histoire

1907 : La grève unifie les travailleurs et travailleuses de Belfast




En 1907, la ville de Belfast est marquée par quatre mois d’une grève qui unifie deux communautés, les protestants et les catholiques, qui jusque-là s’opposaient. D’avril à août, la classe ouvrière bat le rythme de la ville portuaire et industrielle du nord de l’Irlande. Retour sur une lutte unitaire.

De l’Irlande du Nord, on ne retient qu’un conflit entre deux communautés religieuses, d’un côté les « catholiques » et de l’autre les « protestants ». Il est bien évident qu’au travers de cet écran de fumée qui cache d’autres réalités, les mécanismes sont bien plus complexes et le colonisateur britannique ne cherche qu’une seule et unique chose : exacerber les tensions afin de diviser la classe ouvrière.

En 1907, l’Irlande est encore une colonie de l’Empire britannique, l’indépendance politique, et non l’indépendance économique, ne se fera qu’en 1921 suite au traité anglo-irlandais signé le 6 décembre de cette même année. L’Irlande du Nord, et plus particulièrement Belfast, est un centre industriel, on y retrouve une forte concentration de construction navale, d’usines de lin et de tabac importés et déchargés dans un important port.

La situation des travailleurs et travailleuses est plus qu’insoutenable, Belfast est une ville sombre, industrielle, où la pauvreté remplit les faubourgs. Entre 1845 et 1852, la Grande Famine, orchestrée par le Royaume-Uni, eu des conséquences démographiques catastrophiques : plus de 2 millions de personnes qui émigrèrent en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Australie et au Canada, une population en forte chute, au point qu’il fallut attendre 1911 pour retrouver son niveau de 1800 (4,4 millions).

Au début du XXe siècle, la classe ouvrière est divisée entre les communautés irlandaises et les communautés Scots-Irish, ces dernières issues de la colonisation forcée du XVIIe siècle. Une grève de plusieurs mois va les unir, faisant écho au soulèvement de la Society of the United Irishmen de 1798 mené par Wolfe Tone, unissant Irlandais et Scots afin de liberer l’Irlande de l’occupation britannique et d’instaurer une république.

Les docks s’organisent

Les docks de Belfast rassemblent à cette époque 3 000 travailleurs dont plus des deux tiers travaillent à la journée, les Scots et les Irlandais ne travaillent pas aux mêmes endroits, les premiers s’occupent des bateaux traversant la mer d’Irlande, les seconds les bateaux revenant ou partant pour des distances plus longues d’outre-Atlantique ou vers les colonies où les postes de travail se transmettent de père en fils et les semaines de 75 heures s’enchaînent. Malgré cette différence, les deux communautés vivent dans le même quartier attenant aux docks, Sailortown, partageant la même vie, les mêmes préoccupations quotidiennes où la tuberculose règne.

Ce détail n’échappera pas à Jim Larkin (voir ci-dessous), le secrétaire d’origine irlandaise du syndicat britannique National Union of Dock Labourers qui fait adhérer en quelques mois jusqu’à 2.000 travailleurs et travailleuses parmi les dockers, les charretiers ou les ouvriers de la construction navale, allant au contact des habitants et habitantes du quartier.

Les différences de salaires entre les ouvriers et ouvrières qualifié.es et non-qualifié.es sont importantes, les travailleurs et travailleuses revendiquent ainsi une mise à niveau des salaires avec la reconnaissance des syndicats dans les différentes compagnies qui règlent la vie des docks et des arsenaux.

Les événements s’enchaînent : les travailleurs et les travailleuses du Sirocco Engineering Works, Belfast Steamship Company, propriété du magnat du tabac Gallagher se mettent en grève, suivis par les charretiers de charbon. Il fait appel aux autorités et à la police afin de protéger les scabs, les « jaunes », qui vivent sur un bateau afin de ne pas se faire attaquer par les travailleuses et travailleurs en colère.

Fin mai, Larkin demande aux grévistes de retourner au travail afin de consolider les syndicats et reprendre la grève dans les semaines qui viennent. En retournant au travail, ils trouvent portes closes et leurs postes occupés par quelques scabs. Le patronat organise le lock-out de Belfast et les travailleurs et les travailleuses décident de continuer la grève.

