Bande dessinée : Trois récits sur la Révolution russe




C’est une nouvelle prédilection de la BD : l’exploration de la Révolution russe. À croire que le vent de la contestation souffle à nouveau sur un genre dont on pouvait croire que les grandes « usines à BD » (Soleil, Delcourt…) l’avait ossifié. Sur le thème, il y a à prendre et à laisser. On prendra : trois albums récents, pour autant de points de vue sur la révolution et ses suites, qui méritent franchement la lecture.

Classique : Sibérie est une réédition assez luxueuse de l’ouvrage de Micheluzzi (1989). Noir et blanc italien typique des années 1980, vigoureux et efficace, mais sans perdre de son lyrisme, Sibérie raconte l’histoire d’un aristocrate russe, engagé dans des groupes révolutionnaires d’action directe. Mal dans sa classe, mal dans sa peau, mais homme d’action, Kovalensky sera trahi par un (mauvais) camarade, déporté en Sibérie… et rejoindra finalement la révolution à la tête d’une compagnie de cavalerie. S’ensuivent purges, exécutions, retrouvailles amoureuses, doutes révolutionnaires, la guerre civile et ses horreurs. Et tout y est : transsibérien, prêcheurs fous, traîtres rouges ou blancs, de la neige jusqu’aux genoux des chevaux. Dernier baroud d’honneur du héros, l’attaque du train de la Légion tchèque clôt Sibérie et ouvre le deuxième album de cette chronique.

Anecdotique : Svoboda (« liberté » en tchèque) de Kris et Pendanx démarre une série annoncée sur 9 volumes. Les ambigües péripéties de la Légion tchèque forment une espèce de grande anecdote, peu connue et qui pourtant accouchera… de la Tchécoslovaquie. D’abord au service des tsars en 1915, cette légion de volontaires se met ensuite au service de la Russie soviétique. Bloquée par les bolcheviks en Sibérie, elle se scinde en factions rouges et blanches, se taille un territoire sur la Volga, se décompose et se recompose jusqu’en 1920. L’album met en scène des héros inquiets, excentriques, dans des situations intenables, au milieu d’une révolution qui n’est pas entièrement la leur. C’est une belle aquarelle qui rend l’âpreté des temps, et un scénario qui ne sacrifie pas à la simplicité. Ça augure bien de la suite.

Épique : Matteo de Jean-Pierre Gibrat, emportera, on l’imagine, tous les suffrages : fils d’anarchiste espagnol, Matteo, par idéal pacifiste refuse de faire la guerre en 1914, se voit traité de « planqué » et humilié par son amour de toujours. Le tome I l’envoie dans les tranchées, renforce son ironie native et son sens politique, lui fait découvrir l’amitié en même temps que l’horreur des bombardements et des pelotons d’exécution…

Au tome II, il prend le large, et se retrouve à Petrograd entre bolcheviks et socialistes révolutionnaires. Gibrat avait déjà commis, avec autant de finesse, Le Vol du corbeau et Le Sursis. Matteo est un album d’une beauté rare, à l’aquarelle et mine de plomb. Expressions, naturel des postures, exactitude historique, héros solaires et parti pris de l’auteur d’honorer les anarchistes, tout cela fait de Matteo un vrai petit bijou.

Cuervo (AL 95)

• Micheluzzi, Sibérie, (1989) rééd. Mosquito 2011, 124 p., 20 euros.

• Pendanx et Kris, Svoboda, tome 1 : De Prague à Tcheliabinsk, Futuropolis, 2011, 64 p., 16 euros. Neuf tomes annoncés.

• Jean-Pierre Gibrat, Matteo, Futuropolis, 2 tomes, 2010 et 2011, 64 p., 16 euros chacun.

 
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