Foyers de travailleurs migrants : La rénovation de l’habitat, pas la soumission de habitants




En Ile-de-France, près de 50.000 ouvriers originaires d’Afrique vivent dans des foyers souvent délabrés, dans des conditions spartiates. Longtemps réclamée, une politique de réhabilitation a été engagée depuis six ans. Mais les foyers sont systématiquement restructurés avec la volonté d’atomiser les groupes de résidents, de casser leurs solidarités et leurs cultures.

Le 8 janvier, les résidents du foyer de travailleurs migrants Aftam David-d’Angers (Paris XIXe) manifestaient pour obtenir une vraie réhabilitation de leur foyer, à savoir : être tous relogés, dans un foyer doté d’une cuisine collective, d’une salle polyvalente et d’une salle de réunion, avec des redevances conformes à leurs revenus. Ces revendications reflètent exactement le problème que pose actuellement la réhabilitation des foyers.

Cela fait maintenant treize ans que les foyers de travailleurs migrants, au nombre de 250 dans la région parisienne et accueillant pas loin de 50 000 hommes, sont l’objet d’un programme de rénovation urbaine très particulier. Construits dans les années 1960-1970 pour parquer les ouvriers venus d’Afrique, les foyers se sont terriblement dégradés au fil des ans : murs pourris d’humidité, plafonds qui s’effritent, équipements collectifs usés jusqu’à la corde, envahis par la vermine, réseau électrique éreinté, tuyauterie ruinée.

Les mairies se réjouissent

Parvenus à cet état désastreux, les foyers doivent être réhabilités, tout le monde s’accorde là-dessus. Ce qui oppose les résidents, les gestionnaires et les pouvoirs publics, c’est la façon de faire. Du côté des mairies, on n’est généralement pas mécontent de chasser les ouvriers de la commune, a fortiori quand ils sont noirs, alors si la réhabilitation d’un foyer réduit le nombre de lits, elles se frottent les mains. D’un autre côté, les gestionnaires cherchent à construire des foyers avec le moins possible d’espaces communautaires, pour affaiblir la solidarité de résidents qui ne se laissent pas toujours mener par le bout du nez. Quant aux résidents, ils attendent ce que tout un chacun peut attendre d’une réhabilitation : une amélioration de l’habitat, sans qu’on leur impose un mode de vie qui n’est pas le leur.

Il faut savoir qu’un résident en foyer n’a pas le statut de locataire. Un foyer est assimilé à un « hôtel meublé » avec un contrat mensuel renouvelé tacitement, attaché la plupart du temps à un règlement intérieur qui explicitement nie les droits d’un locataire (le droit d’héberger un tiers, par exemple, ou d’avoir une visite après 21 heures).

Les foyers sont des lieux d’hébergement collectif pour des travailleurs dont la famille est restée au pays. Certains foyers sont composés de chambrettes de 6 à 8 m2, équipées d’un lit et d’une table. La cuisine, les douches et WC sont collectifs. Mais il reste encore de vieux foyers-dortoirs, avec jusqu’à 8 lits superposés par chambre – par exemple le foyer Bara à Montreuil, Alsace-Lorraine à Drancy ou David-d’Angers à Paris XIXe. Dans ces bâtiments qui datent pour la plupart des années 1960 et 1970, l’exiguïté des chambres est compensée par l’existence d’espaces collectifs – salles de télévision, salles d’alphabétisation, salles de réunion, salles de prières, cuisines collectives. Dans certains foyers, une petite économie informelle (restauration, tailleurs, coiffeurs, épicerie, etc.) permet d’améliorer le quotidien et renforce la solidarité.

Ce mode de vie est primordial pour deux raisons. D’abord, pour ces ouvriers et manœuvres condamnés aux petits salaires, il faut dépenser le moins possible pour envoyer le maximum d’épargne au pays, où la famille va bâtir son avenir sur l’argent reçu. Ensuite il est vital, pour l’équilibre psychologique et culturel de ces travailleurs déracinés, souvent des paysans abruptement plongés dans la jungle parisienne, de se regrouper pour se sentir moins seuls.

Des dortoirs aux studettes

Les foyers sont donc, faute de mieux, le mode de logement préféré par les travailleurs immigrés. Mais les projets de réhabilitation menés depuis six ans se font dans une logique détestable :
 obliger le résident à payer plus cher son loyer et à dépenser davantage pour sa survie en France ;
 casser les solidarités communautaires ;
 fragiliser le droit des résidents au maintien dans les lieux.

Dans tous les projets de rénovation, le foyer est divisé en studettes avec un lit, une douche, un WC et une cuisinette. Au passage, il n’est pas rare qu’un foyer perde un tiers à la moitié de ses lits. Le foyer Aftam de Noisy-le-Grand passe par exemple de 300 à 150 places, et sera reconstruit en deux parties de 70 et 80 places, situées loin l’une de l’autre. À Drancy, le foyer passera de 500 lits à 350. Les résidents en trop sont dispatchés parfois loin de leurs familles ou de leurs amis. De surcroît, dans beaucoup de foyers, il y a de nombreux résidents non inscrits (qui remplacent d’autres, partis à la retraite, ou qui dorment par terre) dont la prise en compte dans le relogement est toujours une bataille.

