Ecouter : Strange fruit




1939, quinze ans avant le boycott des bus de Montgomery en Alabama, le Ku Klux Klan est à son apogée dans le Sud des États-Unis. Les lynchages, dont est victime la communauté Afro-Américaine, sont monnaie courante depuis le principe de ségrégation « séparés mais égaux ». C’est dans ce contexte que Billie Holiday chante pour la première fois à New York Strange Fruit. Cet étrange fruit évoque le corps d’un Noir qui a été pendu à un arbre du Sud, se balançant au vent, la bouche tordue, nourrissant les corbeaux. Cette chanson est écrite et composée par Abel Meeropol, un instituteur du Bronx, membre du CPUSA (Communist Party of the United States of America). Ce dernier resta horrifié en voyant la photo de deux hommes lynchés et écrivit Strange Fruit en s’inspirant des poèmes La Ballade des pendus de Villon et Le Verger du Roi Louis de Théodore de Banville, plus tard mis en musique par Brassens.

Découverte en 1933, après avoir été employée de maison close, Billie Holiday enchaîne les succès, dont What a Little Moonlight Can Do en 1935. Elle sera accompagnée par les orchestres de Duke Ellington, de Count Basie ou d’Artie Shaw. C’est dans l’orchestre de ce dernier, uniquement composé de Blancs, qu’elle se verra refuser l’entrée des restaurants et des hôtels lors d’une tournée qui sera interrompue en 1938. Son style traînant et discret doublé d’une voix enrouée, font d’elle une interprète de complaintes amoureuses au ton intimiste. Strange Fruit marqua un tournant dans sa carrière et resta dans son répertoire jusqu’à la fin de sa vie, en 1959. Après l’enregistrement de la chanson pour la face B du 78 tours Fine and Mellow, chanson relatant des violences conjugales, la Columbia et sa radio, CBS, refusèrent de sortir et de diffuser le titre.

La chanson sortit chez Commodore, un petit label de jazz indépendant. Selon les témoignages, quand Billie Holiday interprétait Strange Fruit, son auditoire restait de glace et concluait par des d’applaudissements d’abord timides et enfin encourageants. Le café Society, où Billie Holiday se produisait, l’un des premiers clubs de New York tenu par des Afro-Américains, demandait que le service soit arrêté durant le morceau et que la chanteuse ne fasse pas de rappel afin de donner au public le temps de réfléchir sur le sens des paroles.

Strange Fruit marqua son époque. Un critique du New York Post décrira cette chanson comme la « Marseillaise des exploités du Sud ». Plus humblement, Billie Holiday résuma ainsi sa volonté :
« Cette chanson permettait de faire le tri entre les gens bien et les crétins ». Ces mêmes crétins qui la chassèrent d’une ville d’Alabama où elle voulut chanter Strange Fruit. Pour beaucoup, cette chanson fut un des prémices de la protest song et reste jusqu’à aujourd’hui le symbole de la lutte afro-américaine.

Martial (AL Saint-Denis)

 
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