Génocide rwandais : L’armée française à la barre




Le vingtième anniversaire du génocide a été l’occasion de demander publiquement des comptes à l’État français sur sa responsabilité dans cette abjection. Une fois de plus, celui-ci a fait le dos rond. Et si, finalement, c’est la Grande Muette qui en disait le plus ? François Graner a scruté les déclarations des militaires français sur la question.

« Pour ceux qui ont, ne serait-ce qu’un peu, connu le Rwanda avant 1990, la question de savoir qui était au courant que la situation [...] présentait un risque très important de génocide n’a aucun sens. Elle est même d’une rare hypocrisie car, en fait, nul ne peut prétendre l’avoir ignoré. » Qui parle ainsi ? Une ou un affreux militant anti-impérialiste ? Nullement. Il s’agit du lieutenant-colonel Michel Robardey, officier de gendarmerie et conseiller technique de la police rwandaise de 1990 à 1993. Il s’est exprimé ainsi lors d’un colloque sur le « drame rwandais » organisé le 20 octobre 2007 au palais du Luxembourg. Cette phrase, et bien d’autres, on peut la retrouver dans un petit livre explosif de François Graner, exceptionnel par sa précision et sa sobriété : Le Sabre et la Machette.

L’armée française, qui chaperonnait les Forces armées rwandaises depuis les années 1970, l’Élysée, Matignon, le Quai d’Orsay... tous connaissaient la nature de l’État rwandais, satellite de la France dans la région des Grands-Lacs : totalitaire, ségrégationniste et pogromiste à l’égard de la minorité tutsi.

Les mains propres de l’armée française ?

Or, malgré l’accumulation des preuves, l’État français et son bras armé nient, depuis vingt ans, toute responsabilité dans le génocide de 1994. Pourtant, au fil des années, l’institution militaire a laissé échapper, à ce sujet, bien des témoignages qui, mis bout à bout, constituent un aveu implicite. Le chercheur et militant François Graner a travaillé sur ce matériau. Il a dépouillé des dizaines de déclarations faites à la presse, dans des colloques, devant des commissions d’enquête ou dans leurs Mémoires, par une quinzaine d’officiers français ayant été en poste au Rwanda lors du génocide et durant les quatre années précédentes.

Parmi eux, il faut en distinguer deux. Le premier est un homme d’appareil : pur produit de l’école militaire française, passionné de géostratégie, l’amiral Jacques Lanxade fut chef d’état-major particulier du président Mitterrand (1989-1991), puis chef d’état-major des armées (1991-1995). Sa parole pèse très lourd. Le second est un homme de terrain : se disant « indissolublement chrétien, français, soldat », le colonel Didier Tauzin a été chef du 1er régiment parachutistes d’infanterie de marine (1990-1994), une des unités de choc de l’armée française. C’est le type même du foudre de guerre qui enrage d’avoir à attendre le feu vert des « politiques » pour agir, et qui proteste toujours, vingt ans plus tard, que la guerre était gagnable. Depuis qu’il est à la retraite, il s’épanche... beaucoup.

Le risque d’un génocide : un secret pour personne

Dans le livre, toutes leurs déclarations sont minutieusement épinglées, référencées, ordonnées, et éclairent une quarantaine de questions très factuelles. De 1990 à 1993, la France connaît-elle le risque de génocide des Tutsis ? Des officiers français commandent-ils l’armée rwandaise ? Arment-ils et entraînent-ils les massacreurs ? Contribuent-ils à ficher les Tutsis à éliminer ? En 1994, des officiers français sont-ils impliqués dans l’attentat du 6 avril, qui met le feu aux poudres ? La France livre-t-elle des armes aux génocidaires ? Le caractère humanitaire de l’opération Turquoise n’a-t-il été qu’une façade ? Des officiers français évacuent-ils le gouvernement du génocide ? Laissent-ils fuir les tueurs ? À chacune de ces questions, des citations apportent des réponses directes ou indirectes. Le résultat est un implacable dossier à charge devant le tribunal de l’Histoire.

Pourquoi l’État français a-t-il soutenu un État génocidaire dans sa fuite en avant meurtrière ? Le président Mitterrand donne la réponse par avance, dans un de ses discours des années 1980. Il estimait que le Rwanda était, face au « front anglophone » en Afrique, un rempart du « pré carré dont je revendique, lorsqu’il est empiété, qu’il soit reconquis et rendu à la France. Dans ce pré carré je distingue en premier notre langue, notre industrie et notre sécurité, qui sont autant de fronts où garder nos défenses sans les quitter des yeux. Que l’une cède et la citadelle tombera. Cette image guerrière traduit très exactement ma pensée. » Elle conduisit, une fois de plus, l’État français à se rendre complice du crime suprême.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

 
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