écologie

Sylvain (paysan) : « Le bien-être animal est une notion pernicieuse »




La question de la consommation de viande, notamment en lien avec les mauvais traitements infligés aux animaux dans les abattoirs, est d’actualité. Pour y réfléchir, rencontre avec Sylvain, paysan dans le Var en polyculture élevage, producteur de fromages de brebis bio, et membre de la Confédération paysanne.

Alternative libertaire : Ces derniers mois, plusieurs vidéos de l’association L214 montrant les conditions d’abattage ont choqué l’opinion publique et poussé la classe politique a réagir. Quelle est la réaction des éleveurs par rapport à ces vidéos ?

Sylvain : Certaines images ont choqué, il y a des choses inadmissibles pour nous éleveurs. Quand on voit un type balancer des brebis contre la rambarde, il est hors de question qu’il fasse ça avec mes bêtes, ça me révolte de le voir. Mais il faut analyser un peu ces vidéos, parce que c’est important de savoir ce qu’on regarde, et il faut chercher à comprendre.

Moi je trouve ces vidéos très manipulatrices. Déjà, ce n’est que sur l’affect, il n’y a aucune explication ou réflexion. En plus ils disent des choses fausses. Par exemple ils parlent de reprise de conscience quand la bête se débat, alors que c’est juste les nerfs qui sont actifs car le corps subit un stress ultime, au moment de la mort, donc il y a une réaction et des mouvements de soubresaut. Le matador, c’est un outil qu’ils utilisent pour « l’étourdissement » des gros animaux, c’est une tige de métal qui perfore la boîte crânienne, alors je ne crois pas à la reprise de conscience.

Ensuite, on remarque quand même que les mauvais traitements sont souvent dus à un manque de formation du personnel, ou aux mauvaises conditions de travail des salariés. Et ça il n’y a qu’un œil d’éleveur qui peut le voir. Par exemple, on voyait très bien qu’un type ne savait pas du tout comment s’y prendre avec les brebis, donc il s’énervait et faisait n’importe quoi. Et la dernière chose, c’est qu’on se focalise sur la mort des animaux qui est une question importante, mais du coup ça occulte tout le débat sur la vie des animaux, et sur comment se passe l’élevage.

Justement, entre l’élevage industriel et la concurrence internationale, quelle latitude gardent les paysans pour travailler comme ils l’entendent ?

Sylvain : Heureusement on a une certaine latitude, sinon on n’existerait plus. Il y a une partie de l’élevage qui est sur cette voie de l’industrialisation, mais la majorité des éleveurs ne font pas de l’élevage industriel. Les gros élevages de vaches laitières ou de cochons hors sol, c’est pas du tout la même chose que l’élevage pastoral ou fermier où les troupeaux sont dehors toute l’année ou presque. Le type de commercialisation est important. Plus on est en circuit court, plus on est autonome par rapport à la concurrence internationale, aux cours internationaux.

« Dans certains élevages intensifs, ils ont mis des petites aires paillées où les bêtes peuvent un peu se balader, vite fait quoi. Ah ouais, on a amélioré le bien-être animal là ! Non, ça ne veut rien dire, et c’est vraiment une notion pernicieuse, car c’est donner une image un peu propre de conditions invivables pour les animaux. »

Nous on se bat au niveau syndical, par exemple pour défendre notre autonomie. C’est une notion importante si on veut continuer à maîtriser nos fermes, la façon dont on produit la nourriture, les conditions de vie de nos bêtes. Par exemple c’est la question qui se pose avec le loup. On nous dit que le dernier recours pour nous protéger des attaques c’est de mettre nos bêtes en bâtiments, donc faire du hors sol, mais nous c’est pas ce qu’on veut ! C’est pour ça qu’à chaque fois on essaie de ramener la question du modèle agricole et de la façon de produire au centre des discussions, car c’est la vraie question politique : quelle agriculture on veut pour notre société ?

