Autogérer les entreprises : Scop, la bonne formule ?




Sea France, Helio Corbeil, Fralib, Goodyear... la question de la reprise en Scop des entreprises qui ferment se pose de plus en plus comme alternative aux licenciements. État des lieux du débat sur le sujet.

Il y a quarante ans les Lip reprenaient en autogestion leur entreprise, devenant le symbole du renouveau autogestionnaire des années 70. On oublie parfois qu’il s’agissait à l’origine pour ces ouvriers d’une action de construction du rapport de forces contre les licenciements dans leur usine, sans perspective de long terme pré-établie.

Les reprises en Scop (Société coopérative et participative) des bateaux de Sea France ou de l’imprimerie Helio Corbeil correspondent à la même réalité. De fait, celle de la vague de licenciements des années 2000 est désormais tangible : il est quasi impossible aux salarié-e-s de retrouver du boulot après une fermeture, et les primes, même significatives, ne permettent donc pas de tenir. D’où un recentrage des équipes syndicales sur la défense de l’emploi qui, faute de construction de convergences suffisantes pour peser et envisager autre chose, se concrétise par des reprises en Scop.

Un débat à se réapproprier

Il devrait à partir de là y avoir un débat nourri sur le sujet dans le mouvement syndical... or ça n’est pas le cas. De fait, ces entreprises ne portent pour la plupart pas la reprise en Scop comme un projet politique et ont du coup plutôt tendance à se faire discrètes pour ne pas être réprimées par les donneurs d’ordre. Par ailleurs, d’anciens leaders syndicaux peuvent se retrouver directeurs de la Scop, ou bien les coopérants peuvent se retrouver à valider des licenciements ou baisses de salaires du fait du marasme économique, d’où une certaine gêne à en parler. C’est malheureusement la fin de l’histoire de Lip, peu connue, et pour cause !

Heureusement quelques équipes syndicales, comme les Fralib  [1], font avancer le débat et tentent de faire de leur projet de reprise autre chose qu’un simple symbole. A une toute autre échelle, le 50e congrès de la CGT a repris la revendication du Front de gauche du soutien public et de la protection d’une économie sociale et solidaire, l’inscrivant à la fois dans sa perspective fumeuse de «  développement humain durable  » et dans la remise en cause de la loi du marché  [2].

Pour le Front de gauche  [3] comme pour la direction de la CGT, l’économie sociale et solidaire concerne avant tout les petites entreprises et le milieu associatif, les grandes entreprises étant appelées à s’intégrer dans des «  pôles publics  » (de l’énergie, du médicament, des transports...), structures mixtes publiques-privées sous contrôle de «  forums citoyens  » et d’aides publiques conditionnées.

On est bien loin ici des nationalisations chères à certains communistes orthodoxes. Il faut dire que bien des militantes et militants ont été échaudés par les remises à flot d’entreprises par renationalisations en 1981, suivies illico de reprivatisations. Le slogan de «  pôles publics  » fait donc mouche, surtout tant que chacun y met ce qu’il veut  : du contrôle ouvrier à «  l’État stratège  » des sociaux-libéraux.

Démocratie et propriété

Comme au XIXe siècle lors de la naissance du syndicalisme, qui devait alors se positionner vis à vis d’un puissant mouvement coopérativiste, ou lors du recentrage de la CFDT dans les années 80, ces diverses velléités autogestionnaires peuvent très bien être le pied dans la porte vers une édulcoration de la lutte des classes.

D’où la nécessité de poser le plus largement possible le débat au sein du mouvement syndical : par la mise en réseau des Scop impulsée par des équipes syndicales, l’appui et le conseil aux équipes qui se tourneraient vers cette solution, la popularisation de ces expériences, mais aussi une prise de recul sur leur pérennité en système capitaliste.

Par ailleurs, comme l’a bien noté le Front de gauche, la question des grandes entreprises a autrement plus de portée politique. Pour Alternative libertaire, les expériences de 1981 illustrent très bien le sens des nationalisations en régime capitaliste, et la question du contrôle citoyen (car ce ne peuvent être les travailleurs d’une entreprise qui décident seul-e-s ce qu’ils produisent  [4] ) est cruciale.

Mais celle de la propriété privée l’est tout autant. Laisser croire que démocratie et propriété privée peuvent coexister au sein de «  pôles publics  » est ainsi une entourloupe grossière.

Grégoire (AL Orléans)

[1Voir "Fralib : L’Eléphant n’est pas sans défense" dans ce même numéro.

[2Chapitre « La place de l’économie sociale et solidaire » du document d’orientation du 50e congrès de la CGT.

[3Chapitre « Encourager d’autres formes de propriétés » dans L’humain d’abord, programme du Front de gauche en 2012.

[4Sur l’organisation d’une production autogérée à l’échelle nationale, on pourra lire Le projet communiste libertaire issu des réflexions de notre ancêtre, l’UTCL.

 
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