de gestion de crise inscrite dans le cadre capitaliste et marquée par la rigueur budgétaire. Face à cette austérité annoncée, le salariat français pourrait se voir contraint de sortir de l’attentisme. On peut raisonnablement anticiper une amplification des luttes. L’enjeu va donc être de ne pas laisser ces luttes isolées et d’argumenter sur la nécessité d’une confrontation d’ampleur pour mettre un bon coup d’arrêt à l’austérité et inverser la vapeur. Cela implique en particulier de développer et soutenir des luttes dans les entreprises et les quartiers, de favoriser les initiatives de convergences (professionnelles, géographiques ou entre fronts de lutte) et de débattre du contenu revendicatif. Bref, de développer, unifier et radicaliser les luttes et de faire émerger un projet politique de transformation révolutionnaire de la société.

On ne reviendra pas ici sur l’orientation de création d’un Front anticapitaliste, qui semble plus que jamais adaptée à la situation actuelle. Les textes adoptés sur le sujet lors des IXe et Xe congrès d’Alternative libertaire et lors des coordinations fédérales intermédiaires restent pertinents. Il faut en revanche revenir ici sur le paysage politique français, qui a beaucoup évolué depuis deux ans et amène de nouveaux enjeux.

Front de gauche : émergence vacillante d’un pôle authentiquement réformiste

Partout en Europe, la conversion complète des partis socialistes au libéralisme et l’effondrement des partis communistes laissent un espace politique pour la recréation de larges partis de gauche réformiste. En France, après 15 ans de tentatives infructueuses, c’est le Front de Gauche qui semble en passe de réussir à occuper cet espace.

Le Parti de gauche propose un projet politique social-démocrate très cohérent qui vient compléter l’implantation militante du PCF. En particulier, il a clairement tranché entre réforme et révolution ainsi que sur les rôles respectifs des organisations syndicales et politiques (contrairement au NPA) affirmant que le mouvement social ne peut changer réellement les choses qu’en délégant la politique aux partis institutionnels. Les talents de tribun de Mélenchon ont fait le reste.

L’avenir du FdG n’est pas écrit mais ses déconvenues électorales menacent d’ores et déjà l’alliance entre un PCF balayé aux élections législatives et un PG dont le leader médiatique a vu sa crédibilité écornée. Son ambition de développer une implantation électorale et son positionnement vis-à-vis du gouvernement PS-EELV va être marqué du sceau d’une permanente ambiguïté : obligation de dénoncer sa politique d’austérité, tout en ménageant le PS, dont dépend la survie électorale du PCF aux municipales de 2014. Cependant, si la crise économique empire et qu’une politique keynésienne devient le dernier recours pour relancer l’économie, le FdG pourrait reprendre du poil de la bête et être appelé par le PS à participer au pouvoir. Ces contradictions vont être au centre des débats internes du FdG et déterminer son évolution et il faut donc tempérer les comparaisons hâtives et réductrices avec 1981 ou 1997.

De très nombreux salarié-es suivent la dynamique du FdG, en particulier au sein du mouvement social, et il faut donc répondre à leurs interrogations et profiter de cet essor de politisation. Le développement d’un autre pôle politique, anticapitaliste et autogestionnaire, est nécessaire mais pas suffisant : il faut aller chercher ces salarié-es sur leur terrain idéologique, en contre-argumentant sur les propositions du FdG, en particulier en faisant la démonstration de la nécessité d’un mouvement social autonome, de luttes d’ampleur et de réelles mesures de rupture avec le capitalisme.

Quel bilan de l’échec du NPA ?

Le NPA a été le premier à pâtir de l’essor du FdG, qui l’a mené à la scission. Personne ne peut se réjouir de l’échec du NPA, d’autant que l’immense majorité des militantes et des militants qui en partent abandonnent la politique. Alternative libertaire était sceptique lors de la constitution du NPA sur le pari consistant à laisser un grand flou sur le projet politique, censé se clarifier en fonction des expériences. L’absence de position claire sur les institutions (et donc la révolution), en pleine série de défaites du mouvement social, a été fatale au NPA, qui s’est embourbé dans des débats sans fin sur les élections et le rapport aux organisations réformistes. La direction du parti par le système des tendances a accentué outre mesure ces clivages, en empêchant le dépassement et laissant de côté bon nombre de militantes et de militants, dont les préoccupations étaient loin de ces luttes d’influence.

