Choix énergétiques : Power to the people  !




Le plus souvent, un problème environnemental est aussi un problème social. On peut aller plus loin  : discuter de l’énergie revient à poser la question des modes d’organisation politique que l’on veut défendre.

Sans vraiment de surprise, le ministre de l’Écologie Nicolas Hulot, star libérale de l’écologie en carton (recyclé, certes), a annoncé en novembre 2017, vouloir reporter d’une décennie la diminution en dessous de 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique français. Cette décision est politique, mais pas seulement parce qu’elle relève des prérogatives de la classe dirigeante, ou parce que les questions environnementales nous concernent toutes et tous. Elle équivaut en fait aussi à décider de la forme même du pouvoir qui va être exercé pendant ces dix années de report – et bien au-delà.

Choix énergétiques et formes de pouvoir

Lorsque l’on discute des choix énergétiques, c’est souvent sur le plan de l’écologie que l’on argumente pour ou contre une certaine forme de production ou une technologie particulière, du point de vue des dégâts causés à l’environnement et de leurs conséquences sociales. Mais on peut engager la réflexion dans une autre direction, et mesurer les choix énergétiques à l’aune de la forme politique qu’ils présupposent, en parallèle de l’aspect strictement écologique de la discussion  [1]. En suivant cette voie, l’écologiste Denis Hayes prédisait dans les années 1970  [2] que «  la multiplication des centrales nucléaires ne peut que conduire la société vers l’autoritarisme. En effet, il n’est possible de s’appuyer en toute sécurité sur le nucléaire comme source principale d’énergie que sous le joug d’un État totalitaire  ». C’est ce que, la même année, l’allemand Robert Jungk essayait de penser sous le nom d’«  État nucléaire  » [3].

Le maintien des 58 réacteurs nucléaires en activité sur le territoire français requiert un certain nombre de conditions sociales. Étant donné la difficulté et la dangerosité de l’exploitation de l’uranium, la formation d’une élite technocratique assise au sommet d’une bureaucratie inébranlable apparaît nécessaire pour concentrer le savoir, les moyens matériels, et l’inertie impersonnelle que requiert une telle exploitation. Plus encore, cette forme politique est requise dans la durée  : le démantèlement d’une centrale peut réclamer jusqu’à 30 ans, et les cinq premières années sont critiques  : c’est là que l’on retire les matières radioactives les plus dangereuses. On ne sort pas brutalement du nucléaire sans risquer une catastrophe, par conséquent on risque de ne pas pouvoir se débarrasser immédiatement de la forme de pouvoir qui l’accompagne. Mais la technocratie indéboulonnable n’est qu’un aspect de l’affaire. Pensons en effet aux risques de sabotage des centrales nucléaires. Ou encore à tout le plutonium, déchet réutilisable des centrales, qui est retraité dans l’usine de la Hague et est expédié à travers tout le pays dans des wagons plombés  : il suffit d’en détourner juste un peu pour se lancer dans la fabrication d’une bombe incroyablement dangereuse. La protection des centrales, des trains de matière radioactive, des sites d’enfouissement, doit être absolument infaillible, sous peine de mettre des millions de vie en danger, ce que seul un contrôle militaire totalement centralisé semble en mesure de mettre en œuvre. Il est facile d’imaginer que si du plutonium venait ainsi à être volé, pour quelque raison que ce soit, tous les garde-fou légaux sauteraient immédiatement pour laisser place au contrôle maximum de la population.

Rallonger de dix ans l’engagement de la France dans le nucléaire, c’est donc en quelque sorte installer pour dix ans de plus un pouvoir technocratique et militaire ultra-centralisé. Pour beaucoup plus que dix ans, en réalité, si on ajoute le fait que la sortie du nucléaire se fait sur le long terme – sans que la question des déchets soit jamais totalement réglée – et qu’un tel État doit être stable par définition.

L’énergie solaire, plus naturellement décentralisée

La question politique se pose aussi pour les autres sources d’énergie. Indépendamment de leur bilan environnemental désastreux, le charbon, le pétrole et autres énergies fossiles sont-ils utilisables massivement par les multinationales prédatrices du capitalisme que nous connaissons  ? Il est sans doute moins facile de répondre que pour le nucléaire, mais l’extraction, le traitement et l’acheminement de volumes importants de combustibles fossiles exigeront quoi qu’il en soit une concentration certaine de moyens matériels et une hiérarchie assez verticale.

Est-ce qu’à l’inverse on peut penser à des formes de production d’énergie qui seraient fortement compatibles avec des formes politiques émancipatrices ? Le même Denis Hayes défendait vigoureusement l’énergie solaire, plus naturellement décentralisée, à la fois techniquement et politiquement, puisque – comme pour l’éolien ou l’hydraulique, pourrait-on ajouter – il est tout-à-fait envisageable de construire une multitude de panneaux et turbines de tailles diverses, et de les gérer localement. D’une part un tel réseau serait beaucoup moins susceptible d’une panne globale catastrophique et ne requièrerait donc pas la sécurité d’une gestion centralisée, et d’autre part il n’exigerait pas une grande concentration de moyens techniques et de connaissances. Plus locales, accessibles, compréhensibles et contrôlables, indépendemment de leurs vertus strictement écologiques, ces énergies s’accommoderaient de formes politiques plus démocratiques.

Quand des communistes étatistes font aujourd’hui la promotion du nucléaire, rien que cela revient à renvoyer le dépérissement de l’État à un lointain avenir. À l’inverse, il est aussi naïf d’ignorer que le temps du démantèlement des centrales, le nucléaire va charrier des formes de centralisation. Plus positivement, parvenir à imposer le solaire, l’éolien ou l’hydraulique là où c’est possible c’est aussi ancrer des formes de production d’énergie qui seront à l’avenir plus facilement réappropriables. L’energie, c’est une question de pouvoir.

Marco (AL92)

[1Le contenu de cet article est très largement inspiré de Langdon Winner, La Baleine et le réacteur  : à la recherche de limites au temps de la haute technologie, Paris, Descartes & Cie., 2002, et Murray Bookchin, Pour une écologie sociale et radicale, Neuvy-en-Champagne, Le Passager clandestin, 2014.

[2Denis Hayes, Rays of Hope : The Transition to a Post-Petroleum World, New-York, W. W. Norton, 1977.

[3Robert Jungk, Der Atom-Staat : Vom Fortschritt in die Unmenschlichkeit, Munich, Kindler, 1977.

 
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