Jean-Emile Sanchez : Pour sortir la Confédération paysanne de l’ornière




La Confédération paysanne, principal syndicat de gauche du monde agricole, traverse une zone de turbulences, entre la candidature embarrassante de son ex-porte-parole José Bové à la présidentielle et un revers aux dernières élections aux chambres d’agriculture. Jean-Émile Sanchez, qui a été porte-parole de la Confédération paysanne en 2004-2005 et est toujours membre du comité national de l’organisation, nous donne son avis.

Lors des élections aux chambres d’agriculture en janvier, la Confédération paysanne a subi un revers important : une baisse de sept points par rapport au précédent scrutin, en 2001.

Plusieurs éléments peuvent expliquer ce résultat. Tout d’abord la situation sociale et économique des paysannes et des paysans qui se dégrade ; une politique agricole commune de plus en plus soumise aux intérêts de l’agro-industrie et de la grande distribution ; une baisse continue des prix agricoles à la production avec en face une répartition des aides européennes scandaleusement inégalitaire. Quelques semaines avant le scrutin, la commissaire européenne à l’Agriculture annonçait pour 2013 une baisse importante du budget agricole européen, donc moins de soutien pour compenser (peu ou prou) les baisses des prix. Pour compenser, elle proposait aux paysannes et aux paysans d’aller chercher un revenu en dehors de leurs fermes, en exerçant une activité complémentaire.

La Coordination rurale en trompe-l’œil

Autre élément marquant de ce scrutin : la forte présence de la Coordination rurale (CR) dans la quasi-totalité des départements, alors qu’en 2001 elle n’était présente que dans 50. Dans ce contexte, la CR a délivré un discours très populiste qui a porté ses fruits : trop de contrôle et d’encadrement de l’activité agricole ; pour le droit de produire sans aucune contrainte environnementale et économique. La CR a la même méthode que l’extrême droite politique : surfer sur les craintes des paysan-ne-s et stigmatiser les “ fonctionnaires ” du ministère de l’Agriculture en les désignant comme les responsables de leur situation.
Pour autant, la progression de cinq points de la CR ne signifie pas, pour moi, une droitisation du monde paysan. Les votes qui se sont exprimés en faveur des listes de la CR ne sont pas des votes d’adhésion au discours et aux thèses défendus par elle, mais expriment le malaise que vivent les paysan-ne-s.

Quant au grand syndicat de droite, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), avec près de 60 % des voix, elle reste le syndicat majoritaire. Dans un contexte difficile, la FNSEA a su séduire, de la même façon que la CR, mais avec un autre discours. Elle manie en fait parfaitement le double langage. Elle récupère bon nombre d’arguments et d’analyses que porte la Confédération paysanne – dénonciation de l’OMC, soumission de l’agriculture aux seules règles du marché – et mène une politique qui n’a rien à voir ! Ce double langage, associé à des moyens de communication sans commune mesure avec ceux de la Confédération paysanne, a fait son chemin dans le monde paysan. Il faut ajouter à cela le soutien politique et économique du ministère de l’Agriculture. La FNSEA est en effet partie intégrante de la Chiraquie !

Malaise à la Confédération paysanne

La Confédération paysanne, quant à elle, n’a pas su être présente, dans son expression, sur les combats qu’elle a portés depuis de nombreuses années. Les combats, mais aussi les actions de terrain que nous savons initier pour faire passer des idées auprès des paysannes et des paysans. La force de la Conf’ réside dans sa capacité à inscrire les revendications paysannes dans un combat plus global. Or il faut bien reconnaître que depuis quelques temps cette capacité a fortement diminué. Les poursuites judiciaires quasi systématiques contre nos actions expliquent en partie cette situation. La “ peur ” de la répression fait son chemin dans la tête des militantes et des militants, et les finances confédérales ont été mises à mal par ces procédures judiciaires. Pour autant, nous ne pouvons accepter de voir notre expression syndicale remise en cause par la répression.

