Lire : Gustave Lefrançais, « Souvenirs d’un révolutionnaire »




Ce n’est pas par nostalgie, ni même en historien qu’il faut lire les souvenirs de Gustave Lefrançais, publiés en 1902, souvenirs qui commencent par la répression de la révolution de juin 1848 pour s’achever avec la répression de la Commune de Paris. Non, c’est en militant, en camarade, que sa traversée d’un échec à l’autre de la vie politique parisienne est passionnante. Et d’abord parce qu’en n’étant lui-même affilié à aucun parti, il est un observateur savoureux et précis. Il est évidemment impitoyable pour le camp républicain-bourgeois qui fusillera allègrement en 1848 comme en 1871 la révolte ouvrière. Mais il garde une vraie empathie pour tous les autres. Tous les autres qui en ce temps sont nommés par leur métier avec fierté car c’est bien d’émancipation des ouvriers par eux-mêmes qu’il s’agit.
Tout jeune instituteur en 1848, il travaille avec des saint-simoniens et des fouriéristes à un programme scolaire émancipateur (scolarité obligatoire de 3 à 18 ans) qui prévoit, en trois parts égales, l’éducation manuelle, intellectuelle et artistique des enfants pour en faire des citoyens accomplis.
Admirateur de Proudhon pour ses théorisations sur le fédéralisme qu’il considère comme une avancée théorique indépassable pour l’émancipation ouvrière, il rejette la défense d’un monde artisanal qui laisse la place progressivement à l’industrie. Admirateur de Blanqui pour son courage, il rejette le côté autoritaire d’un coup d’État secrètement planifié.

Communiste « indépendant » il se réjouit d’apprendre que le relieur Varlin fasse triompher les positions collectivistes contre la majorité mutuelliste dans la section française de l’AIT, mais il se garde d’y adhérer. Brièvement franc-maçon, candidat à des élections dont il méprise le caractère pseudo-démocratique, animateur inlassable de débats tolérés et surveillés par la police de l’Empire, c’est avant tout un pragmatique. Lui-même avouant qu’il n’a pas encore d’image claire de « son communisme ». Il est d’ailleurs très parlant à propos de la réception de Marx en France que l’auteur du Manifeste ne soit pas même cité une fois au long de l’ouvrage.

Proscrit et exilé à plusieurs reprises, le lecteur partage toutes ses souffrances, ses dépressions et ses espoirs. Jusqu’aux pages haletantes sur la Commune de Paris où il jouera un rôle de premier plan (votant avec la minorité contre le comité de salut public) et la honte non dissimulée qui est la sienne de passer les dernières heures, effondré, épuisé, traqué, à se cacher. Paix à toi camarade.

Jean-Yves Lesage (AL 93)

• Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire, Paris, La Fabrique, 2013, 506 pages, 27 euros.

 
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