10 décembre 2018

Etat de les luttes n°1




La mobilisation du 8 décembre a été une réussite en terme de mobilisation et n’a pas entraînée la montée de violence crainte par le gouvernement. La jeunesse a commencé à sortir dans les rues pour défendre son avenir. Avec l’appel à la grève du 14 décembre, le mouvement syndical pourrais créer une convergence des luttes avec les gilets jaunes.

1. Bilan de la mobilisation du 8 décembre

La journée du 8 décembre n’a pas été marquée par une intensification de la violence dans la rue, comme le discours médiatique et politique le répétait en boucle depuis une semaine, mais le renouvellement d’affrontements et de casse, qui témoignent d’un haut niveau de conflictualité, est en soi un événement.

Face aux éditorialistes et aux politicien-nes qui ont tendance à banaliser la journée de mobilisation de samedi et à saluer le dispositif policier qui aurait, selon eux, évité une explosion sociale généralisée, il faut rappeler que cet « acte IV » du mouvements des Gilets Jaunes était bien exceptionnel :

 malgré les effets d’annonce sur la mobilisation policière inédite (près de 90 000 policiers et gendarmes en opération, des blindés, des canons à eau, des hélicoptères, des milliers de cartouches de gaz lacrymogène, etc.) et sur la répression qu’elle allait provoquer, malgré les arrestations préventives, le nombre de manifestant-es est toujours d’au moins 135 000 (selon la police). On peut imaginer qu’il aurait sans doute été beaucoup plus important sans le bourrage de crânes visant à créer un climat de peur et à terroriser les potentiel-les manifestant-es.

  le niveau de déploiement de la police était inédit, ce qui montre que le gouvernement est aux abois. Et malgré ce déploiement inédit, des manifestations sauvages se sont tenues partout dans Paris, mais aussi dans d’autres villes, et ont, dans de nombreux endroits, débordé les dispositifs des forces de répression. Cela devrait nous inciter à explorer de nouvelles pistes de réflexion pour l’organisation des futures manifestations syndicales.

  la jonction se poursuit, localement, entre les Gilets Jaunes et le mouvement ouvrier « traditionnel » même s’il y a encore beaucoup à faire dans cette direction.

 l’objectif de la mobilisation, qui était de réussir une nouvelle journée de blocage de l’économie, a été atteint : à Paris et dans de nombreuses autres villes, les grands magasins étaient fermés pour le 2e samedi de décembre, ce qui occasionne des pertes économiques de centaines de millions d’euros (plus généralement, sur le blocage de l’économie due à la mobilisation, voir par exemple dans la presse de droite ici et ) .

D’après la mairie PS de Paris, les « pertes » économiques du 8 décembre sont en fait encore supérieures à celles du 1er décembre : moins de casse, certes, mais beaucoup plus de magasins fermés de manière préventive.

Difficile de savoir si une opération de maintien de l’ordre de cette envergure aura de nouveau lieu la semaine prochaine, donc : le gouvernement est tiraillé entre « business as usual » et « police partout » et va très certainement rechercher un optimum permettant de minimiser l’impact sur l’économie.Le gouvernement exerce également une répression ciblée sur des "figures" particulières, sous des prétextes assez fantaisistes, mais marquant un autre versant du tournant répressif. De toute façon, la stratégie « police partout » ne peut pas être durable dans le temps : les flics sont déjà épuisés et le font aussi savoir.

2. La mobilisation dans la jeunesse

Le mouvement des Gilets Jaunes a réveillé la conflictualité sociale qui a commencé à s’exprimer fortement dans la jeunesse, que ce soit dans les lycées ou dans les facs.
Certains lycées ont commencé à être bloqués dès vendredi 30 novembre, il y en avait 150 en lutte le lundi 3 décembre. Jeudi 6, entre 250 et 300 lycées étaient perturbés ou bloqués et le vendredi 7 décembre, ce nombre est monté à plus de 400 dans toute la France. Si les lycéen-nes se mobilisent contre la réforme du bac et la réforme du lycée, qui accentuent le tri social, ils et elles expriment aussi clairement leur solidarité avec les Gilets Jaunes pour dénoncer plus largement la politique antisociale du gouvernement.

Bilan de la mobilisation du vendredi 7 décembre dans les lycées : ici.

Du côté des universités, des AG massives ont commencé à se tenir en région parisienne (1000 personnes à Paris-3, 900 personnes à Paris-1), mais aussi à Nantes (500), Lyon-2 (300),... et de nouvelles AG sont prévues en début de semaine à Rennes, Toulouse, Paris-8, Paris-11... Comme pour les lycées, la mobilisation se construit autour de revendications propres à la jeunesse (contre Parcoursup et contre l’augmentation des frais d’inscription à l’université pour les étudiant-es étranger-es) mais aussi autour d’une remise en cause globale de la politique du gouvernement.

Dans les facs mais surtout devant les lycées, la jeunesse mobilisée se heurte à une répression violente comme l’illustre la vidéo tournant en boucle sur les réseaux sociaux, qui montre des lycéen-nes de Mantes-la-Jolie (78) humilié-es par la police et contraint-es de s’agenouiller les mains derrière la nuque, et ce pendant 4 heures.
Cette répression se traduit aussi par des interpellations nombreuses et un nombre inédit de placements en garde-à-vue, par des tirs de LBD (lanceur de balle de défense) sur des lycéen-es qui se retrouvent défiguré-es, par des interventions policières violentes au sein même des établissements scolaires.

3. La « convergence des luttes » : construire la grève le 14 décembre

Si le mouvement des Gilets Jaunes et, en particulier, les émeutes du 1er décembre, ont mis le feu aux poudres et ont d’ores et déjà obligé le gouvernement à reculer, il faudrait encore aller plus loin pour faire plier complètement Macron, pour obtenir de nouvelles conquêtes sociales voire pour remettre totalement en cause l’ordre établi.

