Les chroniques du travail aliéné : Ginette, chimiste, 51 ans




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).

Je n’ai pas de troubles psychiques, hein !… Simplement les ressources humaines viennent de faire une enquête sur moi auprès de mes collègues. Je ne sais pas ce qu’elles ont dit. Ma chef m’agace, elle ne veut pas que je fasse une bascule sur sa boite quand la mienne est pleine, elle dit qu’elle n’est pas ma secrétaire, c’est sûr, mais bon… Et quand je demande si elle a rempli un bon d’absence si elle n’est pas là, on me dit que ça ne me regarde pas… Il paraît même que j’aurais harcelé un thésard… Je travaille dans cette société depuis vingt-cinq ans, tout le monde est passé cadre sauf moi. Je reste avec les stagiaires à la paillasse, c’est inadmissible. Le chef de labo se défile et le DRH me dit toujours « plus tard ». C’est un manque de reconnaissance. Ils m’ont même écartée de la veille de la concurrence. Pourtant c’est moi qui suis la plus ancienne, je ne comprends pas pourquoi je ne monte pas. Pourtant j’ai un beau métier, on met en évidence les principes actifs des plantes pour en faire des cosmétiques. Les cosmétiques, ça a toujours été mon truc. Mon chef de labo va faire de l’ethnobotanique dans les pays lointains, il se renseigne sur les usages des végétaux et en fait venir. Ici on s’occupe de savoir comment faire pour en faire des produits antirides, tout ça, pour rester jeune, quoi… Et plusieurs fois dans l’année, on va dans des grands colloques scientifiques internationaux pour présenter nos travaux, enfin, moi j’étais surtout là au nom du groupe. Et il y a aussi les responsables marketing, c’est sûr, ce n’est pas seulement « scientifique ». C’est une sorte de club entre tous les grands groupes, on est tous ensemble dans des grands hôtels, c’est agréable, on se sent reconnus… Maintenant ce sont les nouvelles arrivées qui y vont, je ne comprends pas pourquoi. Sur les notices des crèmes, tout n’est pas faux, on en rajoute un peu c’est vrai, et on ne dit pas tout non plus, mais c’est le jeu. On est loin des guérisseurs de la forêt amazonienne, on pourrait dire que c’est un peu du vol mais eux, hein, ils n’auraient jamais su comment les mettre en gel ou en crème leurs plantes, alors… Et il y a des produits qui ont de forts potentiels de vente. Mais je ne comprends pas pourquoi moi je reste à faire les manip à la paillasse alors que les collègues plus jeunes vont dans les grands hôtels… Je voudrais monter.

 
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