Pas comme catholiques ou protestants, pas comme nationalistes ou unionistes mais comme travailleurs de Belfast faisant face ensemble

Deux mois pour construire une grève générale

La grève s’étend et les grévistes descendent dans la rue. À leur passage les travailleurs et travailleuses des usines de tabac de Gallagher quittent leurs postes de travail et les rejoignent. Différents secteurs se sentent concernés par la grève : les marins, les pompiers, les chauffeurs et les fondeurs de métaux stoppent le travail. En juin, plus de 3 000 travailleurs des docks sont en grève avec les revendications d’un salaire minimum et de la semaine de 60 heures.

Les plus grosses compagnies des liaisons vers la Grande-Bretagne sont particulièrement touchées, celles-ci sont la propriété de groupes de chemins de fer britanniques qui s’inquiètent d’une extension de la grève. Des meetings quotidiens de grévistes afin de se tenir informés, se tiennent devant la maison des douanes du port rassemblant 10.000 personnes souvent brutalisées par la police et l’armée fortement présentes dans la ville. Le 1er juillet, une grande marche s’engage dans les rues de Belfast en direction de la mairie avec à sa tête Jim Larkin.

Meeting quotidien devant la Custom House de Belfast

La presse parle « d’une marche en ordre militaire, sans un mot, où le bruit des talons résonne dans toute la ville », le cabinet du maire, sous la pression des marcheurs accepte de recevoir une délégation mais refuse d’engager des négociations. En quelques jours, les agents ferroviaires refusent de transporter les biens déchargés par les scabs et Larkin empresse le reste des charretiers non grévistes d’engager une grève de sympathie.

Courant juillet, aucun bien ne rentre ou ne sort du port de Belfast, les transports sont totalement bloqués, les ingénieurs et les chaudronniers des chantiers navals rejoignent la grève. Les grévistes s’attaquent aux camions en les brûlant et affrontent les troupes à coup de rivets et de boulons en même temps que les scabs, qui sont menés au large pour les protéger.

Solidarités exceptionnelles

Les policiers de la RIC, Royal Irish Constabulary, reçoivent l’ordre d’escorter les camions qui transportent de la marchandise mais font face à des attaques permanentes de la part des grévistes. L’un des policiers reçoit même une machine à télégraphier lancée d’une fenêtre. Persuadés de se mettre la population de Belfast à dos et sentant leur sécurité en danger, les agents de la RIC refusent d’obéir aux ordres de la hiérarchie. Le sentiment que leur rôle n’est plus que de protéger les intérêts des magnats de Belfast grandit chez eux et les policiers se mutinent : un meeting de 300 policiers se tient, appelant à rejoindre les dockers en grève.

Les autorités policières tentent d’arrêter les mutins, mais leurs collègues répondent en élargissant la grève, jusqu’à 70 % des agents. La situation devenant incontrôlable, le maire ordonne à l’armée d’imposer la loi martiale le 1er août dans les rues de Belfast. Neuf vaisseaux de guerre sont immédiatement déployés face au port. Le 2 août, 200 policiers sont mutés de force en dehors de Belfast, les sept leaders de la mutinerie sont mis à pied, une foule de 5 000 grévistes leur apporte un soutien.

Cette grève reste un événement marquant dans la solidarité entre « catholiques » et « protestants ». Depuis quelques siècles, au mois de juillet, les marches orangistes, les Twelth, en souvenir de Guillaume d’Orange, souverain d’Angleterre qui combattit les Irlandais au XVIIe siècle, et les marches irlandaises se tiennent, provoquant l’une et l’autre des communautés et se terminant la plupart du temps en émeutes. Le Twelth du 26 juillet 1907, revêt un caractère spécifique puisque les bannières et les fanfares des deux communautés se mélangent traversant le quartier historiquement « protestant » de Shankill Road.

Quelque 100 000 manifestants et manifestantes solidaires, oubliant leurs différences et se moquant de la division, se dirigent vers l’hôtel de ville afin de participer à un meeting qui rassemble à son tour 200 000 personnes. Le sectarisme laisse la place à la lutte des classes défiant les autorités unionistes qui refusent que les « protestants » rejoignent le rang des syndicalistes.

La grève prend fin le 28 août sur ordre du secrétaire général de la NUDL, James Sexton qui s’inquiète de la caisse de grève, qui selon lui mène le syndicat à la banqueroute. Il somme les grévistes de prendre part aux négociations entreprise par entreprise, isolant ainsi les travailleuses et travailleurs.

