Egypte : L’armée contre la révolution sociale




L’armée égyptienne a gagné le respect et la confiance de la population en refusant d’écraser la révolte et en poussant Moubarak vers la sortie. Mais les contradictions entre le peuple qui veut un vrai changement et l’armée, rouage essentiel de la dictature, sont indépassables.

La volonté populaire de liquider les restes de la dictature égyptienne passe le plus souvent par l’auto-organisation et l’action directe. Dans les entreprises, administrations, universités, la base multiplie les luttes spontanées pour dégager les responsables de l’ère Moubarak. Début mars, des milliers de manifestantes et manifestants envahissent les locaux de la police politique de plusieurs grandes villes pour empêcher la destruction des documents susceptibles d’impliquer ses membres dans des actes de torture, d’arrestations illégales, etc... Avant d’être donnés à l’armée, les documents sont copiés et rendus publics sur internet.

La classe ouvrière est toujours à l’offensive contre les politiques économiques néo-libérales que le nouveau pouvoir ne veut surtout pas remettre en cause. Tous les secteurs sont touchés par les luttes qui portent des revendications longtemps étouffées par la dictature : salaires, conditions de travail, titularisations, refus des licenciements et des privatisations.

Or, l’armée qui contrôle 20 % de l’économie est directement concernée. La poursuite de la contestation conduit inévitablement à une confrontation entre les secteurs les plus mobilisés et le Conseil suprême des forces armées qui exerce le pouvoir jusqu’aux élections de septembre.

Le référendum défait la gauche

Le 19 mars, une large majorité des votants adopte par référendum les lois sur les élections à l’Assemblée constituante et sur la gestion de la période transitoire. C’est une défaite pour la gauche qui a fait campagne pour le non, car la loi favorise les forces les mieux implantées : le Parti national démocratique (PND) de Moubarak et les Frères musulmans. Le résultat n’est pas une surprise puisqu’une victoire du non impliquait le maintien des généraux au pouvoir pour une durée indéterminée. Une fois le cadre institutionnel fixé, la
contre-révolution passe à l’attaque, pour rétablir « la loi et l’ordre » avant de remettre le pouvoir aux civils.

Le 23 mars, la junte militaire présidée par le maréchal Tantaoui adopte un décret-loi qui criminalise les grèves et les manifestations. La répression, qui n’a jamais cessé, se durcit. Le 8 avril, les manifestations pour sauver la révolution rassemblent des centaines de milliers de personnes place Tahrir. Et dans la soirée l’armée attaque. Il y a au moins deux morts et des dizaines de blessés. Ce qui provoque des émeutes le lendemain : véhicules militaires brûlés, des slogans réclament la démission de Tantaoui : la lune de miel entre le peuple et l’armée est terminée.

L’armée en tension

Pour autant, ce n’est pas encore le divorce. D’abord parce que les révolutionnaires sont divisés sur l’attitude à adopter. Seule une minorité veut pousser la confrontation plus loin, tandis que la majorité, dont la Coalition de la jeunesse du 25 janvier, ne souhaite pas rompre. Ensuite parce que les généraux cherchent à calmer le jeu en faisant des concessions : Moubarak et ses fils sont arrêtés, des apparatchiks de l’ancien régime sont poursuivis pour corruption, la justice décide enfin la dissolution du PND et la saisie de ses biens.

L’armée n’est pas monolithique, elle est traversée par des tendances et surtout par des contradictions de classes. Le Conseil suprême, qui représente les intérêts de la hiérarchie supérieure, est une composante de la bourgeoisie. Les soldats et le bas de la hiérarchie vivent les mêmes problèmes que la majorité du peuple et partagent les mêmes aspirations à de meilleures conditions de vie. Ces contradictions de classes sont un danger pour la cohésion de l’armée, d’où la nécessité de manier la carotte et le bâton.

Combien de temps les généraux pourront-ils jouer ce jeu ? Le peuple a goûté à la liberté, il est difficile de l’empêcher de pousser la révolution plus loin.

Hervé (AL Marseille)

 
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