Qu’est ce que tu pense de la notion de bien-être animal ? Est-ce quelque chose de pertinent pour les paysans, observable, quantifiable, ajustable ?

Sylvain : Dans le travail au quotidien, c’est pas du tout une notion qu’on utilise. Les textes de Jocelyne Porcher sont intéressants là-dessus. En fait, cette notion-là est apparue avec ce qu’elle appelle la production animale, qu’il faut différencier de l’élevage.

Dans l’élevage paysan, les animaux sont dehors, et en bâtiment une partie de l’année si tu es en montagne ou suivant les conditions climatiques. Ils sont dans des espaces qui sont les leurs, dans des conditions correctes de vie. Et il y a un lien fort entre l’éleveur et ses bêtes, avec de l’attention, de l’observation, une relation de proximité. Notre boulot c’est quand même que nos bêtes soient bien !

Et puis c’est du plaisir aussi, quand je vois que mes bêtes sont contentes, qu’elles mangent bien. Donc on ne se pose pas la question d’améliorer le bien-être animal, car notre métier c’est justement ça !

Mais dans les systèmes de production animale, toute cette relation a été piétinée. On a d’abord mis les animaux dans des conditions inadmissibles et anormales pour eux, puis on s’est dit qu’il fallait peut être améliorer le bien-être animal quand même. Donc par exemple dans certains élevages intensifs de porcs, ils ont mis des petites aires paillées où les bêtes peuvent un peu se balader, vite fait quoi. Ah ouais, on a amélioré le bien-être animal là ! Non, ça ne veut rien dire, et c’est vraiment une notion pernicieuse, car c’est donner une image un peu propre de conditions invivables pour les animaux.

Et à l’opposé de la production animale, Jocelyne Porcher parle de l’élevage comme une forme de don/contre-don, l’éleveur donne une « vie bonne » aux animaux, et l’animal donne des services et des produits (travail, lait, viande). N’est-ce pas un peu trop idyllique ?

Sylvain : Je trouve intéressante cette façon qu’elle a de voir le rapport entre les éleveurs et leurs animaux. Je pense vraiment qu’il y a de l’échange oui, que ce soit sur des formes matérielles, parce que moi par exemple je prends le lait, mais aussi de l’échange immatériel, avec la communication, l’affectif, et un tas de choses qui se passent.

Faut rappeler que les animaux d’élevage sont des ruminants, ils ne sont pas en haut de la chaîne alimentaire. La domestication, le fait qu’ils soient avec nous, c’est donc un peu l’idée du contrat implicite : on leur garantit un mode de vie plus serein qu’à l’état sauvage, qui est un peu l’état de stress permanent. Dans l’image véhiculée par beaucoup d’associations naturalistes, il y a une idéalisation de ce qu’est la nature sauvage, a contrario de l’élevage domestique qui serait malfaisant. Mais la nature, c’est sans pitié ! Il n’y a pas de bien ou de mal, tu bouffes les autres pour manger et basta.

« La domestication, le fait qu’ils soient avec nous, c’est donc un peu l’idée du contrat implicite : on leur garantit un mode de vie plus serein qu’à l’état sauvage, qui est un peu l’état de stress permanent. »

Donc oui ça peut paraître idyllique, car là on théorise les choses. Mais c’est pareil quand on parle de domination, on théorise une relation qui en fait n’a rien à voir avec ce que tu vois sur le terrain, parce que réduire l’élevage à une histoire de domination de l’homme sur les animaux, c’est ne rien connaître à l’élevage. Après, on pourrait partir dans les principes d’aliénation et compagnie, mais calquer des concepts faits pour les relations interhumaines sur les relations hommes-animaux, c’est un peu bancal comme histoire. Bon après, tout le monde parle à la place des bêtes, mais les bêtes s’expriment aussi, il faut savoir lire leur comportement pour savoir si elles sont bien ou non.

Propos recueillis par Jocelyn (AL Marseille)

 
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