Lire : De Gracia, « L’Horizon argentin »




Si l’on osait une comparaison avec le travail Howard Zinn, c’est presque une « histoire populaire de l’Argentine », du milieu du XIXe siècle à l’insurrection de décembre 2001, que brosse à grands traits Guillaume de Gracia dans cet ouvrage roboratif (près de 600 pages). Et L’Horizon argentin sur lequel l’auteur garde de bout en bout les yeux rivés, c’est celui du pouvoir populaire (poder popular) en germe dans les différentes formes que le mouvements social a revêtu au fil des décennies. À ces différentes formes, l’auteur identifie un dénominateur commun : l’horizontalisme. « D’un point de vue théorique, explique-t-il, l’horizontalisme revient à la construction symbolique d’une société que d’aucuns décriraient comme libertaire et communiste à travers l’articulation de 5 notions [...] à savoir la multiplicité, l’autonomie, l’horizontalité, les tactiques d’action directe et l’ancrage territorial. » La multiplicité, c’est celle des formes d’auto-organisation (sur le lieu de travail, de formation, d’habitation...) ; l’autonomie, c’est le refus de l’ingérence d’une force extérieure ; l’horizontalité, c’est le refus de la hiérarchie dans l’organisation ; l’action directe, c’est le refus de déléguer à d’autres (politiciens, bureaucrates, prêtres...) la défense de ses intérêts ; l’ancrage territorial, c’est la nécessité de créer de « nouvelles relations sociales » dans son espace d’action.

Le livre fait une large place, bien entendu au moment fondamental qu’a constitué, pendant les 30 premières années du XXe siècle, l’expérience de la Fédération ouvrière régionale argentine (FORA). La FORA ne s’identifiait ni au syndicalisme révolutionnaire de la CGT française, ni à l’anarcho-syndicalisme de la CGT espagnole, mais représentait une forme politico-syndicale originale, une sorte de mouvement ouvrier-anarchiste de masse (jusqu’à 200 000 membres pour un pays de 10 millions d’habitants), luttant à la fois pour la réduction du temps de travail et pour le communisme libertaire.

Passée la période héroïque après le coup d’État de 1930, le mouvement ouvrier abdique son autonomie, avec la décadence de la FORA puis la phénoménale adhésion populaire au péronisme, ce summum de la rencontre entre un homme providentiel et une nation. Guillaume de Gracia montre les résurgences épisodiques de l’horizontalisme à la gauche du péronisme populaire, indiquant malgré tout la permanence de pratiques et d’aspirations démocratiques qui n’étaient pas sans inquiéter le dictateur lui-même.

Le Cordobazo et les insurrections de rue de 1969-1970 vont marquer le retour au grand jour de l’horizontalisme, avant l’explosion de décembre 2001, ses assemblées populaires, ses mouvements piqueteros, ses coopératives de consommation et ses entreprises « récupérées », force montante qui cependant ne parvint pas à la conscience de constituer un pouvoir-action (potentia), alternatif à un pouvoir d’État (potestas) moralement ruiné. Cette situation pré-révolutionnaire a cependant marqué durablement les esprits, puisque selon l’auteur « aujourd’hui, la société civile argentine a totalement inclus dans son vocabulaire [la] vision horizontale ».

Guillaume Davranche (AL93)

 
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