Ordonnances : Tout bloquer dans l’unité pour gagner  !




Le gouvernement multiplie depuis le mois de mai les attaques contre les classes populaires. De notre côté, la riposte s’organise, mais reste éparpillée. L’urgence est d’unifier la lutte et de construire la grève dans le plus possible de secteurs.

Sans surprise, Emmanuel Macron a entamé, sitôt élu, une stratégie de guerre totale aux travailleurs, aux travailleuses et plus globalement aux personnes les plus fragiles. C’est d’ailleurs sa boussole stratégique  : baisse des aides aux logements que perçoivent les plus précaires, rétablissement de la journée de carence dans la fonction publique qui revient à taxer les congés maladie en prélevant systématiquement une journée de salaire – alors que le point d’indice est à nouveau gelé –, ou en­core la suppression de 150 000 contrats aidés. Il s’agit d’un gigantesque plan social à l’échelle nationale qui devrait s’aggraver encore l’an prochain. Alors que pendant l’entre-deux-tours, Macron avait mimé la compassion pour les salariés de Whirlpool dont l’emploi était menacé, il ne semble plus très concerné par la suppression de centaines de milliers d’emplois ni par les conséquences que cela aura dans les associations ou pour le suivi d’élèves en situation de handicap.

Combattre la casse du droit du travail

S’attaquer aux plus fragiles, c’est encore ce qui résume le mieux la nouvelle réforme du Code du travail, qui prévoit d’affaiblir encore les droits des salarié.es tout en renforçant le pouvoir des patrons. Alors qu’aujourd’hui, les syndicalistes reçoivent dans leurs permanences des salarié.es qui n’arrivent déjà pas à faire respecter leurs droits, cette nouvelle réforme va mettre en place la négociation dans les entreprises de moins de 50 salarié.es sans passer par les syndicats. Autant dire que le patron aura toutes les cartes en mains pour imposer des accords moins-disant y compris en jouant sur la proximité du collectif de travail ou en faisant du chantage à l’emploi. D’autant plus que les licenciements seront, encore, facilités.

D’ailleurs, Macron n’aura plus à se déplacer sur le parking de Whirlpool, de Goodyear ou d’aucune autre usine puisque les «  plans de sauvegarde de l’emploi  », doux nom des plans de licenciements, vont être rendus obsolètes par la rupture conventionnelle collective.

Finalement, Macron applique le programme et la stratégie de Fillon  : mener une politique au service des plus riches et la mettre en place en menant une Blitzkrieg ou «  guerre éclair  ». C’est ce que l’ancien candidat Les Républicains promettait de faire en novembre 2016 devant un parterre de patrons. Leur champion initial rattrapé par ses magouilles, ces derniers ont vite trouvé par qui le remplacer.

Une riposte en ordre dispersé

Face à cela, force est de constater que les résistances peinent à se construire. La CGT a bien appelé unilatéralement, dès le début de la concertation autour des ordonnances, à une journée de mobilisation le 12 septembre à laquelle se sont jointes l’Union syndicale Solidaires et, du bout des lèvres, la FSU, ainsi que plusieurs fédérations et unions départementales de FO. Cette journée réussie a donné lieu à une seconde journée de mobilisation le 21 septembre, préparée sur les mêmes bases et à laquelle ont appelé des fédérations de l’Unsa et des syndicats CFDT et CFTC. Préparée en une semaine et souffrant de la concurrence de la «  Marche contre le coup d’État social  » organisée deux jours plus tard par la France insoumise (voir encadré), cette journée a marqué un reflux prévisible. Elle a également pâti de l’annonce de la grève dans la fonction publique le 10 octobre appelée par une très large intersyndicale de neuf organisations, dont la FSU a commencé à faire la promotion avant le 21 septembre.

Quelle stratégie pour la suite ?

À ces dates s’ajoutait une grève reconductible dans le secteur des transports – notamment chez les routiers – à partir du 25 septembre. Cette mobilisation s’est heurtée à une forte répression de la part du gouvernement. D’autres initiatives de mobilisation professionnelle devraient suivre et Philippe Martinez a proposé lors d’une réunion des secrétaires généraux des fédérations de la CGT le 15 septembre de faire de la semaine du 9 au 13 octobre une semaine d’actions professionnelles et de placer le prochain «  temps fort  » interpro la semaine précédente mais sans en faire forcément une journée de grève et de manifestations.

Si la CGT est l’organisation la mieux placée pour impulser la riposte, la mobilisation gagnerait à ce que des appels intersyndicaux soient produits au niveau national. Ils existent dans les départements, mais la direction de la CGT semble vouloir éviter des cadres trop restreints et préfère s’afficher comme seule initiatrice des journées de grève qu’elle fait le choix d’annoncer unilatéralement alors que d’autres organisations syndicales sont disponibles pour les construire dans l’unité. Ces appels unitaires sont plus mobilisateurs auprès des salarié.es et permettent de servir d’appui pour organiser par exemple des tournées communes entre militants de différents syndicats.

