Assurance maladie : On ne perd que les batailles qu’on ne mène pas !




La destruction programmée de la Sécurité sociale par le gouvernement ne suscite pour le moment pas de riposte sociale à la hauteur des enjeux. Et pourtant, c’est notamment sur ce terrain que devront se livrer les luttes sociales à venir.

C’est dans le contexte particulier de la Libération que la Sécurité sociale est créée en 1945. Elle était, avec la nationalisation d’importants secteurs de l’économie, l’une des principales revendications du Conseil national de la Résistance et fera l’objet du compromis négocié par le Parti communiste pour faire déposer les armes aux milices populaires et « retrousser les manches » aux travailleur(se)s. Elle sera ainsi l’une des contreparties à la restauration de l’État bourgeois, concédé face à l’éventualité de la poursuite de la libération nationale vers une poussée sociale trop forte et potentiellement révolutionnaire.

Mais dès sa création elle devient pour le patronat une conquête sociale à abattre car elle est porteuse, dans une société dominée par le capitalisme, de valeurs alternatives : socialisation des moyens et satisfaction égalitaire des besoins.

Depuis, les attaques contre la Sécu n’ont pas cessé :

 Les Ordonnances de 1967, notamment, remettent en cause la gestion par les représentant(e)s élu(e)s des salarié(e)s (3/4 du conseil d’administration, le 1/4 restant aux élus des employeurs) en instituant le paritarisme [1] (moitié salariés, moitié employeurs) et en instituant la séparation en trois gestions distinctes [2] (maladie, famille, vieillesse).
 Depuis les années 70, le niveau des prestations n’a cessé de diminuer (taux de remboursement maladie, allocations familiales, pensions de retraites). Ainsi, la France est aujourd’hui l’un des pays d’Europe où les dépenses de santé restant à la charge de l’assuré sont les plus lourdes.
 La tutelle de l’État introduite par les Ordonnances de 67 n’a cessé de se renforcer jusqu’aux Ordonnances Juppé en 1996, imposant le vote du budget de la Sécu au Parlement et la mise en place des ARH (Agences régionales d’hospitalisation).

Remboursement à trois vitesses

Le projet de contre-réforme de la Sécu mené actuellement par le gouvernement est d’une plus grande ampleur que ce qui s’est fait jusqu’à maintenant. Il vise au démantèlement complet de l’assurance maladie par la mise en place d’un système à trois niveaux :

 Un premier niveau pour la couverture minimale (sur le modèle de l’actuel Couverture maladie universelle), correspondant à un régime de sécurité sociale obligatoire couvrant les maladies graves.
 Un second niveau, constituant un régime complémentaire facultatif, pour les soins les plus courants.
 Un troisième niveau couvrant les soins non pris en charge par les deux premiers niveaux. Une surcomplémentaire pour ceux qui en auront les moyens.

Avec l’instauration de ces trois niveaux de couverture maladie, ou les plus riches seront les mieux soigné(e)s, c’est le principe égalitaire d’accès aux soins gratuits pour tou(te)s, que la Sécu tentait de réaliser [3], qui se trouve profondément remis en cause.
Les objectifs poursuivis par le projet du gouvernement s’inscrivent dans la logique libérale actuelle :

 Réduire le coût du travail en allégeant les cotisations « employeurs » pour les reporter sur les salarié(e)s [4]. Ainsi la part « employeur » se limitera au régime obligatoire (1er niveau). [5]
 Diminuer la part du salaire socialisé (cotisations sociales) au profit du recours individuel à l’assurance (dans une logique comparable à la réforme des retraites avec la capitalisation), mais aussi, au profit de la fiscalisation (la CSG instituée par la gauche « poubelle » à été le premier coin enfoncé dans le système).
 Combiner cette contre-réforme avec celle de l’hôpital public, dont le financement est à 100 % pris en charge par la Sécu. Ainsi le projet « Hôpital 2007 » se résume à confier au privé les soins les plus rentables et au public les plus coûteux.

Riche et en bonne santé

À de nombreuses occasions déjà le gouvernement nous a fait la démonstration qu’il était le chef de guerre du Medef dans la lutte de classes qu’il pratique sans scrupule, laissant à d’autres le « politiquement correct ». Cette attaque de la Sécu en donne une nouvelle démonstration.

