Economie : Les capitalistes, assis sur un volcan




La crise économique a prostré d’effroi les sectateurs du néolibéralisme... qui se sont rapidement souvenu que l’État est toujours au service des riches, et qu’après l’avoir bafoué, celui-ci peut encore leur sauver la mise. Come-back de l’idéologie keynésienne. Mais cela suffira-t-il ?

A en croire les discours rassurants, l’action concertée des autorités monétaires internationales aurait donc réussi à juguler une « crise majeure du capitalisme, telle que celui-ci en a connu à la fin du XIXe siècle et dans les années 1930 » selon les mots de l’économiste Thomas Coutrot [1]. Mais les ravages de la crise sociale n’étant pas leur priorité, à tout le moins, la crise financière est-elle réellement surmontée ?

Deux ondes de choc en vue

Pour l’économiste et collaborateur au Monde diplomatique Frédéric Lordon, la crise actuelle est avant tout celle de la « basse pression salariale », alors que le « crédit est devenu la béquille d’un capitalisme où la rémunération du travail ne suffit plus à solvabiliser la demande des salariés » [2].

C’est le ressort de la crise de 2007-2008. Elle est loin d’être terminée, comme le montre une projection établie par le Crédit suisse montrant la montée en puissance des échéances des prêts révisables « subprimes » de 2007 à 2008, puis des prêts « Option ARM » et « Alt-A » de 2009 à 2011. Des noms barbares pour désigner ce sur quoi a fonctionné le prétendu « modèle américain » : un recours massif à l’endettement. C’est cette fuite en avant que le reflux économique laisse à nu. Le stock de dettes ne va pas s’évaporer et leur arrivée à échéance va provoquer de nouveaux chocs financiers sévères, qui frapperont un système déjà fragilisé par les premières étapes de la crise.

Le retour des États

Le 23 octobre 2008, Alan Greenspan, gouverneur pendant dix-huit ans de la banque centrale des États-Unis, la fameuse « Fed », était auditionné par une commission de la Chambre des représentants. Leur dialogue fut surréaliste : « Pensez-vous que votre idéologie vous a poussé à prendre des décisions que vous aimeriez aujourd’hui ne pas avoir prises ? » lui demanda-t-on. « “Oui, il y avait une faille”, lâche le “maître” devant une assemblée stupéfaite. [...] “Vous savez, c’est précisément pour cette raison que je suis en état de choc parce que j’ai considéré pendant quarante ans ou plus que cela fonctionnait exceptionnellement bien”. » [3] Cet aveu est un marqueur : celui de l’effondrement de l’idéologie néolibérale. On est loin du président Ronald Reagan, quand il déclarait, en 1981, dans son discours d’investiture : « L’État n’est pas la solution à nos problèmes... L’État est le problème. » Vingt-sept ans plus tard, le système financier américain n’a pu être provisoirement sauvé que par l’injection massive de fonds publics. Ce n’est donc pas un hasard que l’économiste Joseph Stiglitz, l’un des premiers à avoir anticipé la crise actuelle, préconise « encore quelques doses de médecine keynésienne » [4].

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Que préconise donc la « médecine keynésienne » ? Une intervention déterminée de l’Etat pour réguler l’économie, et des actions de soutien à l’activité économique par la dépense publique. Ces politiques ont été largement appliquées au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Outre que ces solutions ne peuvent résoudre durablement les tensions inhérentes au capitalisme, la question qui se pose aujourd’hui est tout simplement de savoir si la dégradation des finances des États permet encore une politique keynésienne.

Il faudrait pour cela qu’aucun nouveau choc financier majeur ne vienne frapper des économies fragilisées par la crise de 2007-2008. Il faudrait de surcroît que les finances publiques états-uniennes, plombées à la fois par des années de baisses d’impôts pour les plus riches et une explosion des dépenses militaires, puissent supporter le choc, ce qui est impossible sans remettre en cause les bases mêmes des marchés financiers.

Sueurs froides dans les hautes sphères

La victoire de l’idéologie néolibérale dans les années 1980, puis l’effondrement du bloc soviétique en 1989-1991 avaient permis au « philosophe » Francis Fukuyama de proclamer en 1992, dans La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, que la « démocratie libérale » était l’horizon indépassable de l’histoire humaine. Ce que Margaret Thatcher traduisait à sa façon avec l’acronyme « Tina » (« There is no alternative »).

Des lézardes étaient pourtant apparues dans le camp libéral dès 1998, à la suite de la crise asiatique : Maurice Allais, prix Nobel d’économie, tirait alors à boulets rouges sur la mondialisation et le fonctionnement des marchés financiers. Au-delà du débat académique opposant des libéraux entre eux, le déploiement de la crise suscite désormais chez nos élites des inquiétudes sur la pérennité de leur pouvoir.

Il est vital d’en avoir clairement conscience pour combattre le découragement qui apparaît trop souvent chez les militants anticapitalistes, face à l’impression que « rien ne bouge ».

Même les dirigeants les plus arrogants savent qu’ils sont assis sur un volcan. Ainsi de Nicolas Sarkozy devant les députés UMP : « Si j’étais assez dingue pour proposer à François Fillon une amnistie fiscale, on verrait ce qu’on verrait. Au nom du symbole, les Français peuvent renverser le pays. Regardez ce qui se passe en Grèce ». Et d’évoquer Louis XVI : « Les Français adorent quand je suis avec Carla dans le carrosse mais en même temps ils ont guillotiné le roi. » [5]

Le propos n’est pas anodin : la colère sociale, en période de crise aiguë du système capitaliste, pourrait bien emporter les pouvoirs en place. La précipitation des réformes libérales (impôts, privatisations, casse de la Sécu…) prend alors une autre signification : loin d’être un témoignage d’invulnérabilité, elle signifie qu’ils doivent utiliser toutes les fenêtres de tir avant que celles-ci ne se referment.

Le mot de la fin peut être laissé à Immanuel Wallerstein, qui écrivait dans Le Monde, en octobre 2008, que la « crise de système nous a fait entrer dans une période de chaos politique durant laquelle les acteurs dominants, à la tête des entreprises et des Etats occidentaux, vont faire tout ce qu’il est techniquement possible pour retrouver l’équilibre, mais il est fort probable qu’ils n’y parviendront pas. » [6]

Espérons-le !

Jean-Marc (AL Paris nord-est)

[1« Comment sortir du capitalisme ? », Attac France. Thomas Coutrot est un des animateurs du Réseau d’alterte sur les inégalités (RAI).

[2« La crise du capitalisme de basse pression salariale », Le Soir du 24 novembre 2008.

[3« Le mea culpa historique d’Alan Greenspan », Le Nouvel Observateur du 24 octobre 2008.

[4« Le printemps des zombies », Joseph Stiglitz, Les Echos du 18 mai 2009.

[5« Échanges musclés entre Sarkozy et les députés UMP », Lefigaro.fr.

[6Immanuel Wallerstein, « Le capitalisme touche à sa fin », Lemonde.fr.

 
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