Une colère existe chez les exploité.es et l’envie de résister est présente dans de larges pans de la société. Mais transformer ce sentiment de rejet de la politique de Macron en résistance par les grèves, les manifestations et les blocages économiques n’est pas simple. Combattre des gouvernements fraîchement élus n’est jamais facile et les député.es La République en Marche ne cessent de répéter qu’il est hors de question de reculer, Macron ne faisant qu’appliquer son programme. Bien que ses attaques soient loin de nous surprendre, peu nombreux et nombreuses sont celles et ceux qui se souviennent avoir entendu un programme précis au moment de la campagne, et encore moins l’annonce des mesures contenues dans les ordonnances, ou encore la suppression massive des emplois aidés. Surtout, il faut rappeler que Macron a été élu au second tour face à la candidate d’un parti d’extrême droite et qu’il a lui-même appelé au «  front républicain  ». Enfin, il a constitué sa majorité présidentielle en récoltant 15 % des voix des personnes inscrites lors des élections législatives  : loin d’un plébiscite.

Grève générale

Mais aussi illégitime soit-il, ce gouvernement doit être com­battu en établissant un rapport de force. Les journées isolées ne suffiront pas pour faire céder Macron et il faut donc aller vers un blocage de l’économie que seule la grève peut instituer. Bien sûr, dans la plupart des secteurs, la construction d’une grève reconductible paraît hypothétique. Cependant, c’est bien ce qu’il faut mettre en débat avec les collègues, y compris en insistant sur des revendications sectorielles et proches de la réalité immédiate. Car les autres formes de luttes, si elles peuvent avoir leur utilité, ne sont pas centrales dans l’établissement du rapport de force avec la bourgeoisie. Les manifestations rendent visibles les luttes et permettent de faire des plébiscites par leur nombre, les blocages économiques remplissent également un rôle de visibilisation et rythment la mobilisation mais ils n’ont aucun impact profond sur l’économie du fait de leur caractère souvent limité dans le temps.

Enfin, l’idée du secteur «  locomotive  » qui viendrait nous tirer du pétrin est également à combattre. Routiers, cheminots, raffineurs  : leurs grèves ont un pouvoir bloquant plus important et immédiat qu’un enseignant-chercheur, c’est vrai. Mais laisser un ou quelques secteurs mener une lutte qui concerne tout le monde, c’est l’assurance d’aller à l’échec. Déjà, car ce secteur peut obtenir des avancées réelles mais qui ne concernent que sa branche, ce qui met fin à la lutte et c’est bien compréhensible. Ensuite, car isolée, la capacité de blocage est considérablement restreinte. Enfin, parce qu’elles sont exsangues aujourd’hui, ces grèves sont plus exposées à la répression, aux réquisitions même illégales et aux diverses manœuvres visant à les briser. La grève générale n’est donc pas un mythe ou une lubie  : c’est simplement la stratégie que nous essayons de mettre en place pour gagner et transformer la société.

Aurélien (AL Paris Sud)


23 septembre : les Insoumis déferlent sur Paris

Dès juillet, alors que la date du 12 septembre est déjà annoncée publiquement par la CGT, Jean-Luc Mélenchon appelle à une marche contre les ordonnances le 23 septembre à Paris. Sans consulter personne, la France insoumise (FI) ne se contente pas de sa place de plus important mouvement politique d’opposition, elle tente d’écraser les autres forces et de marginaliser les organisations syndicales.

Sa tentation hégémonique est dangereuse. Bien sûr, la capacité de mobilisation de la FI est réelle  : elle a une puissance médiatique liée à l’exposition de son candidat à la présidentielle et fait un usage très efficace des réseaux sociaux. De plus, elle occupe un espace laissé vacant par d’autres et touche des personnes sincèrement opposées à la politique de Macron et désireuses de construire une autre société. Il est donc contre-productif d’opposer du sectarisme à celui de la France insoumise mais utile de s’adresser à celles et ceux qui s’y retrouvent.

Ceci dit, la manifestation du 23 septembre a montré que la FI ne pouvait pas prétendre incarner seule (ou presque) l’opposition aux ordonnances. Elle a échoué à mobiliser plus que les syndicats que Mélenchon a dit vouloir remettre au centre du jeu lors de son discours. Trop aimable.


Que devient le Front social  ?

Impulsé à l’occasion d’une manifestation à la veille du premier tour de la présidentielle, le Front social a bénéficié d’une petite exposition médiatique en étant à l’initiative d’une manifestation au lendemain du second tour puis du premier rassemblement du quinquennat contre les ordonnances. Il a cependant perdu une partie de sa raison d’être avec les appels des syndicats à plusieurs journées de grève.

Si une partie de son discours sur la stratégie et la nécessaire grève à construire est juste, cet attelage étrange semble dépenser la majeure partie de son énergie dans la construction de ce qui s’apparente de plus en plus à une organisation, groupusculaire, extérieure et concurrente des syndicats. Sans doute que dans la période de mobilisation actuelle, on aurait plutôt besoin des syndicalistes de lutte et de classe à l’intérieur de ceux-ci.

 
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