Chroniques du travail aliéné : Magali*, directrice adjointe de département




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).


<titre|titre : "Ils sont censés obéir ou se démettre">

Lundi dernier, je suis partie du boulot en plaquant tout. Je tenais sur le stress, je dormais très peu, deux ou trois heures. La nuit je bossais sur mes mails. J’ai de grosses journées, je dépose la petite à la garderie dès qu’elle ouvre à 7 heures et demie. Je reviens la chercher chez la nourrice vers 19 heures. J’ai accepté cet avancement pour pouvoir élever mes enfants seule. Je dois effectuer une réduction de personnel. Mais ici j’ai en face de moi des gens agressifs qui ne comprennent pas ma démarche. Lundi, un des délégués syndicaux m’a agressée verbalement.

Pourtant, j’ai mis en place des groupes de réorganisation pour aller vers les objectifs qui nous sont imposés, il faut inventer des outils pour faciliter les choses, trouver des bonnes pratiques. Mais ils étaient contre l’aménagement des réductions de postes, évidemment. À force de leur expliquer qu’il fallait être « force de propositions », certains avaient fini par marcher. Il y a aussi des gens aigris, ils voient ça comme une nouvelle contrainte. Le délégué m’a dit qu’on lui en demandait trop, je lui ai répondu que le couperet tomberait de toute façon, que les cibles en effectifs ont été données mais qu’on pouvait tenter de limiter la casse.

On est censés réduire les effectifs sans licencier. Dès qu’on leur dit qu’ils n’auront plus de travail, les meilleurs partent. On ne les remplace pas ; les mutations et les retraites non plus, mais évidemment ça augmente la charge de travail. 100 personnes sont concernées. Au début on n’avait pas le droit d’en parler mais ils avaient des infos par ailleurs. Il y a des incertitudes, on ne sait pas en fait si on ne les obligera pas à partir. Je ne suis pas soutenue non plus par la direction générale. Les chefs intermédiaires font de la rébellion, alors qu’ils sont censés obéir ou se démettre. J’aurais dû leur dire qu’ils étaient en faute professionnelle, mais on m’a forcée à leur proposer de l’avancement.

Je pensais que j’étais dans une société qui n’achetait pas les gens… Pourtant j’en ai vu des choses, des pots de vins de fournisseurs et des tas de trucs. Même moi, peut-être, mes promotions… Et puis les deux derniers licenciements c’était des cadres sup, « défaut de management » et « comportement asocial »… Ce n’est pas rassurant. Depuis mon arrêt de travail, j’ai moins d’eczéma sur les mains et sur les pieds, pourtant il faut absolument que j’y retourne parce qu’un burn-out dans ces périodes de réduction ce serait une aubaine pour eux…

* Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.

 
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