Dernier élément souvent évoqué pour expliquer le recul de la Confédération paysanne lors des élections : la candidature à l’élection présidentielle de José Bové. Durant les élections aux chambres d’agriculture, nos adversaires ont utilisé cette candidature Bové pour classer la Conf’ à l’extrême gauche de l’échiquier politique. Évidemment, ce reproche de manque d’indépendance est d’une mauvaise foi criante venant de la FNSEA qui a “ fourni ” deux ministres de l’Agriculture à des gouvernements de droite, ou de la CR dont le discours est très largement repris par Philippe de Villiers !

Depuis l’été dernier, la Conf’ a exprimé très clairement son refus de soutenir quelque candidat que ce soit à la présidentielle comme aux législatives. Même si ce candidat s’appelle José Bové. Cette candidature, que je qualifie d’erreur politique et stratégique, a au moins eu le mérite de susciter un débat au sein de la Confédération paysanne, sur l’impérieuse nécessité de l’autonomie du syndicat vis-à-vis de la sphère politique, fut-elle “ altermondialiste ”.

L’écueil de la personnification

Il me semble que ce n’est pas tant la candidature de José qui a nui à la Conf’ que le fait qu’actuellement la Confédération paysanne ne parvient plus à être identifiée à travers ses responsables. La nature ayant horreur du vide, à chaque fois qu’apparaissait José dans les médias, pour les paysans, c’était la Conf’ qui parlait. Lorsque je parle de “ vide ”, je parle de l’incapacité actuelle à affirmer fortement nos choix syndicaux. C’est cela qui fait défaut, plus que la médiatisation de telle ou telle personne. Même si je pense, tout en le déplorant, que les paysannes et les paysans, comme beaucoup de gens, sont sensibles à cette personnification. Toute la question, pour la Conf’ mais aussi pour n’importe quelle organisation, est de savoir si pour exister il faut céder à la personnification. Une organisation comme la Confédération paysanne doit s’identifier aux combats et aux luttes sociales que nous sommes capables d’initier et de porter. Dans ces combats, c’est la reconnaissance de notre engagement et la pertinence de nos revendications qui sont fondamentales, et non plus une existence médiatique, par définition éphémère et artificielle, par porte-parole interposé.

Le slogan de la Confédération paysanne pendant la campagne était : “ Paysans-paysannes reprenons notre avenir en main ”. Ce message est pleinement d’actualité. Aujourd’hui 20 000 paysan-ne-s disparaissent tous les ans, un paysan sur deux a une rémunération inférieure au Smic et 23 % vivent sous le seuil de pauvreté. L’enjeu est à présent de démystifier le discours de la Coordination rurale et de la FNSEA. De faire comprendre aux paysannes et aux paysans que la situation qu’ils vivent tous les jours n’est pas le fruit du hasard, mais bien la conséquence de choix politiques largement cautionnés par le syndicalisme majoritaire. D’expliquer qu’elles et eux aussi sont confronté-e-s à un vaste plan social qui, comme pour les salarié-e-s, fait de la paysannerie la seule variable d’ajustement pour que les actionnaires de l’agro-industrie et de la grande distribution continuent d’accroître leur dividende.

Plus que jamais nous devons inscrire notre combat paysan dans un projet global de transformation sociale radicale, au service des droits humains.

Jean-Émile Sanchez

Élections aux chambres d’agriculture

Syndicats199520012007
FNSEA et apparentés (droite) 59,79 % 53,57 % 57,83 %
Confédération Paysanne (gauche) 20,07 % 26,39 % 19,63 %
Coordination rurale (extrême droite) 12,17 % 12,38 % 18,7 %
Modef (proche du PCF) 4,64 % 2,90 % 0,55 %
Listes d’union Confédération paysanne/Modef 0,81 % 1,47 % 1,44 %
Divers 2,52 % 3,29 % 1,85 %
 
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