Cinéma : Paul Carpita, L’instit à la caméra




La 15e édition du festival rennais de cinéma Travelling consacrait pour la première fois, après Dublin, Lisbonne, Téhéran, son édition à une ville française. Le choix de Paris, trop évident, fut repoussé au profit de Marseille, ville riche avec des genres cinématographiques très différents, du film de gangsters aux inévitables réalisations des studios Pagnol en passant par le cinéma social en rupture avec les deux précédents. Cette flamme aujourd’hui représentée par Robert Guédiguian trouve ses sources avec le parcours infatigable d’un cinéaste semi-amateur, Paul Carpita.

Le Rendez-vous des quais, film le plus connu de son œuvre, possède également la caractéristique d’avoir été le film français censuré le plus longtemps, de 1950, année de sa saisie lors de la seconde projection à Marseille, à 1990, année où il fut retrouvé et enfin diffusé. Ce qui était au départ une histoire d’amour - et le premier « vrai » film de Carpita, « réalisateur » dès l’âge de 8 ans en 1930 ! - tournée sur les docks marseillais devient un film anticolonialiste lorsque le réalisateur y insère des images de la grève des dockers contre la guerre d’Indochine. Cette censure et la violence policière qui accompagne la saisie marqueront à jamais l’homme, qui raconte cette censure dans nombre de ses films suivants, essentiellement des court-métrages, tout en poursuivant une carrière d’instituteur qui aime bien les « sauvageons » de l’époque.

Des Lapins dans la tête est sans doute le plus réussi de ses court-métrages, qui nous raconte l’histoire d’un écolier rêveur qui quitte sa classe pour un univers imaginaire en compagnie du bonhomme qu’il a dessiné pendant la classe. Le maître, comme l’on disait alors, le ramènera durement à la réalité et la fable nous interroge sur la place impossible du poète dans une société normative.

Le rêve vire parfois au cauchemar comme pour Gérard dans Demain l’amour, film de 1962, qui mêle les sentiments brisés d’un appelé de retour d’Algérie avec les images du réel lorsque celui-ci perd le contrôle de sa Simca Arronde. Si le spectateur ne sait pas à quelles atrocités il a pu assister ou participer, le montage en lignes de fractures est superbement réalisé et mêle sirène d’ambulance, baisers, retour impossible à la vie civile symbolisant le traumatisme de milliers d’appelés et rejoignant en cela l’œuvre de René Vautier, autre invité du festival.

Une petite merveille enfin, le troisième long-métrage de Paul Carpita, qu’il a réalisé en 2002 à l’âge de 80 ans, Marche ou rêve, les homards de l’utopie. Une bande de trois copains, dont un infatigable militant, Toinou, virés de l’usine Plurimétal, décident de mettre en commun leurs indemnités de licenciements pour monter un commerce de coquillages.

Entre braconnage de homards dans les zones de pêche et apéros à l’anis, la vie est plutôt belle du côté de Martigues, jusqu’au jour où Toinou est victime d’un accident qui doit le laisser paraplégique. Seulement voilà, quand la faculté s’est trompée de radios à l’hôpital et que l’assurance a payé la prime, rien ne vaut un petit miracle « mais un miracle laïque ! » pour repartir du bon pied ! C’est drôle, émouvant, colérique, à l’image de Paul Carpita. Celui-ci prépare actuellement un nouveau long-métrage, Le Dessin, version longue des Lapins dans la tête. À ne pas rater, et si vous faites un tour vers Marseille, délaissez la Canebière pour la friche de la Belle de mai.

A. Doinel

 
☰ Accès rapide
Retour en haut