Dossier Black Revolution : Les Black Panthers... au-delà du mythe




L’évocation du Black Panther Party réveille bien souvent des sentiments contradictoires parmi les révolutionnaires, entre fascination et circonspection. Il est donc essentiel d’en avoir une approche détachée pour comprendre la fulgurante histoire de ce parti et tirer le bilan de ces expériences pour les luttes actuelles.

Dès sa création le Black Panther Party (BPP) attire l’attention des autorités américaines et particulièrement celle du FBI, qui va dans les années 1960-1970 être très active contre les mouvements révolutionnaires. Avec le BPP, le FBI va se montrer impitoyable, tous les moyens seront bons pour éradiquer cette organisation politique. D’une certaine manière, le BPP a condensé toutes les peurs de l’Amérique blanche, raciste et puritaine.

L’émergence du Black Power

Le BPP naît à Oakland (Californie) en octobre 1966. Dix ans auparavant, le Mouvement pour les droits civiques éclatait dans le Sud ségrégationniste des États-Unis. Ce mouvement pacifiste pour l’égalité des droits a secoué les États-Unis pendant dix bonnes années. Mais la violence, la misère et le racisme demeurent et en 1965 éclatent les émeutes de Watts. La violence politique n’est pas en reste, la Guerre du Vietnam fait rage et les mouvements de contestation sont violemment réprimés. Des étudiants et étudiantes se lanceront dans la lutte armée avec la création du Weather Underground. Entre 1965 et 1968 deux grandes figures de la cause des Noirs sont assassinées : Malcom X et Martin Luther King.

C’est dans ce contexte qu’émerge le Black Power, avec une nouvelle génération de militants pour qui les acteurs et actrices du mouvement des droits civiques sont des «  oncles Tom  », des Noirs soumis aux Blancs. Ces jeunes Noirs vont se définir comme «  Afro-Américains  » et considèrent que les Noirs doivent s’émanciper des valeurs culturelles imposées par les Blancs. Cela passe par une nouvelle éducation où les Noirs doivent apprendre à ne plus se sentir inférieur-e-s et par un retour aux racines africaines.

Racines idéologiques du BPP

Le BPP va être grandement influencé par deux figures tutélaires, le leader nationaliste noir Malcom X et le célèbre psychiatre et théoricien marxiste martiniquais Frantz Fanon. L’influence de l’auteur des Damnés de la terre va être considérable, c’est en effet le premier à s’intéresser à la cause des Noirs et plus largement aux peuples colonisés dans le monde en terme de classe. Les panthères vont transposer les réflexions de Fanon au cas des Afro-Aéricains. Le Petit Livre rouge de Mao et les écrits et discours
d’Ernesto Guevara et de Fidel Castro sont également des influences idéologiques pour l’organisation.

D’ailleurs chaque jeune recrue doit lire le recueil de citations de Mao. Le BPP est clairement marxiste-léniniste, teinté de nationalisme noir américain. La fascination pour le lumpenprolétariat et pour la violence révolutionnaire empruntée à la fois à Fanon et à Malcom X et appliquée plus ou moins maladroitement au cas américain sera aussi pour quelque chose dans la chute du BPP, le FBI étant parvenu en effet à la retourner contre eux.

La naissance du BPP

Le BPP est créé par Bobby Seale et Huey P. Newton en 1966. Les deux hommes se sont rencontrés une première fois en 1962, le premier soutient le Mouvement pour les droits civiques et le second se sent plus proche de Malcom X. Ils se retrouvent en 1965, et réfléchissent à une organisation révolutionnaire pour les Afro-Américains. Ils ne se reconnaissent pas dans celles qui existent, car ils ne sont pas suprématistes noirs et font la différence entre les Blancs racistes et les non racistes. La lutte des classes est aussi incontournable comme lecture de la société. Ils se joignent à une association d’universitaires noirs qui militent au Merritt College d’Oakland. Mais ce n’est pas satisfaisant, leurs propositions sont jugées trop radicales par les universitaires et étudiants et les deux hommes ne veulent pas être des « révolutionnaires de salon ». Ils décident alors de retourner dans les rues d’Oakland et c’est en octobre 1966 dans les locaux de l’Agence fédérale contre la pauvreté que va être rédigé le fameux programme politique en dix points du BPP.

Un programme en dix points

Huey P. Newton souhaite que le programme articule dialectiquement des propositions concrètes et idéologiques. Les Afro-Américains doivent pouvoir y trouver des réponses réalisables pour leurs problèmes du quotidien tout en prenant conscience de leur condition d’opprimées. L’objectif à long terme étant la révolution pour permettre l’émancipation des Noirs et des peuples du Tiers-monde.

