Lire : Victor Serge : Carnets (1936-47)




Issu d’une famille de terroristes anti-tsaristes, anarchiste emprisonné en France et combattant à Barcelone, libertaire honni des anarchistes pour son ralliement au parti bolchevique en pleine révolution russe, militant de l’appareil de la IIIe Internationale emprisonné pour trotskisme par Staline, mis en quarantaine par les sectes trotskistes lorsqu’il soutient qu’aucune IVe Internationale ne peut être créée sans quelques partis nationaux sérieusement implantés, Victor Serge reste jusqu’à son dernier souffle inclassable. Il est resté à la recherche d’une révolution à laquelle il a consacré sa vie puis ses Mémoires ainsi que plusieurs romans portés par un vrai souffle et d’authentiques qualités littéraires. Lui l’ignore probablement mais il est sans nul doute l’un des premiers « communistes libertaires », tentant l’improbable pari de faire vivre le meilleur des traditions marxiste et anarchiste, à chaud, dans le torrent de l’histoire qui se construit. Quand la moindre erreur se paie cash.

Les Carnets, publiés cet hiver, témoignent de la vivacité et de la rigueur morale et intellectuelle du militant au crépuscule de sa vie. Très largement inédits, ils couvrent la période 1936-1947 de son départ en exil au Mexique puis aux États-Unis où il meurt en 1947. Au jour le jour se succèdent des considérations artistiques, des tentatives de prévisions géopolitiques sur la guerre et l’après-guerre, des descriptions touristiques, des réflexions toujours pointues sur l’actualité, des échos de son militantisme dans l’émigration. Et puis à l’occasion de tel ou tel décès, pas toujours naturel, le portrait de dizaines de dirigeants révolutionnaires de toutes nationalités qu’il eut l’occasion de fréquenter. Se dessine un univers plein de militants qui s’affrontent mais où les masses se font rares, laissant les uns et les autres à leurs erreurs ou à leurs crimes.

On peut lire ces épais Carnets comme un blog d’hier ou un dictionnaire en piochant de-ci de-là. Une manière de s’imprégner de la violence des espoirs et désespoirs forgés dans la fournaise des révolutions du court XXe siècle ; une introduction sans les lourdeurs d’un manuel. Pour celles et ceux qui connaissent déjà bien le sujet, on trouve ici mille détails, précisions, personnages, sensations vécues, points de vue personnels qui enrichissent en profondeur la réflexion. Nöel c’est dans un an, achetez le livre sans attendre !

Jean-Yves (AL 93)

• Victor Serge, Carnets (1936-47), Agone, 30 euros.

 
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