Lire : Leroy, « La Coutume ouvrière »




Les éditions CNT-RP portent à leur catalogue un ouvrage mythique, paru en 1913 et jamais réédité depuis, une référence de premier ordre pour les historiennes et les historiens du syndicalisme.

La Coutume ouvrière du juriste Maxime Leroy (1873-1957) est, sans aucun doute, un très grand livre. Par son format, bien sûr, mais aussi par la masse de lectures sur laquelle il repose, qui en font une somme sans pareille sur un sujet peu exploré, le syndicalisme français d’avant 1914, dont l’auteur fut un “ compagnon de route ” bien plus discret que les flamboyants théoriciens du Mouvement socialiste, Georges Sorel et Hubert Lagardelle.

Représentant du “ socialisme juridique ”, son intérêt pour le mouvement syndical se manifesta très tôt par la publication de nombreux textes consacrés au droit des fonctionnaires à se syndiquer, intérêt qui alla de pair avec l’attention portée au syndicalisme ouvrier, auquel il dédia dès le début du siècle une série d’articles qui sont autant d’essais préparatifs à La Coutume.

Voulant marquer ce qui fait l’originalité de sa démarche, Leroy note que son livre n’est pas “ une histoire du mouvement ouvrier mais le travail d’un juriste face à un système juridique particulier : le droit ouvrier spontané, œuvre directe et originale du prolétariat groupé dans ses fédérations, coutume libre sans caractère judiciaire ”. Il s’agit, ce faisant, d’expliquer “ les statuts des associations ouvrières comme autant de lois ”, puisque “ confronter les règles d’atelier, les règles de grève, les règles de la coopération entre ouvriers, c’est étudier un système juridique qui n’est que prolétarien ”. Leroy rompt là-dessus avec la quasi-totalité de ses pairs, lesquels ne reconnaissent pas le caractère juridique de règles qui “ ne dépendent pas, même indirectement, de l’autorité publique ”.

C’est donc sur la “ vie intérieure, [la] vie autonome juridique ” des syndicats que porte en priorité son effort, un terrain négligé par tous ceux qui, avant lui, se sont penchés sur le mouvement syndicaliste.
Et, en effet, on trouve dans l’ouvrage de Leroy, le tableau d’une précision incomparable, de tous les rouages de la “ machinerie ” syndicale. Mais Leroy n’omet jamais de mettre en perspective historique les thèmes abordés, que ce soit la formation des syndicats ou l’idée – fondatrice du syndicalisme français – de grève générale, ou encore les relations entre le syndicalisme et les partis, un sujet magistralement traité dans “ L’obligation syndicale à la neutralité politique ”, qui fait justice de la prétendue “ nouveauté ” de la déclaration d’indépendance contenue dans la “ charte ” d’Amiens.

Il accorde de même de longs développements aux pratiques propres au syndicalisme révolutionnaire (l’action directe, le boycottage, le label, le sabotage) et à sa théorie de la grève, à sa doctrine antimilitariste et apatriotique, et, enfin, à son inspiration fédéraliste dont il signale (Livre VIII) combien elle est redevable à l’héritage proudhonien et à celui du courant anti-autoritaire de la Première Internationale.

Et s’il n’hésite pas à prendre ses distances avec certaines pratiques du syndicalisme révolutionnaire, s’il défend – à l’instar de Lagardelle – l’idée d’une politique syndicaliste ou s’il met le doigt sur les contradictions qu’il croit percevoir parfois entre la pratique et la doctrine syndicalistes, il n’en avoue pas moins sa “ sympathie pour le régime d’égalité et de liberté, basé sur le travail, que les syndicats préparent patiemment depuis la scission qui s’est produite entre producteurs et bénéficiaires de la production ”, un sentiment qui ne se démentira pas tout au long du livre.
Ce n’est pas là un des moindres mérites d’un ouvrage paru en 1913 et qui nous apparaît à présent comme un monument de l’histoire du syndicalisme. Il est heureux qu’il soit mis enfin à la disposition des lecteurs d’aujourd’hui.

Miguel Chueca

  • Maxime Leroy, La Coutume ouvrière, Éditions CNT-RP, Paris, 2007, 934 pages (fac-similé, en deux tomes), 40 euros les deux. Commande à : CNT, service librairie. 33 rue des Vignoles, 75020 Paris. Chèque (47 euros : 40 + 7 euros de frais de port) à l’ordre de : CNT, service librairie.
 
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