Pour « aller plus loin », il faudrait réussir, d’une part, à développer l’auto-organisation du mouvement des Gilets Jaunes afin de démultiplier sa capacité d’action et il faudrait réussir, d’autre part, à réaliser la jonction avec le mouvement ouvrier « traditionnel ». Cette jonction ne peut pas se réaliser en plaquant les habitudes de mobilisation des organisations syndicales sur le mouvement des Gilets Jaunes et elle passera sans doute par une remise en cause de ces habitudes de mobilisation. Les organisations syndicales vont devoir faire preuve de souplesse et s’adapter pour que la révolte (spontanée) du camp des travailleurs-ses que représente le mouvement des Gilets Jaunes permette de réinstaller la contestation et l’insubordination ouvrières dans les lieux de production et les services. Pour cela, les organisations syndicales devraient être à l’écoute et mettre humblement leurs outils et leurs analyses au service du mouvement. Si le samedi 15 décembre pouvaient se retrouver massivement des gilets jaunes, des gilets rouges et des gilets roses, le mouvement ouvrier en sortirait indéniablement grandi.

Certaines déclarations syndicales vont clairement dans le sens d’une solidarité immédiate avec les gilets jaunes, que ce soit du côté de la CGT (CGT43 ici, Fnic-CGT ) ou de Solidaires (Sud PTT ici, Sud Rail ou encore Sud Industrieici)

Mais la déclaration intersyndicale CGT, CFE-CGC, CFDT, FO, CFTC, Unsa et FSU met un peu de plomb dans l’aile à cet effort de convergence (voir ici). Heureusement, cette déclaration a été vivement critiquée par des structures de base des organisations signataires (voirici) et a fait l’objet d’un communiqué de Solidaires, qui fait au contraire le choix de soutenir ouvertement le mouvement et de ne pas dénoncer la violence sociale qui s’exprime. Du côté de la CGT, c’est en particulier le double discours de la confédération qui est pointé du doigt car la communication de la CGT et de Martinez ne correspondent pas du tout au ton de la déclaration intersyndicale.

Au-delà de ces querelles (qui ne sont pas anodines puisqu’elles participent à discréditer les organisations syndicales aux yeux des Gilets Jaunes), l’enjeu, maintenant, c’est de poser partout la question de la grève générale et de commencer à la mettre en débat dans les entreprises et les services.

La date du vendredi 14 décembre semble se profiler comme première date de mobilisation syndicale qui pourrait être en lien direct avec les Gilets Jaunes. Il paraît important de communiquer autour de cette convergence, par exemple en mettant en avant l’idée que le samedi 15 décembre commencera... le vendredi 14 décembre. Mais si la grève peut commencer avant dans d’autres secteurs, il faut clairement aller dans ce sens. La grève du 14 décembre doit être construite, à la base, par les équipes syndicales, pour qu’un maximum de travailleurs et travailleuses soient en grève.

Les équipes syndicales devraient mettre leurs outils et leur expérience à disposition des Gilets Jaunes. La grande majorité des syndicalistes de lutte ont manqué le coche du blocage des ronds-points. Les solidarités s’y sont déjà créées sans elles et eux depuis 3 semaines. Ils et elles peuvent rattraper le wagon en apportant leur aide dans la lutte.

4. La présence de l’extrême droite dans le mouvement

L’image médiatique d’un mouvement noyauté par l’extrême-droite semble faiblir de jour en jour.

Le gouvernement a remplacé dans son discours « l’extrême-droite » par « les extrêmes » et a bien été forcé de reconnaître que parmi les interpellations du 1er décembre, les militant-e-s d’un bord ou de l’autre étaient minoritaires. Et localement, l’assemblée générale comme forme de mobilisation, la présence syndicale et la propagande libertaire ont l’air plutôt bien accueillis, ce qui confirme l’implantation en fait faible de l’extrême-droite. Cependant, cette image est encore forte dans l’esprit d’une partie des militant-es), comme on a pu l’entendre dans certains discours de politicien-ne-s, de responsables syndicaux ou encore d’organisateurs et organisatrices de la Marche pour le Climat. Il est important de ne pas ignorer cette bataille et d’expliquer en quoi :

 dans un contexte où le Rassemblement national (RN) regroupe 20% des votant-e-s, il est naïf d’attendre d’un vrai mouvement populaire qu’il ne contienne personne ayant voté RN ;

 dans les faits, les fascistes convaincus, militants, organisés, sont très minoritaires et isolés ; dans les manifestations parisiennes, personne ne s’en prend à d’autres manifestant-es en raison de leur couleur de peau ou de leur origine supposée ;

 dans un contexte où la conscience de classe est affaiblie et où le discours nationaliste est omniprésent (à droite comme à gauche avec la France insoumise), il ne faut pas systématiquement associer Marseillaise et drapeau bleu-blanc-rouge à l’extrême droite  ; même chose pour la revendication des Gilets Jaunes visant à améliorer les moyens de la police et de l’armée ;

  ne pas s’investir dans la mobilisation maintenant, c’est laisser la place à l’extrême-droite et donc participer à son renforcement  ; la lutte antifasciste se fait au plus près des exploité-e-s mais on trouvera toujours près des exploité-e-s les fascistes (qui, historiquement, ont toujours cherché à « gauchiser » leurs discours pour que les masses les aident à prendre le pouvoir).

Malgré tout cela, il ne faut pas négliger le fait qu’il puisse y avoir, à un moment, un clivage au sein du mouvement des Gilets Jaunes entre tenant-es d’une ligne autoritaire de remise en ordre du pays et tenant-es d’une ligne sociale.

 
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