Cinéma : Carles, « Volem rien foutre al païs »




Un Denis Kessler perdant son sang-froid à l’évocation des assassinats ciblés d’Action Directe ; des néo-ruraux qui vantent les bienfaits des “ toilettes en sec ” ou de la maison à base de bottes de paille ; des Barcelonais qui tendent une banderole contre le travail pendant une manif syndicale. Voici quelques-unes des nombreuses séquences qui s’entrecroisent dans le film Volem rien foutre al païs, sorte d’épisode 2 d’Attention danger travail qui sort avec plusieurs années de retard sur l’horaire prévu.

On en ressort enthousiasmé par la radicalité foutraque de la forme, mais avec un arrière-goût d’insatisfaction quant au fond. Alors, bien sûr, difficile de dire à Pierre Carles, Stéphane Goxe et Christophe Coelho que leur thèse n’est pas la bonne, car ils s’évertuent à s’éloigner autant que possible du film à thèse, de l’écriture filmique à la Michael Moore ou à la Naomi Klein où la démonstration avance mécaniquement, soulignée à grands traits rhétoriques. Pourtant, à la sortie du film (et cela se confirme lorsqu’on en discute avec les spectateurs), c’est bien l’idée que “ l’alternative est dans la désertion ” qui domine : la désertion du capitalisme et de la société de consommation, pour aller se construire son petit îlot d’utopie ; la désertion, et non la lutte.

Car sous l’apparente radicalité de leur critique du travail aliéné, on ressent fortement l’absence des bonnes vieilles notions théoriques comme lutte de classe, rapport de production, profit ou exploitation, tous ces outils qui restent quand même irremplaçables pour disséquer le fonctionnement du capitalisme. Certes, les auteurs ont sans doute raison de préférer la poésie à la pédagogie, les discours burlesques aux analyses désincarnées. Mais ils auraient pu trouver une approche poétique et burlesque des mécanismes véritables du capitalisme. Ainsi, plutôt que de placer le débat sur des questions comme : “Est-il légitime de vivre avec 500 euros par mois sans travailler ?”, il serait plus pertinent d’aborder des questions comme : “Est-il légitime de vivre avec 500.000 euros par mois sans travailler, en décidant en outre de la vie de milliers de travailleurs ?”.

Au lieu de cela, on trouve quelques thèmes très en affinité avec la renaissance actuelle de l’écologie politique autour de l’idée de “ décroissance ” ; intuition confirmée par les références bibliographiques que l’on trouve dans le quatre-pages diffusé à la sortie de la salle : Jacques Ellul, François Partant, Serge Latouche... Dans cette mouvance, seule l’idéologie (productiviste, consumériste) est visée dans le capitalisme, et non les mécanismes réels de domination qui la sous-tendent : d’où l’idée que la désertion, l’“ alter-concommation ” et la lutte sur le pur terrain des idées suffiront à faire s’écrouler le système.

Dans Volem, on sent la volonté des auteurs de faire le lien entre cette critique très idéaliste et une lutte de classe un peu plus conséquente (ainsi des incursions de Pierre Carles à l’Université d’été du Medef) Mais la synthèse est loin d’être évidente ! Que cela ne vous empêche pas d’aller voir le film, qui est malgré tout un petit bonheur, même s’il mérite un gros débat après pour tout remettre à plat.

Sébastien Marchal (AL Paris nord est)

  • Pierre Carles, Christophe Coello et Stéphane Goxe, Volem rien foutre al païs, 107 mn
 
☰ Accès rapide
Retour en haut