Un nouveau statut régressif

Sous prétexte de rénovation, les espaces collectifs sont réduits drastiquement. Ne reste généralement qu’une petite salle dite « polyvalente » et éventuellement, dans une minorité de structures, un espace de cuisine collective. Sans salle de réunion, pas de réunion de l’ensemble des résidents. Sans salle de télévision, pas d’animation collective. Sans restaurant collectif, le prix du repas monte en flèche et l’individu se retrouve seul face à sa gamelle. Et sans salle de prière, une partie de ces communautés majoritairement musulmanes est privée de possibilités de prières.

Les foyers rénovés changent de statut juridique et deviennent des « résidences sociales ». De quoi s’agit-il ? Une résidence sociale est destinée à accueillir des publics en grande difficulté sociale et/ou psychologique – sortants de prison, d’hôpital psychiatrique, de cure de désintoxication, mais aussi des femmes seules avec enfants, rmistes etc. Ce nouveau statut est régressif et inadapté à la réalité des travailleurs migrants en les assimilant à des handicapés sociaux ayant besoin d’une assistance, d’un projet social défini non par eux-mêmes mais par les gestionnaires.

De plus, tout résident entrant dans une résidence sociale entame un « parcours de logement » qui doit aboutir, dans un délai de deux ans, à son passage dans le parc locatif social ou privé. Or cette politique est complètement irréaliste. De longue date, les résidents des foyers voudraient avoir accès au logement social, c’est le marché et les politiques du logement qui s’y opposent.

Empêcher les grèves de loyers

La rénovation permet de faire exploser les loyers. Ainsi au foyer de Stains, géré par l’Adef, le lit passe de 176 euros à 450 euros. Il est vrai que, du fait du statut de résidence sociale, les résidents pauvres sont désormais couverts par l’aide personnalisée au logement (APL), versée directement au gestionnaire par l’État. Aussi, plus le loyer est cher, plus l’APL est élevée et plus les gestionnaires ont l’assurance d’une rentrée d’argent sûre. Tout mouvement revendicatif, comme une grève des loyers par exemple, devient plus difficile, voire impossible.

À chaque réhabilitation, une consultation formelle des résidents est organisée. Et à chaque fois, les résidents expriment leur hostilité aux plans qui leur sont présentés. Ils ne sont pas forcément hostiles à une augmentation raisonnable des loyers si cela correspond à une amélioration de l’habitat. Mais ils veulent choisir leur mode de vie. Certains préfèrent partager une chambre avec un collègue ou un ami, certains préfèrent garder les WC et les douches en dehors de la chambre. Pourquoi l’interdire par principe ? Presque tous souhaitent davantage d’espaces collectifs, par exemple une salle de prière et plusieurs salles de réunion pour que les différents groupes puissent mener leurs activités associatives, politiques, discuter des projets de développement au pays, etc.

Les autorités n’en ont que faire et en général traitent ces doléances avec condescendance. Les résidents demandent une salle de prière ? Ils n’ont qu’à marcher un kilomètre et demi jusqu’à la mosquée la plus proche en ville. Ils demandent une salle de réunion pour leur association de développement ? Ils n’ont qu’à entrer en concurrence avec les autres associations de la ville qui déjà cherchent toutes des salles. Ils veulent une cuisine africaine ? Qu’ils mangent au McDo ou KFC comme toute le monde. C’est ce qu’on appelle « l’intégration »…

Adeline Gonin (Copaf)


AU FOYER DE COURBEVOIE, L’INDIGENCE ET LA GABEGIE

Bâti à la va-vite sans véritable concertation avec les résidents, le foyer de travailleurs migrants de Courbevoie est déjà délabré, moins de dix ans après sa construction.

Le foyer de travailleurs migrants de Courbevoie (Hauts-de-Seine) est un exemple parfait de gabegie technocratique. En 1994, l’ancien foyer, ouvert en 1969, est en partie détruit par l’explosion d’une chaufferie d’eau. L’accident fait plusieurs blessés et plus de 200 réfugiés sont parqués provisoirement dans un gymnase. La mairie pense saisir l’aubaine pour démolir le foyer et obliger les ouvriers africains à aller vivre ailleurs. Mais devant leur mobilisation et celle de leurs soutiens, elle finit par accepter la construction d’un foyer neuf. Commence alors le va-et-vient de la concertation entre le propriétaire (la Sonacotra), le gestionnaire (aujourd’hui l’Aftam), les pouvoirs publics et les résidents.

Alors que le gestionnaire veut cloisonner au maximum les résidents, ceux-ci insistent au contraire sur l’importance des espaces collectifs. Certains sont même réticents à ce qu’on remplace les dortoirs et les chambres partagées par des chambres individuelles. Finalement le foyer est découpé en plusieurs « unités de vie », comprenant chacune plusieurs chambres (à 358 euros par mois) et une tisanerie. Les résidents s’y regrouperont par affinité. Mais il y aura également une salle polyvalente, une cuisine et un réfectoire pour le midi, des salles de cours, etc.