Les responsables de la NUDL et du TUC, Trade Union Congress, avaient préalablement discuté avec les patrons de Belfast, laissant de côté les grévistes ainsi que Larkin, négociant un salaire de 26 shillings, bien moins que la revendication de 27 shillings minimum, et en contrepartie les patrons gardent le privilège d’engager de la main-d’œuvre non syndiquée afin de se garantir un vivier de scabs en prévision de prochaines grèves. Les troupes envahissent les quartiers irlandais de Falls Road, multipliant harcèlement et répression et assassinent deux militants, relançant ainsi les tensions entre communautés, le piège se referme sur les travailleurs et travailleuses en lutte.

Les vieilles tensions balaient l’unité d’un revers de la main sous le regard satisfait des patrons capitalistes et de l’empire britannique. La grève de Belfast reste un moment important dans la construction du syndicalisme irlandais et dans la lutte contre l’occupation britannique qui va s’accélérer les années suivantes et où les grèves vont ponctuer la chronologie, de 1913 à Dublin et à Sligo jusqu’à l’insurrection de Pâques en 1916 à Dublin et le début de la guerre d’indépendance en 1919. Cette grève marque surtout, comme nous l’avons vu, l’unité de deux communautés que tout sépare sauf une chose : la solidarité de classe.

Martial (AL Saint Denis)


BIG JIM, UNE FIGURE DE L’INDÉPENDANTISME RÉVOLUTIONNAIRE

Jim Larkin a durablement marqué l’histoire de l’Irlande ouvrière. Né à Liverpool en 1876, issu de l’immigration irlandaise, il embrasse les idées socialistes à la fin du XIXe siècle avant de s’engager dans le syndicat des dockers, le National Union Dock Labourer. Il rejoint Glasgow où il organise les dockers, puis part pour Belfast.

Après la grève de 1907, il part pour Dublin, où, accusé de détournement après avoir redistribué une caisse de grève aux travailleuses etn travailleurs en grève, il est exclu du syndicat et fonde l’Irish Transport and General Workers’ Union. En 1913, il se lance dans les grèves de Dublin qui opposèrent durement les ouvriers et ouvrières au grand patronat irlandais. Il quitte l’Irlande pour les États-Unis, milite au côté

d’Eugene V. Debs au Socialist Party of America et surtout à l’Industrial Workers of the World. Au début des années 20, il devient un soutien de l’URSS avant de s’éloigner du stalinisme. Des jeux de pouvoirs au sein du syndicalisme irlandais le fait adhérer au Parti travailliste irlandais et devient député au parlement irlandais (Dáil Éireann) avant de s’éteindre en 1947.

Syndicaliste infatigable, véritable constructeur du mouvement ouvrier irlandais dans la première partie du XXe siècle malgré un parcours émaillé de digressions plus politiques, il reste un des artisans de l’aspect révolutionnaire de l’indépendance irlandaise face à l’Empire britannique. Proche de James Connolly, syndicaliste, il œuvra à la création de l’Irish Citizen Army qui prit activement part au soulèvement de la Pâques de 1916 à Dublin contre les forces d’occupation britanniques.


L’Irlande, un foyer révolutionnaire :
1919, LE SOVIET DE LIMERICK

1907, 1913, 1916, des dates qui ont marqué l’Irlande et où l’effervescence se fait sentir. La Révolution de 1917 à l’esprit, la population du comté de Limerick, sur la côte ouest de l’Irlande, se soulève contre le Defence of the Realm Act 1914 qui impose un contrôle social et une censure par l’armée britannique occupante et qui instaura une zone militarisée sur le comté en réaction à la guerre d’Indépendance qui débuta en janvier 1919. Le syndicaliste, et membre de l’IRA, Robert Byrne trouve la mort dans une prison de la ville.

Le 13 avril, la grève générale est déclarée, 14.000 travailleurs et travailleuses en grève sur une population de 38 000 habitantes et habitants.

Les administrations et les banques sont fermées. Un comité se met en place avec la population, il organise la distribution des denrées alimentaire et déclare, le 15 avril, le soviet de Limerick qui donne ses permis de circuler, alors que les troupes britanniques interdisaient la circulation entre les villes, et imprime sa propre monnaie. Les lois britanniques sont suspendues ainsi que le maintien
de l’ordre, aucun pillage ni vol n’est déploré.

Monnaie du Soviet de Limerick

Cet élan autogestionnaire est stoppé net par le manque de soutien de certaines centrales syndicales mais surtout par l’union de la petite bourgeoisie, de l’Église locale mais aussi d’une branche du Sinn Fein allergique aux poussées révolutionnaires. Après douze jours de soviet, l’armée suprimera l’interdiction de circuler. La grève prend fin le 27 avril avec un goût amer de défaite.

 
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