Lire : Irène Pereira, « Les grammaires de la contestation »




Notre camarade Irène Pereira a entrepris de dresser la carte de la gauche radicale contemporaine à partir de la spécificité de ses « grammaires ». Ce concept lui permet de privilégier une sociologie pragmatiste inférant les discours des acteurs de leurs pratiques militantes. Cette reconstruction théorique permet ainsi de saisir les origines philosophiques de visions politiques. Celles-ci sont autant de divisions partageant la gauche radicale de même que les organisations s’en prévalant.
Trois grammaires sont ainsi dégagées, avec les combats qu’elles revendiquent et les formes d’action qu’elles privilégient. Une grammaire républicaniste sociale, qui substitue le citoyen engagé dans la vie civique à l’individu abstrait du libéralisme, et défend l’apaisement de la question sociale, sans pour autant remettre en cause le modèle de gouvernement républicain défini par la Révolution française. La grammaire socialiste, optant pour le matérialisme de la lutte des classes et la rupture révolutionnaire, critique le formalisme juridique de la vision républicaine, son réformisme antilibéral inconséquent et son humanisme abstrait. Deux sous-grammaires découlent de cette grille : une grammaire léniniste insistant sur l’action partidaire, et une autre promouvant le syndicalisme d’action directe. Enfin, une grammaire nietzschéenne ou postmoderne s’appuie sur la déconstruction des grands sujets politiques classiques (l’individu pour les libéraux, le citoyen pour les républicains, le prolétariat pour les socialistes), et valorise les minorités sexuelles et raciales, ainsi que l’autonomie des luttes et des styles de vie.
Irène Pereira s’attarde ensuite sur le moment de Mai 68 pour l’envisager à partir des trois grammaires dont il aurait représenté une forme provisoire de synthèse idéale-typique. Elle milite enfin en faveur d’un socialisme radical, qui devra stratégiquement prendre en compte le caractère hétérogène des grammaires traversant les organisations à la gauche de la gauche, et politiquement proposer un compromis respectueux de la pluralité non-hiérarchisée des systèmes de domination à combattre.

Franz B. ( AL 93)

Irène Pereira, Les Grammaires de la contestation. Un guide de la gauche radicale, éd. Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2010, 238 p.

 
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