D’autre part, tout en s’autoproclamant « parti des luttes », le NPA a souvent tenté, de façon volontariste, de se substituer au mouvement social. Il n’a pas mené de réflexion approfondie sur son intervention au sein des organisations syndicales et associatives, se contentant souvent d’essayer d’en faire des instruments au service de sa politique. La réalité l’a vite rattrapé : le volontarisme a épuisé les militantes et des militants, et les syndicalistes sont partis peu à peu, le NPA étant incapable de les soutenir dans leur intervention et développant des analyses contraires à leurs réalités en continuant souvent d’analyser le syndicalisme simplement comme un premier niveau de conscientisation, et les directions syndicales comme des freins aux luttes auxquelles aspireraient des bases combatives. Le NPA semble espérer sortir de sa crise interne en se recentrant sur l’orientation dans le mouvement social, mais toujours sur une logique substitutiste, ce qui doit être pointé.

Le NPA est en proie à un isolationnisme croissant et à de fortes tensions internes depuis le départ de la Gauche anticapitaliste. Il aurait sa place au sein d’un Front anticapitaliste qui opterait pour une méthode équilibrée : le pluralisme sans la confusion, dans le cadre d’un projet stratégique délimité.

Le mouvement libertaire et le Front anticapitaliste

Ces dernières années ont continué de voir le pôle de gravité du mouvement libertaire se déplacer vers les conceptions communistes libertaires, d’une façon ni linéaire, ni mécanique, et même parfois inattendue. Ainsi, après une quasi explosion dans les années 2002-2004, la Fédération anarchiste a repris des forces grâce à une nouvelle génération militante assez ouverte et peu encline au dogmatisme. La FA a envoyé des signaux positifs en s’investissant dans la Foire à l’autogestion, dans un cadre non exclusivement libertaire, et en ouvrant largement l’initiative de Saint-Imier à l’été 2012. Deux ans auparavant, de façon symbolique mais néanmoins significative, la façon dépassionnée dont elle avait signalé le décès de Georges Fontenis témoignait d’un désir de tourner la page de querelles appartenant désormais à l’histoire.

La situation est parfois différente localement, mais cela montre qu’il n’est pas vain de travailler collectivement avec ces organisations à l’impulsion d’un Front anticapitaliste.

Une première rencontre d’Alternative libertaire avec la CGA a permis une meilleure connaissance mutuelle. Des points d’accord et de désaccord ont bien entendu été actés, et des échanges plus approfondis seront sans doute nécessaires pour pouvoir envisager que la CGA s’inscrive nationalement dans l’impulsion d’un Front anticapitaliste.

Les Alternatifs face à un choix historique

Alternative libertaire a entamé une réflexion et une intervention communes avec les Alternatifs et d’autres organisations sur la question de l’autogestion, avec l’initiative Reprendre la ville puis la Foire à l’autogestion. Cela constitue un premier pas dans le regroupement des anticapitalistes.

La nécessité d’un travail unitaire visant à revivifier les thématiques autogestionnaires et écologistes persiste aujourd’hui. Les Alternatifs souhaitent l’émergence d’un 3e pôle au sein du FdG, écologiste et autogestionnaire, en plus du PCF et du PG. Un tel pôle ne pourra jamais regrouper qu’une partie minoritaire de la mouvance autogestionnaire et écologiste, du fait de l’orientation électoraliste assumée et du manque de clarté sur l’écologie du FdG. Celui-ci défend par exemple une extension de la gestion en coopérative des petites entreprises, mais la nationalisation des grandes entreprises constitue toujours une pierre angulaire de son projet de société, contradictoire avec l’autogestion, qui doit s’étendre aux branches d’industries et aux lieux de vie pour prendre tout son sens.

L’entrée des Alternatifs au Front de gauche risque cependant de les condamner à jouer, au côté de la FASE, le rôle de « supplément d’âme » autogestionnaire et écolo du réformisme d’État, incarné par les poids lourds que sont le PCF et le PG. Il n’est pas sûr qu’au sein des Alternatifs, qui représentent tout de même un courant socialiste autogestionnaire historique, cet aboutissement soit considéré unanimement comme une apothéose.

Une frange des Alternatifs, nettement anticapitaliste, autogestionnaire et rétive à la gestion dans les institutions républicaines, peut trouver un prolongement à son action dans un Front anticapitaliste clairement indépendant du gouvernement PS-EELV.

Faire front contre le capitalisme et revivifier le projet autogestionnaire

Afin de se donner les moyens de replacer l’autogestion au cœur du débat politique, il apparaît décisif de multiplier les initiatives publiques et de mettre en avant, dans le cadre d’un Front anticapitaliste, une dimension autogestionnaire assez largement partagée par les partenaires potentiels d’Alternative libertaire.

En outre, la publication de petits cahiers historiques ou thématiques publics sur l’autogestion pourra permettre à la fois de développer la formation en interne sur ce sujet et de diffuser plus largement les analyses et le projet communistes libertaires. Quant à la dynamique engagée avec la Foire à l’autogestion, elle doit être prolongée indépendamment du FdG, et cela quel que soit le choix de chaque organisation s’y inscrivant.

