Montreuil, l’« Usine verte » : Le travail ET la santé




L’Usine verte de Montreuil, comme on l’appelle, est un cas d’école des difficultés à articuler luttes environnementales et luttes économiques. Comment défendre l’emploi des ouvriers de l’usine sans sacrifier leur santé et celle des habitants du quartier  ?

Montreuil, novembre 2017, une rue du quartier des Guilands. Devant un bâtiment couvert de tôle verte – ici tout le monde l’appelle l’«  Usine verte  » – un groupe de voisins s’est rassemblé une nouvelle fois. Dans le petit matin froid on discute. De l’Usine verte justement. Va-t-elle être fermée oui ou non  ? C’est ce que les habitantes et les habitants réclament depuis des mois à la préfecture, accusant l’usine et ses émissions toxiques d’être un danger public. Soudain, quelques ouvrières et ouvriers sortent du bâtiment, furieux  : «  Dégagez  ! Mêlez-vous de vos affaires  ! On n’est pas malades  ! Et nos emplois, nous y avez pensé  ?  » Gêné, le petit rassemblement essuie les invectives, mais ne bouge pas.

Le dilemne de l’emploi et de l’environnement

La scène est emblématique des contradictions douloureuses en­tre deux exigences légitimes  : la sécurité sanitaire de la part des riverains  ; le maintien de l’emploi de la part des salarié.es. Durant tout le second semestre 2017, elle a percuté le mouvement syndical et les organisations politiques montreuilloises.

L’Usine verte, de son vrai nom Société nouvelle d’eugénisation des métaux lourds (Snem) est une entreprise spécialisée dans le traitement de surface de pièces métalliques pour l’aviation civile et militaire, en particulier pour les groupes Airbus et Safran. La société gère deux sites, l’un à Gellainville (Eure-et-Loire) et l’autre à Montreuil. Ce dernier, du fait de son activité hautement polluante, nécessite une autorisation spéciale d’exploitation. L’usine est installée depuis 1972 à proximité de deux écoles primaires (Jules-Ferry 1 et 2), de deux maternelles (Jules-Ferry et Anne-Frank), d’un foyer d’accueil médicalisé pour adultes et d’un collège en construction dont l’ouverture est programmée pour septembre 2018. La Snem Montreuil utilise 19 produits chimiques dont le chrome VI, agent cancérigène, mutagène et reprotoxique, interdit d’utilisation par l’Union européenne depuis septembre 2017. Une dérogation a été accordée à Airbus et Safran.

Depuis plus de 10 ans, un collectif de riverains interpelle régulièrement la préfecture au sujet de la vétusté criante des bâtiments et des conditions hors normes dans lesquelles se poursuit l’exploitation de ce site  : toitures qui fuient, des salarié.es les mains dans le chrome, les pieds dans l’eau, des metteurs au bain obligés de faire les équilibristes au-dessus des bains chimiques pour sortir des pièces coincées. Les responsables de cette situation sont principalement Airbus et Safran Nacelles qui préfèrent donner à des entreprises sous-traitantes le sale boulot pour augmenter leurs profits, ne pas respecter les normes environnementales, les conditions de travail et imposer des prix bas.

Le collectif a été rejoint par deux associations de quartier, ainsi que par l’UL Solidaires. La mobilisation a pris de l’ampleur au cours de cet automne  : manifs dont celle du 27 septembre qui a fait l’objet d’une répression policière étonnamment violente, AG hebdomadaires, école déserte. Du point de vue du mouvement social, l’UL-CGT, qui a d’ailleurs un délégué dans l’usine, a une position principalement centrée sur la défense de l’emploi plus que sur les préoccupations environnementales, et ne réclame pas la fermeture de l’usine. L’UCL-FCPE soutient activement la mobilisation (occupation administrative des écoles et journées école déserte). L’UL-Solidaires a une position acrobatique mais courageuse en exigeant tout à la fois la fermeture du site et le reclassement des salarié.es chez les donneurs d’ordres. Des salarié.es au sein de l’usine se sont syndiqués à SUD sur cette stratégie, ce qui lui donne du crédit.

Face à la mobilisation, la Snem a été mise en demeure, via un arrêté préfectoral le 8 août, d’améliorer le stockage et l’évacuation de ses déchets et de mettre en conformité son système de ventilation. Une contre-visite d’expertise a été effectuée par la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (Driee) en novembre, pour constater que les travaux adéquats avaient été réalisés. Le préfet de Seine-Saint-Denis a donc levé la mise en demeure et exclu à ce moment toute fermeture de l’usine. Peut-on prendre au sérieux ces études quand le responsable de la production a été couvert de capteurs alors qu’il est resté dans son bureau et que les metteurs au bain directement concernés n’en n’ont pas été équipés  ? Sur le plan juridique, un administrateur judiciaire a été désigné par le tribunal de commerce. La question du devenir de l’usine se pose très concrètement.

Fermer l’usine et reclasser les salarié.es

Si la question de la sécurité est cruciale, il s’agit pour nous de ne pas oublier celle des salarié.es de l’usine. Ils et elles sont 14, dont une majorité aura de grandes difficultés à retrouver un emploi. Un salarié a été licencié pour avoir dénoncé ses conditions de travail et avoir été le témoin d’actes illégaux dans le contrôle des pièces livrées à Airbus et Safran. Le collectif exige sa réintégration. Et si l’usine fermait, à qui incomberait la charge de la dépollution et du reclassement de ses salariés  ? Tant que la Snem est considérée comme un simple sous-traitant d’Airbus, cette responsabilité incombe à la municipalité de Montreuil.

Une solution serait la requalification du site en une filiale du groupe Airbus. Les coûts de dépollution et de reclassement incomberaient ainsi à la maison mère. Pour ce faire, il faut prouver que le géant de l’aéronautique détient au moins 50 % du capital de la Snem et qu’il impose des processus spécifiques, en l’occurrence ici le chrome VI. De plus, le groupe décline toute responsabilité concernant la mauvaise gestion des déchets toxiques qui relèvent de réglementations publiques contrôlées par les services compétents de l’État, auxquels Airbus ne peut se substituer. Aux dernières nouvelles, la préfecture de Seine-Saint-Denis devait mener une étude sur les sols et gaz du sol serait réalisée avant le 28 janvier. Elle précisait par ailleurs sa volonté de «  compléter ces analyses par une série d’investigations supplémentaires en cours de définition  ».

Du côté du collectif AL Montreuil, on pense que la stratégie défendue par l’UL Solidaires est la plus pertinente, même si elle est risquée. Le risque est en effet qu’une fois la fermeture acquise, les riverain.es abandonnent les ouvrières et les ouvriers à leur sort. Espérons que ce ne sera pas le cas, et que la population mobilisée pour la fermeture de l’usine sera ensuite aussi tenace pour garantir l’avenir des salarié.es.

Dora (AL Montreuil)

 
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