Sur le terrain des valeurs, il s’agit de briser les notions de solidarité et de socialisation qu’incarne la Sécu. Le mot d’ordre des fondateurs de la Sécu a été « À chacun selon ses besoins », le mot d’ordre de la contre-réforme est « À chacun selon ses moyens », et l’assistance pour les pauvres. Bien que le projet soit déjà largement engagé, la riposte à cette attaque d’ampleur reste à venir, et plusieurs obstacles sont à surmonter :

 La méthode employée par le gouvernement. En associant les directions syndicales dans une phase de pseudo concertation, le gouvernement veut neutraliser l’action de mobilisation des travailleurs et des travailleuses.
 L’échec de la lutte contre la réforme des retraites y est aussi pour quelque chose. Cet échec a rendu méfiant sur la volonté des appareils syndicaux à mener une lutte dure que chacun estime nécessaire pour faire reculer le pouvoir. Il ne s’agit pas de refaire un baroud d’honneur.
 La campagne médiatique orchestrée par le gouvernement sur la crise financière de la Sécu cherchant à faire croire qu’une réforme est nécessaire et quelle conduira à des sacrifices [6].
 L’absence de combativité dans le secteur de la protection sociale [7] (en comparaison de la combativité manifestée dans d’autres secteurs professionnels attaqués par le pouvoir : Éducation, Santé, Culture, SNCF).

Pourtant rien n’est encore joué. On ne perd que les batailles qu’on ne mène pas… jusqu’au bout.

Un véritable travail d’information, d’analyse et de proposition est à mener sur l’enjeu de la contre-réforme de l’assurance maladie afin de permettre une mobilisation d’envergure nécessaire pour faire reculer le gouvernement, et au-delà, pour se réapproprier la Sécu en préalable à sa refondation plus solidaire, plus égalitaire… libertaire en somme.

Charlie (syndicaliste de la protection sociale)

[1Avec les Ordonnances de 67, les représentant(e)s ne sont plus élu(e)s mais désigné(e)s par les syndicats ouvriers et par les organisations patronales. Les élections sont rétablies en 82 mais celles devant avoir lieu en 89 sont toujours reportées.

[2Une séparation pour affaiblir la Sécu car, compte tenu de son budget, elle était plus puissante que l’État (malgré un secteur nationalisé encore important). En effet, qu’aurait-on à objecter si les assuré(e)s, qui géraient eux/elles-mêmes la Sécu, demandaient à contrôler la finalité de la production, de l’enseignement, à revoir les fondements de la hiérarchie sociale, de la répartition des richesses ?

[3Dans les faits ce principe est déjà mis à mal par les réformes successives qui ont précédé. Ainsi les fondateurs de la Sécu seraient bien dépités de constater qu’aujourd’hui l’espérance de vie moyenne (en tant que finalité de l’assurance maladie) est plus importante à Nice qu’à Roubaix, pour les cadres que pour les ouvrier(e)s, et que cet écart a augmenté.

[4Ces cotisations, dites patronales, représentent pourtant du salaire différé. Ainsi cet escamotage de salaires dégradera davantage encore l’état de la répartition des richesses qui en trente ans a fait passer la part revenant au travail de 10 % à 8 %.

[5Seul le 1er niveau de couverture maladie sera obligatoire. Les 2 autres niveaux étant facultatifs. Pour le deuxième niveau des incitations fiscales à souscrire (du genre impôt négatif) sont envisagées laissant l’assuré libre… de ne pas le faire.

[6Le déficit de la Sécu à été de 6 milliards d’euros en 2002 et de 10 milliards en 2003. Il est à mettre en correspondance avec le détournement de 20 milliards d’euros par an qu’opère l’État (taxes sur le tabac et l’alcool, sur l’industrie polluante, sur les primes d’assurance auto) et les exonérations massives de cotisations sur les bas salaires dont bénéficient les patrons.

[7Il est d’ailleurs à première vue paradoxal que ce secteur administré principalement par les syndicats traditionnels (CFDT, CGT, FO, CFTC, CGC), depuis que le Medef refuse de siéger dans les conseils d’administration, soit si peu mobilisé sur cet enjeu. En fait, la protection sociale est un secteur syndicalement sinistré, dans lequel les syndicats traditionnels ont sacrifié l’intérêt des travailleur(se)s de la Sécu aux répercussions financières de leur participation à la cogestion du système. Ainsi les niveaux de salaire, auparavant avantageux, sont aujourd’hui parmi les plus bas. Le taux de syndicalisation, lui aussi auparavant très largement supérieur à la moyenne nationale, ne dépasse pas aujourd’hui 6 % (pour 8 à 9 % nationalement).

 
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