Affronter les violences sexistes en milieu militant




De nombreuses organisations militantes, dont Alternative libertaire, ont pu être confrontées à la question des agressions sexistes et sexuelles en leur sein. S’il est évidemment hors de question de faire comme si rien ne s’était passé, les réponses à apporter nécessitent d’être pensées afin de soutenir la victime, et assurer un cadre de militantisme le plus « safe » possible.

«  Pas une de moins  »  : c’est le slogan des femmes d’Espagne et d’Amérique latine contre les violences.
Les agressions sexuelles peuvent advenir dans tout milieu (professionnel, sportif, associatif...) et le milieu militant n’en est pas exempt.

Les femmes, les personnes transgenres et les non-binaires subissent le sexisme de manière systémique, dans toutes les sphères de la société. Le milieu militant n’y échappe pas ! Malgré le positionnement féministe affiché par nombre d’organisations politiques de gauche, leurs membres sont issu.es de la société. Si aucun travail de déconstruction n’est fait, cette position reste une façade et les comportements perdurent. C’est ainsi que régulièrement des militantes dénoncent des viols et agressions sexistes de la part de camarades. Comment soutenir la victime ? Doit-elle porter plainte ? Faut-il avoir une procédure interne ?

entendre et soutenir, préalable essentiel

Lorsqu’une personne vient témoigner d’une agression, la première chose à faire est de l’écouter sans remettre en cause ce qu’elle dit. Cette étape est très difficile à vivre pour elle. Commencer un travail psychologique à ce moment serait une erreur. Le mieux est de l’informer de l’existence de structures compétentes (le Collectif féministe contre le viol [1], par exemple) pour l’aider et l’accompagner. Immédiatement, le groupe militant doit se poser en soutien de la victime et voir comment la protéger au mieux.

Pour cela, il faut lui demander ce dont elle a besoin. Procéder à un éloignement de l’agresseur en le suspendant de l’organisation semble également évident. La personne ayant subi l’agression ne peut se sentir bien dans la lutte si elle craint sans arrêt d’y croiser son agresseur. Dans la plupart des cas, les victimes finissent par arrêter de militer, ne supportant plus cette promiscuité.

Par la suite, il revient au groupe de prendre des nouvelles régulières de la victime, de lui montrer qu’elle est soutenue, que son témoignage est pris au sérieux et que le collectif prend ses responsabilités vis-à-vis de son agresseur. D’autre part, dans la mesure du possible, il faut s’assurer que la victime n’est pas seule localement, que des gens soient présents pour elle si l’agresseur essaye de l’approcher ou de la harceler.

Faut-il porter plainte alors que nous dénonçons les agissements racistes, sexistes et violents de la police ? Nous savons à quel point ce type de procédure est lourd et pénible pour les victimes qui se voient culpabilisées et remises en cause («  Vous portiez quoi ?  » «  Vous aviez bu quoi ?  ») pour finalement très peu de condamnations à l’issue du procès – quand il a lieu.

Cependant, aujourd’hui la justice institutionnelle est la seule ayant légalement le pouvoir de protéger la victime en condamnant l’agresseur. Cela peut aussi permettre de protéger d’autres victimes potentielles et, peut-être, de dissuader d’autres agresseurs. Bien sûr, nous sommes contre les prisons et le système judiciaire mais faut-il prendre sur soi et se taire lorsqu’on est victime de viol ou d’agression ? C’est à la personne ayant subi l’agression sexiste de décider si elle veut porter plainte ! Le collectif ne doit ni la pousser à le faire ni l’en empêcher. Il doit lui dire que c’est une possibilité et qu’il la soutiendra sans faille dans son choix, quel qu’il soit.

La décision collective ne doit pas non plus être conditionnée par le dépôt de plainte !
Lorsque l’agression vient d’un camarade, le sentiment de trahison et d’insécurité permanente viennent s’ajouter à la douleur physique et mentale. Ceci est d’autant plus fort si le collectif ne prend pas ses responsabilités et ne soutient pas de façon claire et totale les victimes.

Très souvent, lorsqu’une agression sexiste se produit dans un groupe politique, on revoit pointer les relents nauséabonds de la hiérarchie des luttes. Aussi incroyable que cela puisse paraître, bon nombre de victimes se sont retrouvées accusées de diviser les forces, d’être égoïstes, de ne pas être politiques, de ne pas penser à l’intérêt général et à la cause alors présentée comme nécessairement supérieure aux « divergences entre personnes », etc.

Ces accusations odieuses sont d’autant plus virulentes si le militant mis en cause est considéré comme important, charismatique, sans qui la lutte ne serait, selon certains, pas possible. Là aussi on se rend compte que, pour se défaire de ce genre d’arguments, un vrai travail contre le virilisme dans nos organisations est nécessaire.

agir en interne, dénoncer collectivement

Une organisation politique n’est pas compétente pour faire un suivi psychologique et ne peut pas faire justice dans la société. Son seul champ d’action est le milieu militant. Ses seules actions possibles sont l’exclusion, la dénonciation de l’agresseur et la protection de la victime. Pour y procéder, il faut une décision collective, seule manière de la soutenir réellement, et qui permet de responsabiliser toutes et tous les militants.

Par ailleurs, qu’il soit ponctuel ou permanent, un groupe non mixte est nécessaire pour recueillir le témoignage de la victime afin qu’elle se sente à l’aise et en sécurité. Sachant que les agressions sexistes arrivent régulièrement dans le milieu militant, il serait intéressant que toutes les organisations politiques aient une procédure précise mise en place et discutée avant que cela ne se produise. Une procédure décidée collectivement avant les faits gagne en légitimité et sera plus difficilement remise en cause lorsqu’elle sera appliquée.

Alternative libertaire possède une procédure en cas d’agression sexiste, mise en place au congrès de juin 2015, quelques mois avant les accusations de viol d’une de nos camarades à l’encontre de Fouad, membre d’AL en Moselle à l’époque. Elle consiste à suspendre immédiatement le militant accusé et à constituer un groupe non mixte. Celui-ci recueille les témoignages de la victime, d’éventuels témoins et de l’agresseur. Il se charge d’écrire un rapport dans lequel seront rappelées les accusations, retranscrits les témoignages anonymisés et transmise toute information permettant une décision collective en connaissance de cause. La coordination fédérale suivante doit statuer sur l’exclusion ou non de l’agresseur. En l’occurrence, le vote a été massif (98%) pour son exclusion. Nous avons aussi décidé de rendre cette décision publique afin d’informer le milieu militant et de protéger potentiellement d’autres personnes [2].

Lorsqu’une agression sexiste a lieu dans un groupe militant, les réactions et la façon dont ce groupe va gérer la situation sont décisives pour la victime mais aussi pour toutes les femmes et personnes concernées par le sexisme. Aucune ne pourra se sentir en sécurité et à l’aise dans le groupe s’il abrite un agresseur, et donc ne pourra pas militer. Nous devons collectivement faire en sorte que toutes et tous soient à l’abri des violences sexistes, car notre féminisme ne saurait être qu’une façade, il doit être partie prenante de toutes les luttes !

Marie (AL Alsace)


Les autres articles du dossier :

[1Collectif féministe contre le viol  : https://cfcv.asso.fr.
Infoligne «  Viols-femmes-informations  » 0800 05 95 95

 
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