Développer une expression et une intervention de masse

Militantisme politique et militantisme syndical/associatif : une articulation indispensable

Alternative libertaire s’est très fortement investie dans les mouvements sociaux issus de Décembre 95, et cela souvent au détriment de son intervention spécifique et, donc, de son propre développement. Cette tendance s’est en quelques sortes inversée ces dernières années : la bataille du « non » au traité constitutionnel européen et les mobilisations de la jeunesse, notamment contre le CPE, ont été l’occasion d’intervenir directement et plus à grande échelle et de renforcer Alternative libertaire, notamment dans la jeunesse étudiante. Force est de constater qu’aujourd’hui encore trop peu de CAL développent une intervention politique directe tout en étant bien implanté au sein des organisations syndicales et associatives. C’est souvent soit l’un soit l’autre. De même, les syndicalistes participent moins que par le passé à l’élaboration de la ligne politique d’ Alternative libertaire.

Cet écart peut mener à terme à des tendances substitutistes de la part des CAL sans implantation dans le mouvement social, comme on l’a déjà abordé plus haut. Or les organisations politiques ne peuvent pas se substituer aux organisations de masse, et l’absence d’implantation dans ces organisations signifie en général l’absence d’intervention de masse, donc l’incapacité à pouvoir valider une orientation révolutionnaire auprès des salarié-es et non du seul milieu militant. Et ce n’est donc pas pour rien que la stratégie d’Alternative libertaire consiste, articulée à son action en temps qu’organisation politique révolutionnaire (sur laquelle on reviendra plus loin), à développer des organisations de masse à même d’impulser des luttes d’ampleur dont le fondement n’est pas une appartenance politique mais un positionnement dans la lutte des classes.

Il est important qu’Alternative libertaire renouvelle le débat en son sein sur l’intervention dans le mouvement social et syndical. De façon ouverte, en le plaçant au-dessus de l’esprit de chapelle syndicale ou organisationnelle. Mais aussi de manière à ne pas laisser de côté des camarades qui, pour des raisons de précarité dans le salariat, restent aux marges de l’organisation syndicale. C’est une nécessité pour que l’ensemble de l’organisation « parle le même langage » et reste au diapason du mouvement social. À l’heure où de nombreuses et nombreux militants, issus des mouvements de jeunesse des années 2000, entrent dans la vie active, cet enjeu est crucial.

La tâche n’a rien d’évident mais acter collectivement qu’il y a un problème est un premier pas. Bien des militantes et des militants non syndiqués travaillent hors des grandes administrations publiques, où le syndicalisme n’est pas autant protégé que dans celles-ci. Le Xe congrès d’Alternative libertaire avait acté la nécessité d’accompagner ces militantes et ces militants, mais cette décision n’a été qu’appliquée à la marge. Il faut la généraliser. Par ailleurs, réanimer les discussions sur l’intervention syndicale demande une dose de volontarisme de la part des syndicalistes, dans la production de textes de débats, d’articles et la présence en réunions locales ou fédérales.

Conscients que la lutte de classe ne se limite pas à la lutte en entreprise, des militantes et des militants se sont fortement investis dans le monde associatif dès la création d’Alternative libertaire, aux côtés des sans-logis et des mal logés dès 1991, puis des sans-papiers, etc. Malheureusement, le relais ne semble pas s’être fait et l’investissement récent dans certaines luttes a été le reflet de ce manque de suivi qui fragilise l’audience d’ Alternative libertaire et ses actions quand il ne la condamne pas à un relatif suivisme face à des organisations implantées depuis plus longtemps. Les investissements militants ponctuels dans les luttes au moment où elles sont sous les feux des projecteurs ne sont pas satisfaisants. Là encore, un travail collectif réel est indispensable pour définir des priorités, des analyses, des stratégies. Le lien avec le monde syndical dans ces mobilisations reste un atout majeur.

Sortir des tracts et bulletins de politique générale

Cependant, résumer l’intervention de masse à l’intervention syndicale et associative serait une erreur qui renverrait aux débuts d’Alternative libertaire, où l’organisation espérait se développer uniquement via une intervention au sein du mouvement social. Elle a au contraire stagné pendant des années.

De fait, la plupart des syndicalistes et des militantes et militants associatifs attendent autre chose d’une organisation politique qu’être uniquement un réseau d’information au sein d’organisations de masse (même si cet aspect est important). Alternative libertaire doit également être un espace de mutualisation de leurs pratiques et de coordination stratégique. Elle doit par ailleurs proposer un expression politique de masse, des revendications et un projet politique spécifique, ainsi qu’une stratégie pour le faire aboutir, au-delà des secteurs professionnels ou des fronts de luttes où interviennent ses militantes et ses militants. Si les membres d’Alternative libertaire ne développent pas une telle expression, leur action syndicale et associative contribuera à faire progresser la conscience de classe, mais se seront les organisations développant un « plus » politique qui en bénéficieront.

