Point de vue

Déconstruire les genres, est-ce souhaitable ?




Certains articles publiés en mars dernier ont fait réagir des militantes et des militants. Celles et ceux-ci ne sont en effet pas convaincu-e-s par l’idée développée dans le mouvement féministe de déconstruction des genres.

Dans le numéro de mars d’Alternative libertaire, deux articles titrés « Dépasser le couple » expliquaient aux lectrices et aux lecteurs, dont il est probable qu’une bonne partie vit en couple, que leur choix de vie résulte d’une aliénation. Ces articles nous ont d’abord causé un certain malaise, face à une expression que nous avons ressentie comme donneuse de leçon, comme une « vérité » apportée aux « masses aveugles ».

Mais au-delà de ce qui pourrait n’être que des maladresses d’expression, le raisonnement développé dans ces articles occulte un aspect fondamental de la vie sociale : l’enfantement et l’éducation des enfants. Cet « oubli », relativement courant dans la réflexion antipatriarcale, facilite des analyses à l’emporte-pièce. Il en est ainsi d’une thèse qui a fortement progressé ces dernières années dans le mouvement féministe. Celle-ci postule que la « déconstruction des genres » serait l’axe central de la lutte contre le système patriarcal. De quoi s’agit-il ?

Au-delà du sexe biologique, lors de l’acquisition du langage par l’enfant, celui-ci construit son identité sexuée, c’est-à-dire son genre : fille ou garçon. C’est par définition un processus culturel, liée à la prise de conscience de l’existence de ses deux parents - le processus d’identification n’est pas réellement différent dans le cas, par exemple d’une famille homoparentale. Il se trouve que dans la société patriarcale cette identification est associée à un modèle comportemental qui enjoint aux filles d’être douces et soumises et aux garçons d’être virils et de faire fi de leurs émotions. Ce mécanisme est fondamental dans le processus de reproduction de la domination et des violences imposées aux femmes.

Certaines et certains militants affirment qu’en « déconstruisant » les genres, qu’en amenant l’enfant à ne plus se vivre comme fille ou garçon, mais simplement comme un être asexué, on résoudrait le problème et que le patriarcat vacillerait sur ses bases. Pourtant, l’existence des genres est-elle en soi porteuse de domination ? Et leur disparition est-elle possible ? Rien ne permet de répondre positivement à ces questions. C’est une simple affirmation idéologique à laquelle nous n’adhérons pas.

Il nous semble improbable de pouvoir casser cette identification de l’enfant à une des deux fonctions possibles au sein du processus reproductif.

Rééquilibrer les rôles
Certes, aujourd’hui, elle se réalise dans le cadre d’un système de domination, mais c’est d’abord parce que la place de la femme dans la société est dévalorisée. La maternité, telle qu’elle est organisée dans la société, pèse lourdement dans la marginalisation sociale des femmes. Un exemple évident est l’inégalité des revenus, qui explose après la naissance des enfants : sous prétexte de moindre disponibilité des mères, celles-ci voient généralement leur évolution professionnelle bloquée.

L’enjeu central de la lutte contre le système patriarcal est donc non pas une « déconstruction des genres » vouée à l’échec, mais la transformation du contenu des genres, leur « reconstruction ». Cela passera par une redéfinition des rôles des deux parents. Le patriarcat fait de la femme la principale, voire l’unique actrice face au petit enfant. Pour rompre avec cela, il faut un combat idéologique pour une prise de conscience que les femmes n’ont pas à subir la « double journée de travail », salarié puis domestique. Parvenir à faire prendre aux hommes toute leur part dans les soins apportés aux nourrissons, pourrait être le fondement d’une rupture avec les comportements du patriarcat. Sans doute faudra-t-il pour cela des évolutions, telles une réduction importante du temps de travail, sans réduction de rémunération, accessibles aux deux parents pendant la petite enfance.

Diversité des modes de vie

Comment les familles s’organiseront-elle au sein d’une société non patriarcale ? Il n’y aura certainement pas un modèle unique. On peut imaginer qu’existera, plus qu’aujourd’hui, une diversité assumée des modes de vie. Le rééquilibrage des rôles homme-femme, nécessaire à la déconstruction de l’image dévalorisée des femmes, ne pourra se faire sans que chaque parent assume à égalité ses responsabilités. Dans cet objectif, une certaine stabilité affective du couple parental – nous ne parlons pas ici de la « fidélité » sexuelle, qui est une toute autre question et une communauté de vie durable ne sont en rien des obstacles à la libération des femmes, contrairement à ce qu’affirment les articles parus en mars dernier.

Erell (AL Corrèze), Ermon (AL Lorient), Jacques Dubart (AL Agen), Sion (AL Aix), Marine (AL Aix), Valentin Frémonti (AL Aix) , Laetitia (AL Paris Nord-Est)

 
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