Dossier 1914 : Viviani : l’art de l’enfumage gouvernemental




Totalement dépassé par les événements sur la scène diplomatique, incapable de freiner son allié russe, le gouvernement français s’est essentiellement soucié, en juillet 1914, de maintenir l’ordre intérieur, et de souder la population derrière lui. Il y parviendra en amadouant les socialistes et en menaçant les syndicalistes.

Du 25 juillet au 4 août 1914, l’État français se trouve face à une situation qu’il préparait depuis des années. Conquête du Maroc, militarisation du pays, course aux armements, renforcement de l’alliance russe, loi de trois ans… Depuis 1911, la politique extérieure et intérieure de l’État français a largement contribué à la montée des tensions bellicistes.

Toutes ses responsabilités profondes vont pourtant être occultées, durant ces onze jours de crise, par la focalisation sur les responsabilités immédiates de l’Autriche-Hongrie. C’est bien elle qui va commettre l’agression première. Et c’est bien la Russie qui, en mobilisant, va étendre le conflit à tout le continent. Ces deux faits suffiront à ancrer, dans l’opinion publique, l’idée que « la France n’a pas voulu la guerre, elle lui a été imposée ».

Cela va grandement aider le gouvernement à tenir les seuls objectifs qu’il s’assigne durant ces dix jours d’incertitude : maintenir l’ordre intérieur ; endiguer l’opposition pacifiste ; rassembler la population derrière lui.

René Viviani (1862-1925)
Cet ancien socialiste proche de Jaurès est devenu, en juin 1914, président du conseil. Passif durant la crise
de juillet, il est néanmoins soutenu par le PS.

Pour ce faire, le gouvernement Viviani va suivre une ligne politique très habile, beaucoup plus que celle qu’aurait probablement adoptée, par exemple, un cogneur comme Clemenceau.

C’est vis-à-vis des socialistes que la tâche va être la plus aisée. Viviani est l’ancien bras droit de Jaurès. Ensemble, ils ont fondé L’Humanité, avant que Viviani fasse une carrière ministérielle. Mais les affinités sont demeurées, et le PS a ses entrées au gou­vernement, où on lui distille des infor­mations intéressées, qu’il s’empresse de colporter.

Durant ces onze jours cruciaux, Viviani va ainsi enfumer les socialistes : primo, en les assurant qu’il « œuvre pour la paix » (alors qu’il est passif) ; secundo, en leur faisant croire que la crise européenne va durer plusieurs semaines (et qu’ils ont donc tout le temps de s’alarmer) ; tertio, en insinuant qu’une vague d’arrestations est sur le point de décapiter la CGT (ce que les socialistes vont répéter aux intéressés, semant une certaine confusion). Grâce à cette politique, Viviani va s’attacher l’appui des socialistes — d’abord pour la paix, ensuite pour la défense nationale.

Vis-à-vis des syndicalistes, avec ­lesquels il n’a que des contacts ­indirects, le gouvernement va limiter la répression, usant moins de la matraque que de la menace. La matraque, il va l’appliquer aux manifestations de rue ; la menace, c’est celle du Carnet B et du peloton d’exécution.

Quand les chefs syndicalistes seront convaincus que la classe ouvrière ne les suivra pas dans une grève générale contre un gouvernement considéré comme pacifique, ils renonceront à se sacrifier en vain.

Quant aux anarchistes, le gouvernement se contentera de neutraliser les plus dangereux. La stratégie de « sabotage de la mobilisation » de la FCA ne fonctionnait que si la France endossait le rôle de l’agresseur, ou si une grève générale créait un climat propice à cette action radicale. En l’absence d’une véritable agitation populaire, l’action anarchiste se voyait privée de véhicule.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)


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 Verbatim : Émile Aubin : « Silence, les gueulards ! »
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