Dossier Black Revolution : Malcom X : Une vie en noir et blanc




La vie et le parcours politique de Malcolm X fait toujours écho au vécu de nombreux jeunes des quartiers populaires à travers le monde, comme il faisait écho à l’époque à celui de nombre de Noirs des ghettos. En cela, son parcours est éminemment politique et riche d’enseignements.

Le parcours politique de Malcolm X ne fut pas lent et évolutif mais le fruit de ruptures brusques et profondes. Sa vie a été une succession de coups de théâtre [1]. Après une petite enfance stable, survint la mort de son père suivie de la dégénérescence mentale de sa mère qui le plaça à l’assistance sociale. Puis, une enfance relativement préservée au sein des écoles blanches. Malcolm voulut devenir avocat, mais un de ses professeurs l’en dissuada parce qu’il était noir, lui conseillant de devenir charpentier  [2].

S’affranchissant de ses tuteurs, il rentra dans la jungle de Harlem, et connut une vie de petit délinquant, fait de trafics et de consommation de drogue, de cambriolages, de jeux… Incarcéré, la prison le façonna à nouveau, sa vie de détenu le changea du tout au tout. Il entre en prison délinquant et drogué  ; ses compagnons de cellule l’appellent Satan en raison de sa haine de la religion. Il ressort de ces sept années de prison converti à l’église Nation of Islam prêchée par l’« honorable Elijah Mohamed ». Nouvelle mutation quand Malcolm devient un guide politique et un nouveau tribun du mouvement dont il contribuera considérablement à l’ascension : celui-ci passe de 500 membres quand Malcolm y adhère à environ 50.000 douze ans plus tard.

Une vie de rupture et de radicalité

Nouvelle rupture violente quand Malcolm est exclu des Black Muslims. Plusieurs raisons expliquent cette rupture  : d’une part, les scandales d’adultère d’Elijah Mohamed avec plusieurs de ses secrétaires font vaciller la confiance inébranlable que Malcolm vouait à son mentor ; d’autre part, la rivalité de ce dernier face à l’ascension médiatique du premier.
Surtout, Malcolm est impatient d’agir  : il voit les mouvements de contestation noirs grossir et veut s’y engager.

La cause de son éviction fut un événement mineur  : ses propos sur la mort de Kennedy, Malcolm se disant réjoui de voir  « la volaille de la haine et de la violence que les États-Unis ont lâché dans le pays et à travers le monde revenir au poulailler ». Ce fut le prétexte pour l’exclure.

Si à ce moment la dissension avec les Black Muslims n’était pas d’ordre idéologique, malgré tout, à partir de ce moment, sa pensée était partie pour évoluer très rapidement, de mois en mois, suite notamment aux différents voyages et rencontres qu’il fit en Afrique et au Moyen-Orient. Les semaines qui suivirent l’amenèrent à une position de nationalisme noir pur et simple, sans dimension religieuse. Il restait à l’écart du mouvement intégrationniste et n’abandonna jamais son rejet des « oncles Tom » (Noirs acceptant voire collaborant à l’oppression blanche). Malgré son isolationnisme, cette position avait le mérite de mettre en garde les Noirs contre une soumission aux intérêts des privilégiés.

Lors de son pèlerinage à la Mecque, le contact des pèlerins de toutes les couleurs venus du monde entier l’amène à refuser la condamnation en bloc des Blancs. Son vécu américain ne lui laissait pas auparavant penser qu’il pouvait n’y avoir aucun problème de couleur entre les gens. Il se rebaptisa El Hadj Malik Al Shabbaz.

A son retour aux États-Unis, il sépara son engagement religieux (la Muslim Mosque Inc.) et ses activités politiques avec la création de l’Organisation de l’unité afro-américaine ouverte aux Noirs quelles que soient leurs croyances. Il se libéra de ce que son idéologie avait encore de simpliste et de sectaire, et de commun avec les Black Muslims.

Abandonnant l’idée d’un territoire séparé ou d’un retour en Afrique, il était prêt à faire un bout de chemin avec les intégrationnistes, tout en restant fortement incrédule sur cette stratégie  :  « intégrationnisme ou séparatisme ne sont que des stratégies, mais notre objectif commun est la justice »   [3].

Malcolm prédit que ses ennemis, après sa mort, le travestiraient comme un symbole de haine. Il fallait l’abattre avant qu’il ne devienne trop dangereux. Il fut assassiné le 21 février 1965 durant une conférence qu’il tenait à Harlem. Le secrétaire personnel de Malcolm déclara  :  « Il était une épine dans le pied d’un formidable appareil de pouvoir décidé à entrer en guerre en Asie contre les autres peuples non blancs. Le meurtre émane des même forces qui assassinèrent Lumumba… » [4].

La politique : une émancipation

Le parcours de Malcolm X illustre une forme de réappropriation de sa vie et d’émancipation par l’engagement politique. Sa vie, Malcolm en parla sans jamais rien omettre, il évoquait son passé de hors-la-loi sans remords ni forfanterie  : s’il entendait aller au fond de son histoire, c’est afin d’aider ses frères noirs à penser une émancipation collective  [5]. Malcolm a ouvert la voie à une orientation politique dégagée des analyses binaires (non plus Noirs contre Blancs, mais opprimés contre oppresseurs) et surtout plus radicale, qui allait changer le visage du mouvement d’émancipation noir.

Nicolas Pasadena (commission antiraciste)


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[1Daniel Guérin, De l’oncle Tom aux panthères noires, Les bons caractères, 2010.

[2Malcolm X et Halex Haley, Biographie de Malcolm X, Grasset, 1993.

[3Malcolm X et Halex Haley, Biographie de Malcolm X, Grasset, 1993.

[4Daniel Guérin, De l’oncle Tom aux panthères noires, Les bons caractères, 2010.

[5Daniel Guérin, De l’oncle Tom aux panthères noires, Les bons caractères, 2010.

 
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