  1. Nous voulons la liberté. Nous voulons le pouvoir de déterminer la destinée de notre communauté noire [...].
  2. le plein emploi [...].
  3. que cesse le pillage de la communauté noire par les Blancs. [...].
  4. des logements décents [...].
  5. l’éducation de notre Peuple [...] un enseignement qui nous apprenne notre véritable histoire et notre rôle dans la société d’aujourd’hui [...].
  6. que tous les Noirs soient exemptés du service militaire [...].
  7. Nous voulons la fin immédiate de la BRUTALITÉ POLICIÈRE et du MEURTRE des Noirs [...].
  8. la liberté pour tous les hommes noirs détenus dans les prisons fédérales […]
  9. que tous les Noirs, lorsqu’ils comparaissent devant un tribunal, soient jugés par un jury composé de leurs pairs, ou par des gens issus de la communauté noire […]
  10. Nous voulons de la terre, du pain, des logements, un enseignement, de quoi nous vêtir, la justice et la paix (et comme principal objectif politique : un plébiscite supervisé par l’Organisation des nations unies, se déroulant dans la colonie noire et auquel ne pourront participer que des sujets noirs colonisés afin de déterminer la volonté du peuple noir quant à sa destinée nationale).

Premières actions et succès

Ce programme restera en vigueur jusqu’en 1972, il attira de nombreux militants et militantes noires comme Eldrige Cleaver, qui se rendra célèbre pour sa rhétorique. La première application concrète de ce programme fut la création de milices d’auto-défense pour protéger la communauté noire contre les violences verbales et physiques de la police.

Il ne faut pas oublier en effet que le nom intégral de l’organisation était The Black Panther Party for Self-Defense. Le but étant de permettre aux habitants et habitantes du ghetto de ne plus vivre dans la peur des brutalités policières presque quotidiennes. Mais aussi de redonner une certaine fierté à la communauté noire. Daniel Guérin rapporte que des milices composées de quatre ou cinq hommes patrouillaient dans les quartiers en uniforme. Ils avaient avec eux des armes, des magnétophones et des manuels de droit. Leur principale mission était de donner des conseils juridiques et surveiller la police à chaque interpellation afin d’empêcher tout abus de droit. Très vite l’organisation rencontra une certaine notoriété surtout auprès des plus jeunes. Notamment par l’emploi d’un vocabulaire particulièrement agressif envers la police et les politiciens. Dans leur discours ils avaient fréquemment recours au parler de la rue, associant rhétorique marxiste et argot du ghetto.

Le 1er avril 1967 un jeune Noir est abattu sous les balles de la police, le BPP organise des mobilisations pour soutenir la famille et demander que justice soit faite. C’est à ce moment-là que sort le premier numéro du journal de l’organisation  ; The Black Panthers Black Community News Service. Alors que leur succès est grandissant, une manifestation va particulièrement faire rentrer les Panthères sur le devant de la scène politique et marquer profondément l’imaginaire des États-Unis. Le BPP aime jouer la carte de la provocation. C’est à ce moment-là qu’il va faire la une des médias. En ce début d’année 1967 le sénateur Mulford qui souhaite lutter contre les groupes armés d’extrême gauche propose un projet de loi qui vise à interdire le port d’arme. Il est soutenu par le gouverneur de Californie, Ronald Reagan bien que cela aille à l’encontre de l’idéologie dominante américaine. Le BPP organise en avril 1967 une manifestation devant et dans le Capitole de Sacramento. Ils sont en uniforme et armés.

Bobby Seale prononce un discours révolutionnaire à destination de la communauté noire américaine et plus largement pour toutes et tous les opprimées. Leur aura est grandissante, mais dans le même temps ils se forgent une image d’ennemis intérieurs pour beaucoup de téléspectateurs. Les autorités américaines ne leur pardonneront jamais ce coup d’éclat réussi et la guerre est déclarée.

Bobby Seale est condamné à six mois de prison pour trouble à l’ordre public. Quelques mois plus tard, en octobre 1967 Huey P. Newton est arrêté par un policier alors qu’il circule en voiture, une fusillade s’ensuit. L’officier de police meurt sur le coup, Newton est grièvement blessé. Il sera inculpé pour meurtre alors qu’il est toujours hospitalisé.

C’est à ce moment-là que débutent de nombreuses campagnes de soutien pour leur libération. Elles trouvent un large soutien jusque dans les milieux libéraux (de gauche) blancs. Le parti se développe au niveau national.

