Israël / Palestine : Chroniques de l’apartheid ordinaire




Séparation, enclavement, vexations quotidiennes, lois discriminatoires et traitements différenciés, l’Apartheid « à l’israélienne » est aussi infâme que celle de l’Afrique du Sud d’avant Mandela et se joue avec la collaboration des grands groupes internationaux. Dans Jérusalem trois fois millénaire, l’Histoire ne se répète pas…elle bégaie.

En cette fin de mois d’août, les orangers à la sortie de l’aéroport de Tel Aviv sont recouverts de poussière et toute la végétation souffre de plusieurs mois sans pluie. « En Israël, il y a tout » lance le chauffeur de taxi avec fierté, « même des orangers ! ». Même si on le savait déjà, le gars est sympathique et bavard et prêt à commenter les lieux que nous parcourons.

« Vous verrez, après le check point, le mur on le voit bien ». Devant ma mine un peu acide, il explique encore : « ça fait drôle quand on le voit, mais c’est nécessaire, sinon ils piègent la route ». Moins sympathique le bonhomme, soudainement.

Tout a été dit et décrit de la (non) cohabitation des deux peuples, et comme dirait Mallarmé, « j’ai lu tous les livres ». N’empêche. Tout ici est frontière, limite, bordure, mur, barbelé, enceinte [1]. Tout est morcèlement et enclave. On est forcément d’un côté de quelque chose. Et l’Autre , l’autre est forcément de l’autre côté, celui de l’ennemi.

La vieille route, l’autoroute principale israélienne ouverte en 1967 s’encadre d’une barrière électrifiée. « Dessous, poursuit le taxi, vous voyez la petite route qui passe ? C’est nous qui l’avons construite, pour que les Arabes puissent passer d’un village à l’autre. Tout de même, ils ont de la famille ». « En plus ils ne paient pas d’impôts », assène-t-il pour faire la preuve que les Arabes sont des ingrats et les Israéliens pas chiens.

J’apprendrai plus tard que les matériaux de construction, l’alimentation – tout, tout, tout – est évidemment acheté par les Palestiniens. La participation aux frais d’incarcération aussi sans doute.
Le paysage est celui d’un apartheid de fait, mais dont la séparation ne serait pas le but, mais le moyen d’expulser à terme tous les Arabes palestiniens ou …israéliens.

Aujourd’hui, au cœur de l’actualité [2], un sondage qui concerne City Pass, la société d’exploitation du Tram de Jérusalem. Deux questions en particulier scandalisent jusqu’à la droite israélienne : « Les passagers, juifs comme arabes peuvent monter librement à bord du tramway sans passer de contrôle de sécurité, cela vous dérange-t-il ? ». Et l’autre : « Le tramway dessert trois stations à Shua’fat (quartier palestinien) cela vous dérange-t-il ? ».

Racisme à la sauce marketing

Rappelons : City Pass est le consortium qui exploite ce tramway de la honte. Dans le tour de table, deux entreprises françaises, Alstom et Veolia Transport.

Réalisé à la seule initiative de City Pass, en bon élève, ce sondage raciste provoque évidemment l’hypocrite réaction de la Mairie de Jérusalem, pourtant aux manettes de la « judaïsation » de la ville : « nous sommes scandalisés qu’une société privée ose aborder ces sujets… ». Tu parles, Charles.

Tout montre au contraire que le tramway est exclusivement conçu comme un instrument de l’ethnicisation de la ville : la hâte avec laquelle il a été construit – accumulant malfaçons et erreurs techniques – et la lenteur avec laquelle l’exploitation commerciale de la ligne s’ouvre réellement. L’utilisation d’acteurs étrangers pour dédouaner d’éventuels manquements « éthiques » relève du même schéma bien sûr. Et tant pis si Veolia a déjà perdu plusieurs contrats [3] à cause de sa participation à un projet qui reste aussi illégal que l’occupation de Jérusalem Est aux yeux du droit international.

Triple offensive

Et pour ses habitants arabes, le tram est un coin qui s’enfonce dans leur ville, détruit les maisons – au prétexte du tracé – et exproprie leurs occupants.

Si le tram est un premier front de l’offensive ethnique contre les quartiers arabes, la politique « culturelle » de la ville en forme un second côté. Au nom du « développement » des équipements et de la promotion des « sites touristiques juifs » situés par exemple dans le quartier arabe de Silwan, (la « ville de David » pour les israéliens), on colonise à petits pas, on décourage, on crée une présence israélienne, comme celle des écoliers encouragés à visiter deux fois par an les témoins historiques de l’occupation hébreu de la Palestine.

Enfin, sur le terrain économique, la population palestinienne de Jérusalem est forcément perdante : considéré-e-s comme des étrangers (sur leur propre sol !), ceux-ci doivent justifier de leur statut de « résident permanent de Jérusalem ». Or, ce statut est assujetti au paiement d’une taxe d’habitation souvent impossible à honorer. L’an dernier plus de 4 600 personnes ont perdu cette carte.

C’est un grignotage quotidien qui se fait, maison par maison. Une centaine de demeures sont détruites chaque année aux prétextes les plus divers, mais… aux frais des Palestiniens ! Et si ça ne suffit pas, on occupe par la force. Ainsi, on ne laisse jamais son foyer sans la présence physique d’un membre de la famille, au risque que les colons l’investissent, arguant de son « inoccupation ». Deux tiers du territoire de Jérusalem-est a été pris de force. Poursuivons : le prix du ticket de tram est inabordable. Un plan d’urbanisation est obligatoire pour construire à Jérusalem. Seulement la mairie n’en prévoit pas pour les secteurs constructibles par les Palestiniens et les Palestiniennes. A Silwan, au-dessus des décombres d’une dizaine de maisons récemment détruites, une habitation israélienne, flambant neuve, arbore fièrement le drapeau à l’étoile de David.

Collabos, Kapos, Ghetto

A l’image du reste, le dépôt de Tramway de Veolia, courageux avant-poste du capitalisme français, est coincé entre deux quartiers palestiniens, une zone tampon de gravats et de bus incendiés formant un bel écrin de ruines à ce fleuron du collabo-colonialisme.

Huit heures du matin. Devant le dépôt justement, un jeune soldat israélien, M16 en bandoulière, gifle mollement, à coups répétés, un ouvrier palestinien qui a l’âge d’être son père. Celui-ci aura-t-il oublié les papiers l’autorisant à rentrer chez lui, répondu vivement au bidasse… ? Peu importe. La scène est si banale que le gardien du dépôt la contemple d’un œil endormi, sans émotion.
Lorsqu’ils avaient pris Jérusalem en 1967, les soldats israéliens avaient « libéré » le Mur des Lamentations.

Aujourd’hui, un autre mur, lamentable, réalise le triple objectif politique de réduire en nombre la population arabe de la ville (100 000 âmes), de créer un Grand Jérusalem permettant de poursuivre le travail de colonisation des propriétés palestiniennes, et de placer la ville au cœur de l’Etat hébreu, débarrassée de toute présence … palestinienne.

Cuervo (AL 95)

[1Lire : Michel Warchawski, Sur la frontière, Stock, 2002.

[2« Israël : enquête de satisfaction « raciste » dans le tram d’Alstom », www.rue89.com, 23 août 2010.

[3En Suède, et en Norvège notamment, pays farouchement mobilisés pour la Palestine, mais aussi au Royaume-Uni. Voir, par exemple, « Le Conseil municipal de Swansea interdit de futurs contrats avec Veolia », www.info-palestine.net, 16 juillet 2010.

 
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