Burkina Faso : Il y a un an, victoire des ouvrières de la Gacilienne




Le 1er août 2005, le groupe Yves Rocher licenciait 133 ouvrières au Burkina Faso, un des pays les plus pauvres. Elles travaillaient à La Gacilienne, elles roulaient et conditionnaient des billets de tombola que le groupe distribuait à ses clientes en Europe.

Yves Rocher est un groupe français, leader mondial de la cosmétologie végétale, présent dans 88 pays et faisant un chiffre d’affaire de 2 milliards d’euros.

"Un groupe et des marques unis par une passion : rendre le quotidien de la femme plus agréable" dit sa publicité. Sauf que le quotidien que le groupe a imposé aux ouvrières de La Gacilienne était un véritable cauchemar : après neuf ans de travail, entassées dans une pièce mal aérée où le droit de parler et les gestes comme s’étirer ou lever le regard n’étaient pas tolérés, où les heures d’allaitement rémunérées, normalement garanties par le droit du travail burkinabé, n’étaient pas accordées aux femmes ; après neuf ans pendant lesquels les périodes de production intense (2 millions de billets à rouler par mois, le travail étant totalement manuel) étaient suivies de longues périodes de chômage technique impayé, après toutes ces années d’exploitation, le groupe Yves Rocher décidait de licencier toutes ces femmes sans préavis ni indemnités !

Nous avons rencontré ces ouvrières pour la première fois en février 2004, au cours d’un voyage au Burkina Faso de notre organisation, la Coordination des groupes de Femmes Egalité, accueillie par l’association des femmes du Burkina Kebayina. Les femmes de la Gacilienne nous ont alors raconté l’exploitation et les brimades qu’elles subissaient.

Dès cette rencontre, nous nous sommes toutes senties concernées et nous avons pris la décision de les soutenir dans leur lutte. Nous nous sommes chargées de mener campagne ici en France, en lien permanent avec elles. Depuis le début, leur combat a été le nôtre, et, depuis leur licenciement, notre organisation n’a pas désarmé pour les soutenir.

Internationalisme contre exploitation néocoloniale

Plusieurs raisons nous ont poussé à soutenir la lutte de ces femmes, dans un premier lieu le côté internationaliste de ce combat, qui est un des piliers de la Coordination Egalité depuis sa création. Nous sommes solidaires des femmes des peuples du monde entier, et particulièrement des femmes africaines, de par le rôle que la France a joué et joue encore sur ce continent, à travers le colonialisme et le néocolonialisme, qui, loin d’avoir été bénéfiques pour les peuples africains, ont signifié et signifient toujours domination et exploitation, et ce sont les femmes africaines qui en subissent les conséquences les plus lourdes.

Être solidaire avec les femmes africaines signifie pour nous d’abord dénoncer, combattre la politique des grands groupes français, de ceux qui s’enrichissent en pillant les richesses et en exploitant la main-d’œuvre de plus en plus féminisée qu’ils pensent pouvoir utiliser plus facilement dans les pays dominés par l’impérialisme. Le siège d’Yves Rocher est en France, la clientèle d’Yves Rocher est principalement en France, il était de notre devoir de lancer une campagne de grande ampleur tout d’abord en France.

Tout au long de la campagne, nous avons pu montrer des femmes africaines debout ! Des ouvrières capables de s’organiser et de résister, des ouvrières qui ont dit non à l’arrogance d’un groupe sûr de sa puissance. C’est plus qu’un symbole pour notre organisation : faire respecter la dignité des femmes des milieux populaires ici en France mais aussi en Afrique !

La défense des revendications et des droits des femmes des milieux modestes est une des causes auxquelles nous sommes profondément attachées et c’est la deuxième raison de notre engagement dans cette campagne.

De fait, après avoir participé intensément à la campagne pour le non à la Constitution européenne, qui était pour nous un non à la politique néolibérale, la lutte des ouvrières de La Gacilienne nous permettait de prolonger cette campagne en mettant des obstacles à la politique néolibérale au niveau international.

Dans ce domaine, la lutte et la victoire des “ Gaciliennes ” est aussi un exemple ! Dans un contexte de mondialisation libérale où des coups sont portés ici et ailleurs contre le droit du travail chèrement acquis, cette victoire est symbolique de la lutte des femmes travailleuses par-delà les frontières, elle est un grain de sable dans le mécanisme de l’exploitation internationale qui met en concurrence les travailleuses et les travailleurs du monde entier.

Ce sont toutes ces raisons qui ont permis que la campagne intéresse et trouve un large écho ici en France.

Lutte et solidarité

La dynamique des forces qui se sont investies était imparable. Depuis le début, nous avons voulu lancer une campagne unitaire, qui a très vite fonctionné. De nombreuses organisations de femmes comme Femmes Attac, le Collectif féministe Ruptures, des comités locaux du Planning familial et de Femmes solidaires, la Marche mondiale des femmes (section France) et le Collectif national des droits des femmes ont répondu à l’appel, ainsi que des organisations syndicales (CGT, Solidaires et CNT) et des associations de solidarité internationale (Peuples solidaires, Afaspa, Survie, Afrique XXI).

Une cinquantaine d’organisations se sont ainsi rassemblées pour faire plier Yves Rocher. Ensemble, nous avons fait vivre cette campagne au jour le jour à travers différentes actions : signatures de pétition, réalisation d’un DVD ainsi que d’une carte postale adressée à Yves Rocher, conférence de presse, réunions publiques, articles dans la presse, reportages dans les médias. La pétition a recueilli plus de 10.000 signatures et la carte postale élaborée par Peuples solidaires a été envoyée au groupe Yves Rocher par milliers via Internet. Nous remercions dans ces lignes Alternative libertaire qui a relayé l’information et a fait signer la pétition à de nombreuses personnes.

Nous sommes arrivé(e)s, ensemble, à faire plier un groupe sûr de sa puissance, qui a, au final, dû revenir à la table de négociations !

Durant quatre mois, il y a eu lutte et solidarité, qui sont indissociables. La solidarité ne pouvait pas s’organiser si les ouvrières de La Gacilienne n’avaient pas décidé de résister, de rester solidaires et organisées dans leur syndicat (CGT-B), malgré les pressions du groupe qui spéculait sur la misère dans laquelle il venait de les plonger pour les obliger à accepter des indemnités méprisantes.

Ce sont elles qui ont décidé de résister, et nous avons respecté depuis le début leurs décisions car ce n’était pas à nous de décider ici ce qu’elles devaient faire là-bas.

Pour les “ Gaciliennes ”, la solidarité était indispensable car c’est en s’attaquant à l’image de marque du groupe français, là où se trouve son siège, là où est sa clientèle, que nous pouvions faire pression pour l’obliger à négocier.

Magnifique victoire

La victoire est magnifique. Alors qu’aucune indemnité n’était prévue au départ, Yves Rocher pensait ensuite pouvoir s’en sortir après la première négociation avec 76 euros attribués à chaque femme, mais, finalement, l’accord signé le 19 janvier 2006 a permis à chaque ouvrière licenciée le 1er août de toucher environ trente mois de salaire brut, résultat presque inédit dans ces types de négociations au Burkina Faso.

Cette expérience regonfle le moral de toutes celles et de tous ceux qui s’opposent à la mondialisation. Malgré les milliers kilomètres qui nous séparent, nous sommes proches, car nous sommes dans le même camp.

La solidarité internationale a gagné et ce sont des femmes organisées là-bas et ici qui ont été les principales actrices de cette campagne.

Ana Azaria (présidente de la Coordination des groupes de Femmes Egalité), Paris, août 2006

 
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