Nucléaire : Comment EDF ment sur le risque sismique




Les tremblements de terre de l’été 2007 au Japon ont provoqué un incendie dans la plus grande centrale nucléaire du monde, qui a été fermée jusqu’à nouvel ordre. En France, le risque existe également. Dès 2003, le réseau Sortir du nucléaire avait eu accès à des documents confidentiels révélant que les centrales EDF ne sont pas adaptées au risque sismique français, et que l’entreprise avait falsifié les chiffres qui la gênaient.

EDF a de nouveau été prise en flagrant délit de camouflage des risques réels qui pèsent sur l’Hexagone !

Le 19 juillet 2007, le réseau Sortir du nucléaire dévoilait des documents exclusifs, dont les notes confidentielles estampillées « À ne transmettre à l’extérieur d’EDF sous aucun prétexte ».

Ces documents, qui datent de 2002, font état des méthodes de calcul d’EDF pour adapter les centrales au risque sismique qui les menace. Le hic, c’est que ces calculs sont contestés par l’Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire (IRSN), un organisme placé sous la tutelle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). La mission de l’ASN est de contrôler que les différents acteurs de l’industrie nucléaire (EDF, Areva, Commissariat à l’énergie atomique, etc.) respectent les mesures de sécurité. Hélas, l’ASN a jusqu’ici surtout eu pour rôle de « rassurer les citoyens », sans trop contrarier les intérêts industriels et financiers en jeu.

Risque « vraisemblable »

Les faits remontent au 24 octobre 2002, lors d’une réunion entre EDF, l’ASN et l’IRSN portant sur les risques sismiques.

Accident

Quelle est la méthode d’EDF ? Pour chaque centrale, l’entreprise consulte le répertoire Sisfrance [1] et note le plus fort séisme qui se soit produit dans la région depuis un millier d’années. Ce séisme est baptisé Séisme maximal historiquement vraisemblable (SMHV) et sert désormais à indiquer le danger maximal pesant sur la centrale. On mesure ensuite l’intensité de ce SMVH dans la zone de la centrale : pour la quasi-totalité des centrales, cette intensité s’établit entre les paliers VI et IX de l’échelle Medvedev-Sponheuer-Karnik (MSK) [2].

On peut donc lire ainsi le schéma ci-contre : la centrale de Paluel (Seine-Maritime) est située à 10 km de l’épicentre du séisme le plus puissant observé dans la région depuis un millénaire : 4,8 de magnitude le 1er décembre 1769. Si un tel séisme se reproduisait, l’intensité ressentie dans la zone de la centrale serait de VI à VII sur l’échelle MSK.
Pour adapter ses constructions au risque sismique, EDF majore le SMHV d’un palier d’intensité sur l’échelle MSK. Le résultat a pour nom séisme majoré de sécurité (SMS) : par exemple un séisme d’intensité VII devient VIII. On se dit qu’ainsi, "on a de la marge".

Le hic, c’est que lors de la réunion technique du 24 octobre 2002, les experts de l’IRSN expriment de forts désaccords avec les risques calculés par EDF. Selon eux, le danger a été sous-évalué pour la totalité des centrales. Pour quatre d’entre elles (Penly, Bugey, Chinon et Fessenheim), la sous-évaluation est importante ; pour quatre autres (Saint-Alban, Belleville, Golfech, Blayais), elle est très importante.
Dans le premier cas, les coefficients d’“ accélération du sol ” calculés par l’IRSN sont 1,5 à 2 fois plus élevés que ceux calculés par EDF. Dans le second, ils sont 2 à 3,75 fois plus élevés.

L’entreprise flaire la "menace"

Comment vont réagir les émissaires d’EDF ? Le lendemain de la réunion, ils pondent une note à leur hiérarchie. Après un exposé sommaire des reproches formulés par l’IRSN, la partie la plus intéressante de la note est celle des "suites à donner". "Nous savions que la menace planait" avouent-ils ingénument. Sur qui planait la menace de leur point de vue ? Sur la population ? Nullement ! Mais sur EDF, qui risque de se voir contrainte par l’ASN à des travaux de mise à niveau des centrales. Des travaux évalués à 1,9 milliard d’euros, dont l’entreprise ne veut pas entendre parler : nos vies valent moins que leurs profits !

Comment se débarrasser des gêneurs de l’IRSN ? Réponse : "Il faut mobiliser stratégiquement au-dessus des experts pour lever la contrainte. […] Une communication de haut niveau vers la DGSNR [la direction de l’ASN] est requise". En clair : réduire l’IRSN au silence grâce des pressions hiérarchiques de l’organisme de tutelle. Autre méthode pour brouiller les cartes : "Des actions de lobbying ou contre-feux (autres experts) sont-elles possibles ?" Dans tous les cas, "Il faut trouver une échappatoire à cette menace. […] une étude d’impact […] doit définir jusqu’où il serait acceptable industriellement de réévaluer le séisme." En clair : c’est le risque sismique qui doit s’adapter à l’investissement financier et non l’inverse !

