Droits devants ! Prescription des fautes




Annie est embauchée en contrat saisonnier par une entreprise produisant des pruneaux en août 1999. Les contrats saisonniers se renouvellent jusqu’en avril 2007. Annie est alors embauchée en CDI. En juin 2008 avec une autre salariée et pour obliger l’entreprise à appliquer la convention collective, Annie demande la tenue d’élections du personnel et ensemble elles se portent candidates … La direction, outrée, mène une campagne de dénigrement, invite ­d’autres salariées à se présenter contre elles et ce sont ces « déléguées » qui sont élues. Annie est licenciée pour faute grave en juillet 2012.

Le licenciement pour faute grave est « motivé » par la réclamation d’un client ayant trouvé un caillou dans un sachet de raisin sec. L’entreprise explique que ce sachet a été trié par Annie. Les feuilles de travail produites par l’employeur démontrent qu’en une heure, Annie a trié seule 500 kg de raisins secs… L’employeur précise dans la lettre de licenciement : « Ce type de manquement professionnel n’est pas une première vous concernant puisque nous avons eu à déplorer plusieurs anomalies depuis 2009 qui ont fait l’objet de remarques sur les fiches qualité » et fait référence à deux lettres d’avertissement déjà envoyées en 2008, puis en 2010.

La gravité d’un grief ne s’apprécie pas en fonction du seul fait reproché, mais aussi au regard d’autres faits, même déjà sanctionnés, donc le caractère répétitif peut justifier y compris une faute grave… à condition toutefois de respecter les règles de prescription des fautes.
En premier lieu, une faute déjà sanctionnée depuis plus de trois ans est prescrite. Ainsi l’avertissement de 2008 ne pouvait plus être utilisé. Ensuite les faits mentionnés dans l’avertissement de 2010 n’auraient pu justifier une sanction aggravée que s’il y avait persistance ou répétition du fait déjà sanctionné, ce qui n’était pas le cas. Restait les « remarques sur les fiches qualité » n’ayant jamais donné lieu à sanction et qui dataient pour la plupart de plus de trois ans et pour la dernière – qui ne concernait pas un problème de tri – de deux ans et deux mois. Si des faits connus depuis plus de deux mois par l’employeur ne peuvent « à eux seuls » donner lieu à une sanction, le juge a estimé que ces faits « ne peuvent au surplus (…) être invoqués à l’appui du licenciement dès lors qu’ils sont antérieurs de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ».

Dès lors, « le manquement commis (…) constitue un premier manquement isolé, relevant plus de l’inattention que de l’insuffisance professionnelle et s’il constitue un motif de sanction disciplinaire, cette inattention ne saurait constituer (…) une cause légitime de licenciement ». Bref Annie aurait pu légalement être licenciée si six mois plus tôt elle avait laissé passer un autre caillou… Toutefois, ici, l’employeur a été condamné à verser 34 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par Jean-Luc Dupriez, défenseur syndical CGT

 
☰ Accès rapide
Retour en haut