Egypte : Le pouvoir piégé




Le général al-Sissi, ancien chef de l’armée et candidat à la présidentielle des 26 et 27 mai prochains, doit se débattre avec les problèmes économiques du pays comme avec les querelles intestines dans les cercles de pouvoir.

Abdel Fattah al-Sissi semble être victime de son succès. Lui qui, en juillet dernier, semblait détenir une force et une popularité « surnaturelles » soutenues par une machine médiatique féroce dévorant tout sur son passage, est aujourd’hui piégé dans son poste d’homme le plus fort d’Égypte. Il est même ironique de le voir se noyer dans les mêmes tares que celles du président qu’il a renversé : discours vides et populistes, mesures visant à accaparer le pouvoir effectif et légal en Égypte (tout en ayant mis Adli Mansour comme pantin malléable à la tête de l’État), etc.

De même, les problèmes socio-économiques sur lesquels il s’est appuyé pour faire tomber le gouvernement des Frères musulmans ne trouve pas de solution : les coupures d’électricité sont revenues au même rythme qu’à l’époque des Frères musulmans, la crise géopolitique issue de la construction par l’Éthiopie du barrage Annahda1 (« renaissance ») sur le Nil ne trouve pas de résolution, les prix des produits de première nécessité sont en hausse, sans parler de la crise que connaît l’important secteur de l’économie qu’est le tourisme.

Crise de la classe dominante

L’hésitation d’al-Sissi à poser sa candidature pour les prochaines élections présidentielles n’est due qu’au refus de la vieille garde de l’armée de voir son enfant prodige, qui a rapidement gravi les échelons, prendre le pouvoir. La crise actuelle que connaît le pouvoir d’al-Sissi est la crise de toute la classe dominante égyptienne, aussi bien civile que militaire, et de son conflit interne. Les discours populistes de cette classe dominante, sorte de remake des années Nasser, cachent mal la guerre de classe qu’elle mène contre les travailleuses et travailleurs quand ils se mettent en grève, avec recours à l’armée.

Quand al-Sissi demande au peuple de se sacrifier sur l’autel de l’austérité, il renfloue les caisses du terrible ministère de l’Intérieur. Ajoutant à cela que la seconde nature de prédateur économique de l’institution militaire égyptienne semble prendre le dessus sur ses activités « constitutionnelles » : l’armée veut ainsi s’approprier tous les recoins de l’économie en élargissant son emprise sur les sociétés publiques, ce qui n’est pas sans poser problème avec le capitalisme « civil » et surtout ultralibéral des cercles financiers proche de Moubarak, d’autant que ceux-ci ont largement contribué à financer et organiser le coup d’État de l’armée en juin dernier. En effet, ces cercles veulent retrouver leur position d’avant la révolution de janvier 2011, lorsqu’ils partageaient le pouvoir avec l’armée, et ils n’ont aucunement l’intention de se contenter de la place que l’armée daignera leur donner.

Peut-être que le discours creux et teinté de nationalisme d’al-Sissi fera illusion sur une période plus longue que celle du discours tout aussi creux et teinté de religiosité de Morsi, mais al-Sissi ne sera pas épargné par un soulèvement populaire, lui qui commence à dire qu’il faut sacrifier une voire deux générations pour que l’Égypte puisse vivre dans l’opulence. Le peuple qui s’est soulevé pour dire « À bas le pouvoir de l’armée » ne saurait accepter ce mépris. On peut facilement imaginer que ce slogan retentira encore dans les rues d’Égypte contre al-Sissi à son tour.

Yasser Abdelkawy (Mouvement socialiste libertaire, Egypte)

Traduit de l’arabe par Marouane Taharouri

 
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