Entretien

Dossier prison : Gabriel Mouesca (OIP) : « L’abolition ne tient pas de l’utopie »




Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’Observatoire international des prisons (OIP), créé en 1996, s’attache à promouvoir le respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes incarcérées. Son président, Gabriel Mouesca, lui-même ancien détenu, fait le point sur la situation française.

Alternative libertaire : En fin d’année 2006 se sont tenus les États généraux de la condition pénitentiaire, dont l’OIP a été partie prenante. Quelles en sont les conclusions ?

Gabriel Mouesca : L’originalité de cette démarche réside dans le fait que l’ensemble des acteurs du monde judiciaire et carcéral français aient répondu à un seul et même questionnaire. Qu’ils soient magistrat-e-s, avocat-e-s, personnels surveillants, aumôniers, médecins, instituteurs ou institutrices, associatifs intervenant en milieu carcéral, mais également personnes détenues ou membres de familles de personnes détenues. Le premier enseignement est que la quasi-totalité des 20.000 questionnaires qui ont été remplis soulignaient les mêmes choses. Qu’il s’agisse des dysfonctionnements, des illégalités constatées ou de la contre-productivité de l’outil prison. Quant aux réformes souhaitées, elles étaient globalement partagées par l’ensemble des participant-e-s. Cela démontre que, non soumis aux pressions syndicales ou autres, mais aussi en présentant les garanties d’une libre expression individuelle, ceux qui vivent ou travaillent ou interviennent en milieu carcéral parviennent tous à exprimer les mêmes critiques et les mêmes objectifs de réforme.

Que devrait contenir cette réforme pour être réellement en rupture avec les logiques carcérales actuelles ?

Gabriel Mouesca : Il nous faut parvenir à provoquer une inversion radicale de la logique de fonctionnement de l’institution pénitentiaire. Affirmer que la priorité est dans la réinsertion (ou insertion) et non plus dans l’obsession sécuritaire. Que la prison doit être l’ultime recours et non pas, comme c’est le cas actuellement, la réponse quasi systématique à tout acte délictueux. Ainsi, les sanctions non privatives de liberté seront privilégiées et appliquées. Des sanctions qui n’engendrent pas les conséquences détestables que provoque l’incarcération : désocialisation, appauvrissement, dévitalisation pour certaines et certains, etc.

Les cinq années qui viennent risquent d’être marquées par nombre de réformes sécuritaires (peines planchers pour les récidivistes, etc.). Quels sont les moyens les plus pertinents pour les combattre ?

Gabriel Mouesca : Il faut rappeler que nous sommes liés par des traités internationaux, que le Conseil de l’Europe nous invite à une autre politique pénale et carcérale. Sans cesse rappeler les règles pénitentiaires européennes qui représentent le minima à respecter. Il nous faut rester vigilant-e-s sur les mesures prises qui représentent des atteintes graves à des acquis sociaux et politiques obtenus par des dures luttes et qui représentent des avancées de la civilisation. Les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant sont autant de critères qu’il nous faut préserver à tout prix.

Un des freins majeurs à toute transformation du système carcéral ne reste-t-il pas l’image dont souffre le détenu dans la société, entre misérabilisme et rejet haineux ?

Gabriel Mouesca : Le frein premier à toute évolution est le manque de courage et d’esprit de responsabilité des responsables politiques. La prison est la peine du pauvre. Que l’on s’attaque aux racines de la pauvreté, aux facteurs d’injustice, aux inégalités, et nous n’aurons plus de prisons. Ce n’est pas de l’utopie, c’est une nécessité à atteindre pour que nos enfants et petits-enfants n’aient pas à affronter un monde d’une cruauté inouïe. Il faut agir en ce sens sans tarder !

Défendez-vous un statut particulier pour les détenus politiques, considérés aujourd’hui comme de droit commun ?

Gabriel Mouesca : L’OIP ne milite pas pour une différenciation des prisonniers. C’est facteur d’inégalité de traitement et donc la porte ouverte à des pratiques discriminatoires. Nous exigeons le respect du droit pour tous et toutes et le respect de la dignité pour toute personne détenue. L’administration pénitentiaire a historiquement basé son pouvoir – trop souvent totalitaire – sur la division, la différenciation et l’inégalité de traitement. Sachons ne pas l’oublier !

Que penses-tu des courants abolitionnistes ? Une société sans prison est-elle possible ?

Gabriel Mouesca : Comme indiqué plus haut, on sait que la société sans prison ne peut être qu’une société dénuée d’inégalités, d’injustices. C’est un objectif qui ne tient pas de l’utopie. Nous savons en effet quels sont les phénomènes qui produisent l’injustice, qui conditionnent les inégalités. Reste à les combattre. C’est l’affaire de toutes et tous. Chacun à son niveau. Être abolitionniste, c’est lutter contre toutes les prisons. Les prisons les plus solides sont bien celles de nos certitudes, de nos préjugés, de nos lâchetés au quotidien. L’abolitionnisme existe depuis que la prison existe. Ce courant politique est pour moi un courant d’avenir, il représente la victoire de la vie sur la mort, la victoire de la civilisation sur la barbarie. Car la prison n’est que barbarie !

propos recueillis par Antoine (AL Agen)

 
☰ Accès rapide
Retour en haut