Nécrologie : Larry Portis, historien révolutionnaire entre France et Etats-Unis




Historien, écrivain, militant de la gauche radicale états-unienne, puis française, Larry Portis est décédé samedi 4 juin 2011 des suites d’un infarctus à son domicile dans les Cévennes.

Larry Portis est né le 3 juillet 1943 aux États-Unis à Bremerton dans l’Etat de Washington. Il a grandi dans une famille ouvrière. Son père était métallurgiste et sa mère travaillait de temps à autre comme secrétaire.

Il se marie à l’âge de 18 ans et de cette union naissent deux enfants. Il accumule alors les petits boulots notamment dans le secteur du nettoyage, mais il ne se voit pas passer toute sa vie à effectuer des tâches pénibles et à subir des conditions de travail aliénantes, c’est pourquoi il décide de reprendre ses études à l’âge de 22 ans.

Il vit à Seattle, dans le Montana où il a entrepris des études à l’université de Billings, puis il intègre celle de DeKalb dans l’Illinois. Il y soutient un doctorat en histoire sur les débuts de la sociologie en France au XIXe siècle en lien avec l’émergence du syndicalisme révolutionnaire.

Ces années de formation sont décisives. Larry rencontre des universitaires engagé-e-s à gauche qui ont été inquiété-e-s pour leurs idées progressistes pendant la guerre froide durant l’ère du maccarthysme. Les années 60 sont marquées par le mouvement des droits civiques, les mobilisations contre la guerre du Vietnam, l’essor de la nouvelle gauche et correspondent au début de son engagement politique. Entre 1965 et 1968, il écrit des articles politiques chaque semaine dans le journal universitaire The Retort et crée The Free Student Press. Il participe au soutien à la lutte syndicale de la United Farm Workers Union.

En 1977, il décide de s’installer en France et mène une carrière universitaire à l’American University of Paris (dont il est licencié après avoir créé une section de la CGT), dans les universités Paris-VII, Paris-X, Clermont-Ferrand et Paul-Valéry à Montpellier (jusqu’à sa retraite en 2009), établissements dans lesquels il enseigne la civilisation américaine.

C’est dans les années 80 qu’il a commencé à publier des ouvrages devenus des références, que ce soit sur les Industrial workers of the world (IWW) chez Spartacus ou sur Georges Sorel à La Découverte. De nombreux autres suivent sur la question des classes sociales, la Palestine, l’extrême droite états-unienne, la culture populaire ou encore la politique extérieure de la première puissance mondiale.

On lui doit également de nombreux articles dans ces domaines et dans bien d’autres (le cinéma notamment) ainsi que des nouvelles et un roman paru aux États-Unis. Certains de ces livres ont été coécrits avec la journaliste Christiane Passevant, sa compagne. Plus largement, Christiane a joué un rôle important dans l’élaboration des ouvrages de Larry, les enrichissant par ses conseils et suggestions.
C’est aussi dans les années 1980 qu’il rencontre l’éditeur René Lefeuvre et l’écrivain et militant communiste libertaire Daniel Guérin, deux figures de la gauche révolutionnaire qui jouent un rôle important dans son itinéraire intellectuel et politique.

Même s’il n’a pas bénéficié de notoriété à l’instar de Howard Zinn, sa contribution à l’histoire populaire des États-Unis est importante et estimable. Ainsi il a fait connaître à toute une génération de militantes et militants et, plus largement, de passionné-e-s d’une histoire critique des États-Unis ce que furent les IWW, ce syndicat révolutionnaire qui avait pour but de rassembler dans les luttes et en une même organisation travailleuses et de travailleurs états-uniens et immigrés.

Son intervention dans le débat intellectuel français embrumé par les thèses fumeuses et droitières des « nouveaux philosophes » a été également appréciable et salutaire. Nous pensons notamment à ses travaux et à son apport critique sur la question des classes sociales. C’est aussi dans cet esprit de rigueur intellectuelle qu’il a voulu réhabiliter Georges Sorel, intellectuel marxiste acquis à la cause du syndicalisme révolutionnaire face à un Zeev Sternhell qui s’est employé à le discréditer en le réduisant à un symbole que l’extrême droite du début du XXe siècle cherchait à récupérer pour, déjà, donner un vernis radical et populaire à sa propagande démagogique, réactionnaire et raciste.

Marxiste de formation, Larry a partagé le combat des syndicalistes révolutionnaires (il a adhéré et milité aux IWW et était proche de la CNT) et des communistes libertaires au point de se revendiquer des leurs, même s’il n’a pas adhéré à une organisation politique. Il a été compagnon de route de la Fédération anarchiste et d’Alternative libertaire dont les éditions ont publié en janvier 2011 son dernier ouvrage : Qu’est-ce que le fascisme ? Même s’il n’était pas un « intellectuel organique », il savait prendre ses responsabilités à chaque fois que la situation l’exigeait comme en 2002 quand il cofonda le groupe Américains pour la paix et la justice à Montpellier alors que l’administration Bush se préparait à donner l’assaut en Irak.

Ces derniers temps, Larry avait lié des liens avec les membres du Collectif pour une Alternative libertaire de Montpellier. Il était venu intervenir plusieurs fois dans le cadre de réunions publiques et les camarades avaient appris à apprécier sa vivacité d’esprit ainsi que ses traits d’humour, notamment sur le binge drinking (beuveries express) de toute une frange de la jeunesse montpelliéraine.

Homme discret, Larry Portis était apprécié de ses ami-e-s, lectrices et lecteurs et de nombre de ses étudiants pour les valeurs et les convictions qu’il défendait mais aussi pour ses qualités humaines, sa gentillesse, sa modestie et surtout sa grande ouverture d’esprit.

Laurent Esquerre (AL PNE) et Matthijs (AL Montpellier)

 
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