Pression des antinucléaires

Le lundi 26 mai 2003, le réseau Sortir du nucléaire, qui est entré en possession des documents confidentiels de la réunion du 24 octobre [3], balance l’information avec un communiqué au titre explicite : « Séismes et centrales nucléaires : les chiffres de l’Autorité de sûreté nucléaire et d’EDF diffèrent gravement. EDF tente d’étouffer l’affaire en menant des actions “au plus haut niveau” ».

Une semaine plus tard, le directeur de l’ASN est contraint d’adresser un long courrier pour morigéner EDF. À la lecture de cette lettre on apprend que l’ASN a décelé que, dans les calculs d’EDF "les intensités épicentrales de la plupart des séismes de référence avaient été revues à la baisse par rapport à celles qui sont proposées dans la base Sisfrance". On croit rêver, mais non : EDF bidouille tout simplement les chiffres qui ne l’arrangent pas !

Le 23 juin, Sortir du nucléaire publie une synthèse de cette affaire qui clame : "Séismes et centrales nucléaires : la vérité éclate. EDF a falsifié des données sismiques." Parmi les falsifications relevées, une des plus grossières concerne la centrale de Belleville (Cher), où EDF s’est autorisée à prendre comme référence un séisme datant de 1079 pour lequel il existe très peu de données, écartant le séisme de référence (1933) qui impliquait des mesures plus contraignantes.

Malgré ces accusations gravissimes reprises dans certains médias, EDF n’osera engager aucune procédure judiciaire pour "diffamation" contre les antinucléaires.

Hélas, malgré les révélations du réseau Sortir du nucléaire, rien ou presque n’a été fait. Cet été, l’affaire a rebondi parce qu’une centrale nucléaire a été mise en difficulté par un séisme au Japon.

Si l’épicentre d’un séisme est proche d’une centrale nucléaire, les conséquences seront très graves. D’ailleurs, les scénarios de "sûreté" oublient que les dommages peuvent être cumulés : incendie (comme au Japon), rupture des canalisations des circuits de refroidissement, personnels blessés ou tués…

Faut-il vraiment attendre une catastrophe nucléaire pour réagir ?

Guillaume Davranche (AL Montrouge)


Cet article est une synthèse du dossier établi par le réseau Sortir du nucléaire, qui regroupe 800 associations et organisations, dont Alternative libertaire.


MENTEURS NIPPONS, FAUSSAIRES FRANÇAIS

Au Japon, le séisme du 15 juillet 2007 a entraîné un incendie, des ruptures de fûts de déchets radioactifs et des rejets radioactifs à l’extérieur de la centrale de Kashiwasaki. L’entreprise nucléaire Tepco a tenté de cacher la vérité mais a peu après été obligée de reconnaître les faits. Tepco avait déjà été en 2002 au centre d’un énorme scandale de falsification de documents de sûreté afin de cacher des fissures apparues sur de nombreux réacteurs. Dix-sept réacteurs avaient alors été fermés administrativement pendant plusieurs mois.

Le 15 juillet 2007, c’était la quatrième fois au moins qu’une centrale nucléaire japonaise était soumise à un séisme supérieur aux prévisions des "experts". Ainsi les secousses enregistrées le 25 mars dernier à la centrale nucléaire de Shika étaient-elles presque deux fois supérieures au risque maximum prévu par les "spécialistes".

Pourquoi une telle violence dans le cas de Kashiwasaki ? Parce que, a révélé un peu paniqué le quotidien Asahi Shimbun (cité dans Courrier international), la plus grosse centrale nucléaire du monde a été construite… en plein sur une faille sismique active, et personne ne s’en était jamais aperçu !

L’industrie nucléaire française ment-elle moins que son homologue japonaise ? Les "experts" que nous sommes censés approuver aveuglément sont-ils plus doués en France ? Rappelons que les calculs d’EDF s’étaient révélés faux concernant un simple risque d’inondation : l’eau de la Garonne ne "pouvait pas" passer par-dessus les digues de la centrale nucléaire du Blayais (Gironde). Or c’est ce qui s’est produit le 27 décembre 1999, la centrale frôlant le désastre.


[1Ce répertoire historique des séismes est établi par un établissement public, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

[2La magnitude et l’intensité sont deux façons différentes de mesurer la puissance d’un séisme. La magnitude résulte de calculs objectifs, mesurant la quantité d’énergie dégagée par le séisme. Diverses échelles en rendent compte, dont la plus connue est celle de Richter (magnitudes de 1 à 10). L’intensité est une méthode plus ancienne, reposant sur l’observation humaine, à un endroit précis. Tandis que la magnitude est une valeur absolue, l’intensité diminue progressivement lorsqu’on s’éloigne de l’épicentre.

[3Ce sont ces documents qui sont disponibles en ligne sur www.sortirdunucleaire.org depuis juillet.

 
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