Irlande : Encore un non de classe




Le 12 juin, les Irlandais ont mis les médias et le patronat au désespoir, en disant « non » à 54 % au traité de Lisbonne, resucée sommaire de la Constitution européenne. Les communistes libertaires se sont mobilisés pour donner à ce refus une coloration sociale et anticapitaliste.

En 2005, le Non au référendum français sur le traité constitutionnel européen avait été clairement identifié comme un Non social, tant les souverainistes ont été inaudibles face à la forte mobilisation des antilibéraux et des anticapitalistes. Dans le cas irlandais de 2008, la pluralité des oppositions contre le traité de Lisbonne rend l’analyse plus complexe.

Une chose est sûre néanmoins, ce référendum marque le divorce entre « la société civile » et son élite politique. Dans le camp du Oui, on retrouve comme il y a trois ans en France, les principaux partis de gouvernement : le Fianna Fail – parti de centre droit, actuellement au pouvoir – le Fine Gael, autre parti de centre droit, et la social-démocratie (Labour).

Dans le camp du non, on pouvait dégager trois grands courants. Les deux premiers nous sont familiers : d’une part les souverainistes, nationalistes et catholiques, hostiles à l’Union européenne (UE) pour des raisons identitaires [1] ; d’autre part la gauche antilibérale et l’extrême gauche, en défense des intérêts des classes populaires. Le troisième courant est plus typiquement britannique, c’est celui des atlantistes, qui souhaitent privilégier l’alliance avec les États-Unis plutôt qu’avec l’Union européenne. Ce courant est surtout piloté depuis les milieux d’affaires et nous rappelle au passage qu’il existe parfois des contradictions stratégiques au sein du patronat européen, en fonction des intérêts commerciaux en jeu. Si les capitalistes français, allemands ou italiens misent tout sur l’UE, d’autres (dans les pays de l’Est ou anglo-saxons) peuvent avoir d’autres préférences.

Les quartiers chics votent oui

Les communistes libertaires du Workers Solidarity Movement (WSM, Mouvement de solidarité des travailleurs) n’ont pas pris prétexte d’une situation complexe pour se cantonner à une posture de commentateurs. Ils et elles se sont engagées contre le traité de Lisbonne tout en dénonçant les motivations douteuses de certains « nonistes », comme Libertas, un lobby fondé par des industriels liés à l’armée américaine.
WSM a ainsi distribué plus de 50 000 tracts et collé plus de 2 000 affiches pour faire entendre une alternative communiste libertaire à l’Europe du capital. À l’inverse de ce qui s’était passé en France où la seule organisation libertaire mobilisée contre le Traité constitutionnel était AL, en 2008 la campagne pour le Non a rassemblé l’ensemble du mouvement libertaire irlandais.

La sociologie du scrutin peut cependant nous éclairer sur le sens du Non. Il a été très majoritaire dans les zones rurales et les banlieues ouvrières, alors que les quartiers chics du sud de Dublin ont voté à 60 % Oui ! Les classes moyennes, sur lesquelles comptaient le pouvoir, n’ont quant à elles que très peu pris part au vote, accentuant encore le clivage de classe entre les pro et les anti-Lisbonne.

La victoire du Non au référendum sur le traité de Lisbonne peut donc faire figure de victoire du mouvement social irlandais et européen qui, à nouveau, fait barrage à la construction d’une Europe libérale. Elle reflète aussi un certain désenchantement des classes populaires vis-à-vis du régime politique et économique que représentent les partis du « oui ».

Matthias (AL Orléans)

[1L’Église catholique a brandi la menace que l’adhésion à Lisbonne risque d’entraîner une légalisation de l’avortement.

 
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