Chroniques du travail alièné : Mauricette*, assistante de DRH dans la fonction publique




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).


<titre|titre="Je me sens sous le bureau">

Je manque de confiance en moi, je suis stressée, je me sens sous le bureau. J’ai l’impression de ne pas servir à grand chose, je ne sais jamais quoi répondre. J’ai même regretté d’avoir pris ce poste. Pourtant j’ai envie d’avancer dans ma carrière, je reste tard au bureau, je voudrais que ça aille plus vite, je voudrais savoir m’imposer, maîtriser toutes les nouvelles technologies et connaître parfaitement les nouveaux textes, et surtout, avoir de la répartie.

Avant j’étais juste assistante de direction, ça allait, mais là, assistante à la direction régionale des ressources humaines, la marche est très très haute. On gère tout de A à Z, il faut bien connaître les dossiers, être très attentive à chaque interlocuteur. Le pire c’est que je suis restée dans le même bâtiment, alors je croise les anciens collègues : « T’as du nouveau pour ma prime ? » ou « Il paraît que je n’aurai personne sur ce poste ? Tu sais pourquoi ? » Je ne peux rien dire. Ce n’est pas à moi de… Pourtant ce sont des amis parfois. Je ne vais plus déjeuner avec eux. Je m’apporte des tartines et je mange toute seule devant mon ordi tellement j’ai peur qu’ils me posent des questions. C’est aussi à cause des nouvelles réformes qui sont arrivées ; par exemple les vieux n’ont plus d’avancement, on fait passer les jeunes avant. On le faisait en fin de carrière pour améliorer la pension de retraite. ça ne se fait plus. Les primes sont au résultat, il faut être très bon et se donner à fond maintenant. Les collègues disent qu’ils ne vont jamais y arriver, et c’est vrai en plus… Ca me fait mal au cœur. Mon ancien directeur m’a invitée à la galette, j’étais contente d’y aller, on n’a parlé de rien, des futilités, c’est tout. J’étais ravie. Là bas, c’est seulement par rapport aux usagers qu’on a des réserves, qu’on ne doit pas tout dire, alors, comme on ne les connaît pas…

Mais là il faut que je réfléchisse, j’ai une hyperthyroïdie, une hypertension, j’ai même fait un malaise cardiaque, ils m’ont disputée, aux urgences, ils m’ont demandé combien je faisais d’heures par semaine… Ils m’ont dit que je tiendrai pas longtemps comme ça. J’arrive à 8 heures 30 au bureau, j’en repars à 18 heures 30 au plus tôt ; comme ça tous les jours. Je ne fais plus de sport. Mon mari en a marre. Mon mari en a marre, je ne m’occupe plus assez de la maison, je fais les courses et le linge en vitesse le samdei. ça fait des conflits entre nous deux. Le matin, je me réveille avec les articulations tendues, mal au dos. Avant je faisais du badminton, je venais travailler en vélo. C’est loin tout ça. Et puis les autres qui me disent « Tu es bien placée maintenant, tu es près du bon dieu ! ». Tu parles, je suis catégorie C, je gagne un Smig et demi, je préfère ne pas calculer combien je gagne de l’heure…

*Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.

 
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