Développer des bulletins professionnels uniquement centrés sur l’activité du secteur concerné conduit à la même impasse : en général ces bulletins sont des versions un peu radicalisés de ceux des syndicats que les militantes et les militants d’ Alternative libertaire contribuent à animer, faisant ainsi la démonstration que l’organisation politique n’est pas fondamentalement utile.

Il faut donc développer des bulletins parlant de politique générale, qui pourrait être des déclinaisons du tract mensuel d’Alternative libertaire, dont la parution doit être plus régulière. L’éphémère tract L’Allumette allait de ce point de vue dans le bon sens. La priorité de ces tracts doit être d’être accessibles à toutes et à tous conceptuellement, donc d’éviter le verbiage militant. Marquer dans son expression la différence avec les autres organisations politiques anticapitalistes est nécessaire, mais l’espace privilégié pour cela est le journal. Ces tracts sont également l’occasion de faire la promotion de des revendications et mots d’ordre d’Alternative libertaire, afin d’illustrer son projet.

Le collectif fédéral, qui a pour tâche de gérer l’apparition publique fédérale de l’organisation, est donc mandaté pour faire du tract mensuel un bulletin de politique générale destiné à être diffusé largement et à proposer une grille d’analyse simple et claire de la situation politique et sociale.

Cela implique qu’Alternative libertaire ait plus de débats internes sur ses revendications et ses mots d’ordre afin de pouvoir étayer toute discussion qu’ils pourraient susciter. A titre d’exemple, Alternative libertaire met en avant la réquisition et l’autogestion des boites qui ferment. Avec l’approfondissement de la crise, les reprises en SCOP deviennent envisageables, comme à SeaFrance et Fralib, et une organisation comme le FdG met en avant la reprise des entreprises en coopératives. Il faut redébattre de ce mot d’ordre, le creuser, afin de pouvoir expliquer la différence entre autogestion et coopératives.

Rythmes militants et priorités

Tout cela mène à la question des rythmes militants au sein d’ Alternative libertaire. Tenir de front militantisme syndical/associatif et militantisme politique peut être très prenant. Alternative libertaire peut être tentée de fonctionner au volontarisme permanent pour compenser sa faible implantation. C’est en réalité le meilleur moyen d’épuiser les militantes et des militants, moralement, socialement ou physiquement.

Les CAL doivent donc déterminer collectivement leurs priorités d’intervention : l’apparition sur des manifestations, les collectifs unitaires où ils interviennent, les collages et distributions de tracts sur des marchés ou en direction d’entreprises, de lycées ou de facs etc. Déterminer ses priorités au gré de l’actualité, dans l’urgence permanente, est le plus sûr moyen de filer de mobilisation en mobilisation sans jamais en être à l’initiative ou à l’animation, donc en étant à la remorque. Certes, un CAL présent dans un maximum de luttes est visible, mais il donne également soit l’image d’un groupe très exigeant en termes de disponibilité, donc élitiste, soit l’image de feux-follets qui quitteront le navire au premier reflux. Mieux vaut suivre quelques mobilisations de A à Z, en en discutant collectivement à chaque réunion de CAL.

Cela est valable au niveau local comme fédéral. De ce point de vue, les CAL ne relaient actuellement qu’insuffisamment les campagnes politiques décidées collectivement. Alternative libertaire est une organisation fédéraliste et les CAL s’opposant à une orientation ne sont pas contraints de la porter. Mais une orientation majoritaire devrait logiquement être relayée par une majorité de CAL, ce qui nécessite un peu de volontarisme de leur part. Certes, les carences actuelles d’Alternative libertaire en termes d’équipes d’animation compliquent ce relai. Mais la déclinaison locale d’une orientation fédérale adoptée par le CAL devrait normalement figurer parmi les priorités du CAL (ce qui ne signifie pas bien entendu que l’ensemble de l’intervention du CAL doive s’inscrire dans l’orientation fédérale). Et un CAL dans l’incapacité de décliner une orientation devrait donc signaler ses difficultés aux autres CAL, afin de faire progresser l’élaboration commune.

Le collectif fédéral, qui a pour tâche de coordonner l’intervention des CAL, est mandaté pour produire des synthèses d’activité des CAL régulières à l’occasion des coordinations fédérales. Les bilans d’activité des CAL seront notamment axés autour des grands axes d’intervention décidés collectivement en coordination fédérale, ainsi que sur les interventions locales que peuvent mener les CAL.

[1Par exemple avec le slogan « Tout passe par la lutte », qui est en soi insuffisant.

[2Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut