Les Chroniques du travail aliéné : « On ne me dit pas bonjour... »




Les Chroniques du travail aliéné, par Aline Torterat, médecin du travail


« On ne me dit pas bonjour, tout juste si on me parle », Jeanne [1], professeur de maths-physique

Je suis enseignante de maths-physique dans un gros établissement de formation professionnelle depuis un peu plus de vingt ans. Je suis en conflit avec une collègue et ceux qui la soutiennent, avec le directeur et avec le délégué syndical. On ne me dit plus bonjour, tout juste si on me parle. On parlait des inégalités dans les emplois du temps qui se sont progressivement mises en place depuis l’arrivée en poste de la nouvelle équipe dirigeante. En principe, dans ma spécialité, un temps plein doit faire 690 heures par an. Or, il y en a qui font beaucoup moins, de 20 à 90 heures facilement. Pour la même paye ! On signale cette anomalie, personne ne bouge. Alors, entre nous, ce jour-là, on a cité des noms. Mais, voilà, une personne l’a rapporté à ma collègue qui s’est crue visée. Effectivement j’avais parlé d’elle, mais sans la moindre accusation. Elle est allée se plaindre au directeur et il m’a convoquée, s’est mis à me vouvoyer alors qu’on se tutoie d’habitude en me hurlant dessus. J’étais tellement mal que mon médecin m’a arrêtée quelques jours.

Puis j’ai fait un mot au directeur pour laisser une trace. Mais ensuite la collègue s’est adressée à une classe commune pour dire aux élèves qu’elle allait les reprendre pour me soulager. Les élèves étaient mal à l’aise. Ils n’ont pas à être mis en arbitrage comme ça, alors, le jour même j’ai écrit une lettre à ma collègue pour marquer ma désapprobation. Elle a montré ce courrier à tous les profs qui, n’ayant que des informations partielles, m’ont mise en quarantaine. Et finalement, le délégué CGT m’a convoquée pour me dire qu’il était allé voir le directeur parce que ma collègue m’accuse maintenant de harcèlement moral. Et lorsque je lui explique les raisons de ce conflit, que c’était un peu son rôle d’intervenir sur les injustices, il m’a dit que ce n’était pas à lui de faire augmenter la charge de travail des collègues !

Bref, je me calme… Parce que, tout de même, dans les quinze jours qui ont suivi mon entretien tous ceux qui étaient en sous-charge ont eu un complément d’heures à faire pour les ramener au temps de travail pour lequel ils sont rémunérés. Il faut dire qu’un récent contrôle financier de l’établissement a montré de gros dysfonctionnements. Et toutes ces heures pas faites, ça finissait par coûter ! J’ai l’impression que le directeur a tout de suite compris les enjeux pour lui si cette affaire-là allait aux Prud’hommes.

Ces heures complémentaires sont des heures d’intervention dans les entreprises qui emploient nos élèves. Mais sans informations, sans formations pour nous. On n’aime pas ça parce qu’on ne sait pas s’y prendre. En plus les entrepreneurs ne peuvent nous recevoir que le soir, après 17 h 30. Le directeur l’a interdit, il faut y aller pendant les heures officielles de travail, soit avant 17 h 30. Ceux qui y sont allés après ne vont pas avoir leurs heures payées. C’est la menace. Je crois que je vais en parler au délégué CGT. Il va peut-être trouver que c’est son rôle cette fois !! Comme si on ne devait pas tenir compte de leurs disponibilités… On est vraiment dans la toute-puissance ! Ça me soulage cette vision des choses !

[1Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.

 
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