Lire : Christophe Darmangeat, « Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était… (Aux origines de l’oppression des femmes) »




La parution récente d’un nouvel ouvrage de Christophe Darmangeat, Conversation sur la naissance des inégalités, nous donne l’occasion de revenir sur un précédent livre, paru en 2009. Dans son essai sur l’origine de l’oppression des femmes, l’auteur, marxiste, propose une relecture critique des travaux d’Engels, chose qui n’avait pas été faite de manière aussi globale depuis la parution de l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, paru en 1884 !

Ainsi, tonton Engels dans son gros bouquin reprenait les conclusions de l’anthropologue américain Henri Lewis Morgan, dans lesquelles il voyait la première analyse scientifique des sociétés primitives, et par extension la préhistoire des sociétés de classe. En observant le fonctionnement des Iroquois, ce chercheur identifie une société matrilinéaire et matrilocale, c’est-à-dire que l’identité des enfants et l’héritage se transmettent par les mères (matrilinéarité) et que les hommes lors de leur mariage quittent leur groupe d’origine pour aller vivre chez leurs compagnes (matrilocalité). De plus, les Iroquois vivaient dans de grandes maisons collectives où cohabitaient plusieurs familles. Engels voit dans cette organisation sociale les traces d’un communisme primitif. Il explique ensuite le passage à un système patriarcal par l’apparition de la propriété privée et la captation des richesses par les hommes qui changent le système d’héritage pour que leur fortune reste dans leur lignée. Ce qui implique également un passage à la monogamie des femmes afin que l’identité du père soit certaine.

Christophe Darmangeat entreprend ici d’actualiser et de redéfinir ce qu’on nommait le «  matriarcat primitif  » à partir des nombreuses données ethnologiques et archéologiques accumulées depuis la parution de l’ouvrage d’Engels. Il démontre que le
matriarcat tel qu’on le comprend aujourd’hui, comme le pendant du patriarcat, c’est-à-dire une domination des hommes par les femmes n’est observable en aucun lieu et en aucune période  ! Certes, les sociétés matrilocales et matrilinéaires permettent parfois aux femmes d’avoir une place importante dans la vie politique, économique et sociale, mais cette position n’exclut pas l’existence d’autres pouvoirs exercés par le groupe des hommes. En outre, l’auteur montre qu’il existe partout la sphère des hommes et celle des femmes qui ont différentes attributions économiques, sociales et politiques. Si l’on peut alors, pour certaines sociétés, parler d’une équivalence entre les sexes, on ne peut en revanche pas véritablement parler d’égalité, puisque les hommes et les femmes ne peuvent faire les mêmes choses.

Ainsi, il semble à l’auteur que la domination masculine plonge ses racines bien loin dans le passé, avant l’apparition des classes et de l’Etat, de la richesse et de la propriété privée. Pour lui, la cause de l’oppression des femmes est à rechercher dans la division sexuelle du travail, c’est-à-dire que les différentes taches économiques, politiques et sociales sont fragmentées, qu’une partie échoie aux femmes et l’autre aux hommes. Par la suite, les attributions masculines furent valorisées par le développement de nouvelles techniques, la captation des richesses et du pouvoir, au détriment des femmes. Un exemple frappant de cette division sexuelle du travail réside dans le monopole masculin des armes  : en effet, dans quasiment toutes les sociétés dites primitives, un interdit empêche les femmes de fabriquer et d’utiliser des armes létales, ce qui aboutit à l’image d’Epinal de femmes cueillant tranquillement des myrtilles à la maison tandis que les hommes, bravant les dangers de la vie paléolithique, partaient à la chasse au mammouth ou a la guerre munis de gros gourdins ! Ce qui les a petit à petit amenés à exercer un pouvoir de plus en plus important, au détriment des femmes.

L’ouverture de la conclusion est également intéressante, puisqu’elle propose l’idée que c’est paradoxalement avec le capitalisme que les questions d’égalité entre hommes et femmes ont pu émerger de manière plus systématique, et ce alors même que ce système ne permet pas que soient réunies les conditions de l’abolition du patriarcat. Cela s’explique en partie par le fait que plus la fragmentation du travail gagne en complexité, plus les critères de sexe deviennent obsolètes et superflus dans la division des tâches. Dans tous les cas, cet ouvrage est réellement éclairant, par sa démarche rigoureuse et documentée, par ses conclusions qui renouvellent l’image que l’on se fait encore parfois des sociétés primitives que ce soit les bons sauvages de Rousseau, les sociétés égalitaires des anthropologues ou le communisme primitif d’Engels !

Elsa (AL Toulouse)

  • Christophe Darmangeat, Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était…Aux origines de l’oppression des femmes, Collectif d’Edition Smolny, Toulouse, 2012, 474 pages, 20 euros.
 
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