Des blattes par centaines

Quand, en 2000, les résidents visitent le foyer bâti à la va-vite en moins d’un an, ils sont atterrés par les malfaçons. Les gestionnaires leur expliquent avec condescendance qu’ils exagèrent, comme toujours. C’est oublier que beaucoup travaillent dans le bâtiment, et savent voir au premier coup d’œil que l’isolation extérieure est lamentable, que la tuyauterie est suspecte, que la peinture a été appliquée sans sous-couche, directement sur le béton. Dans les salles d’eau, les pommes de douche ont été montées à hauteur du nombril. Même les sanitaires ont été montés de travers. « Mais non », proteste un représentant du gestionnaire, tirage de chasse d’eau à l’appui. Il finira la visite avec les chaussettes inondées au milieu de l’hilarité générale. Dans ce cas précis, les WC seront vite réparés, mais les résidents refuseront pendant plusieurs semaines de s’installer, puis feront la grève des loyers pendant un mois. C’est que les travaux ne sont pas finis ! Toute la journée, le vacarme du chantier empêche de dormir les résidents qui travaillent de nuit. Il faudra prendre un avocat, photo et magnétophone à l’appui, pour obtenir justice.

Comme les résidents l’avaient prédit, le bâtiment se dégrade à vive allure. Dix ans seulement après son inauguration, la peinture tombe du plafond par plaques entières, la tuyauterie fuit, des cloisons pourrissent, certaines se sont carrément écroulées. Tous les radiateurs se sont décrochés des murs et reposent sur le sol. Dans la salle polyvalente, le faux plafond s’est effondré à un endroit et des bassines recueillent l’eau qui goutte.

Mais ce qui nous attend dans la réserve de la cuisine collective dépasse l’imagination. Dès la lumière allumée, ce sont des centaines et des centaines de blattes, de toutes les tailles, qui s’enfuient affolées. Les blouses des cuisinières en sont grouillantes. Leur premier geste en revenant du travail, chaque jour, est de les secouer pour en chasser la vermine. « Une entreprise de désinfestation intervient 5 ou 6 fois par an, explique Hadiatou Diawara, un des délégués du foyer, mais rien n’y fait. Les cafards reviennent. » Les résidents incriminent la conception même des locaux, qu’il faudrait rénover d’urgence.

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)


LE COPAF

Ce dossier a été réalisé avec l’aide des militantes et des militants du Comité pour l’avenir des foyers (Copaf). Le Copaf a été fondé en 1996 et a constitué un réseau de soutien et d’appui aux comités de résidents et à leurs coordinations. Avec eux, il a élaboré un certains nombre de revendications sur la réhabilitation des foyers de travailleurs migrants.

Copaf : 8, rue Gustave-Rouanet, 75018 Paris . Tél.-fax : 01.46.06.09.69.

www.copaf.ouvaton.org


LES PRINCIPAUX GESTIONNAIRES DE FOYERS EN ÎLE-DE-FRANCE

Adoma (ex-Sonacotra) :
fondée en 1956 sous le nom de Société nationale de construction pour les travailleurs algériens (Sonacotral), rebaptisée Sonacotra en 1962, puis Adoma en 2007, cette société d’économie mixte contrôlée par l’État possède et gère environ la moitié des 700 foyers existant en France. La tradition veut que l’État nomme à sa tête un ancien préfet – aujourd’hui Pierre Mirabaud – ce qui en dit long sur la culture maison : être le bras armé de l’État en matière de logement très social. L’Adoma se targue d’être un « bon gestionnaire » : tolérance zéro pour les retards de loyers et procès à la pelle contre des résidents grévistes ou indisciplinés. Cela n’empêche pas certains foyers Adoma (comme celui de Pierrefitte) d’être dans un état de délabrement avancé.

Jadis la Sonacotra fut célèbre pour sa gestion de style colonial reposant sur l’embauche de vétérans de la guerre d’Algérie, et pour la plus longue grève des loyers que la France ait connue (1975-1980) avec les mots d’ordre « À bas les foyers-prisons ! À bas les gérants racistes ! ». Aujourd’hui, si elle s’efforce de changer cette image, Adoma pratique le moins possible la concertation avec les comités de résidents, et le dialogue avec ses « clients » reste méprisant.

Aftam :
fondée en 1962 sous statut associatif, l’Aftam est devenue le 2e gestionnaire en Ile-de-France après avoir repris de nombreux foyers AFRP, Assotraf, Soundiata nouvelle et CAS-Ville de Paris. Ici aussi la concertation est souvent non formalisée, sans documents fournis à l’avance, sans PV, sans respect des échéanciers… Le nettoyage et l’entretien des établissements sont scandaleusement insuffisants.

Adef :
fondée en 1955 directement par le patronat de la métallurgie et du bâtiment, l’Adef gère 39 foyers en Ile-de-France et loge plus de 9 000 personnes. Sa gestion reste marquée par des réflexes patronaux.

D’autres structures existent dans la région lyonnaise, dans le Nord et en Paca. Toutes jouent les intermédiaires entre les propriétaires de bâtiments et les résidents qui protestent contre les prestations indignes des redevances qu’ils paient.


 
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