Le programme social du BPP : au service de la communauté

Le BPP devenu plus important peut alors organiser et appliquer son programme social. La majorité des Afro-Américains vivent dans la pauvreté. L’organisation veut aider concrètement la communauté. Sont alors organisés des petits-déjeuners gratuits pour les enfants, des distributions de vêtements, des cliniques gratuites de soins, des coopératives immobilières, des aides pour les personnes âgées. Les prisonniers ne sont pas non plus oubliés puisque des bus gratuits pour les prisons sont organisés pour les familles. Le BPP organise aussi des campagnes de dépistage. Et bien sûr l’éducation des jeunes demeure l’une des priorités. Le FBI regarde ces actions d’un très mauvais oeil. J. Edgar Hoover a conscience que leur influence va grandir et que cela améliore aussi l’image des Panthères qui ne sont plus vues comme des Noirs criminels armés.

Une répression extrêmement violente

C’est à partir de ce moment que le FBI va se montrer impitoyable. Toutes les méthodes seront bonnes pour anéantir le BPP. Les militants et militantes sont harcelé-e-s par la police mais aussi leur soutien. Tout sera fait pour que le journal ne soit plus distribué. La police débarque violemment lors des distributions de nourriture, effrayant tout le monde. L’organisation est mise sur écoute, infiltrée à tous les niveaux. Le FBI recrute des gangsters pour gangrener l’organisation. Des rumeurs sont lancées par les autorités via de faux communiqués pour diviser les membres de l’organisation. L’une des stratégies les plus efficaces est en effet d’instaurer un climat de paranoïa.
Les procès qui ont lieu contre certains membres sont truqués. Rien n’est laissé au hasard. Cela va de la désinformation jusqu’au meurtre politique. Les plus célèbres sont les assassinats de Bunchy Carter, John Huggins ou encore celui de Fred Hampton. Au début des années 1970, 28 militants ont été assassinés par le FBI et beaucoup d’autres sont emprisonnés. D’après Ward Churchill, spécialiste des méthodes du FBI, à la fin de l’année 1971, l’organisation telle qu’elle fonctionnait est littéralement détruite.

1973-1982 : longue agonie du BPP

Après 1973, le parti n’existe plus au niveau national. Pour beaucoup de ses membres ce n’est qu’une longue descente aux enfers marquée par l’exil en Algérie comme Eldrige Cleaver, l’entrée dans la clandestinité en tant que fugitifs, la prison, voir la déchéance comme Huey P. Newton qui sombre dans la drogue et qui flirte avec le proxénétisme. En 1971, la branche armée clandestine de l’organisation, la Black Liberation Army avait scissionné. Elle va demeurer active jusqu’en 1981, après de nombreuses arrestations et meurtres de ses membres. Son dernier coup d’éclat est l’attaque d’un fourgon blindé avec le Weather Underground. Une autre partie des militants continue d’être active au niveau local mais leur action a pris une orientation nettement associative et réformiste. Les mots d’ordre révolutionnaires ont été évacués de leur discours. Certains membres comme Bobby Seale tentent leur chance pour être élus au conseil municipal d’Oakland. De 1977 à 1982, seule l’école et le journal fondés par l’organisation vont encore fonctionner. La fermeture officielle en 1982 de l’école marque la fin définitive du BPP.

Bilan : entre admiration et scepticisme

On ne peut qu’être d’accord avec Daniel Guérin qui dès le début des années 70 reprochait aux Panthères leur autoritarisme, leur amateurisme, leur fascination pour les armes et la violence, leur idéalisation du lumpenprolétariat comme sujet révolutionnaire. Mais aussi leur discipline quasi militaire, leur virilisme et leur sexisme malgré les rôles importants accordés parfois à certaines militantes. Guérin pointait aussi l’oscillation permanente de certains de ses membres entre réformisme et révolution.
Malgré tout, c’est aussi parce qu’ils et elles ont voulu changer l’ordre des choses que le BPP s’est attiré les foudres des autorités étasuniennes. Les Panthères ont souhaité redonner une fierté à la communauté noire américaine et que le peuple réapprenne à se prendre en main en devenant un acteur politique de premier plan. Les autorités leur ont bien rendu la pareille et aujourd’hui encore des dizaines de membres sont emprisonnés malgré les innombrables campagnes de soutien à travers le monde.

Florian (AL Paris Sud)

Deux références sur le sujet :

  • Tom Van Eersel, Panthères Noires Histoire du Black Panther Party, 2006, L’échappée.
  • Daniel Guérin, De l’Oncle Tom aux Panthères noires, Les bons caractères, 2010 (1973).

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