Politique : Quelle victoire en 2012 ?




Même dans les mouvements sociaux, militantes et militants ont parfois les yeux rivés sur les combinaisons politiciennes qui se trament à gauche pour battre Sarkozy en 2012. Cet antisarkozysme tétanisant est le meilleur allié du sarkozysme triomphant. Car, pendant ce temps, la riposte sociale bégaie.

Comment chasser Sarkozy du pouvoir en 2012 ?

Après plusieurs années de défaites sociales, beaucoup de syndicalistes, de militantes et de militants, sont découragés. Saisis d’un doute sur la capacité de la rue à enrayer le rouleau compresseur capitaliste, ils et elles se posent la question du point de vue institutionnel. La couleur du prochain hôte de l’Élysée les préoccupe beaucoup. Comment en serait-il possible autrement, puisque les médias ne parlent que de cela ?

Les scores aux élections européennes, puis la mise en musique médiatiques des « universités d’été » de gauche avant la rentrée ont placé la question des alliances sur le devant de la scène. Qui va s’associer avec qui ? PS-Modem ? PS-PCF-Verts (néogauche plurielle) ? PCF-PG-NPA ? PS-LO-Verts ?

L’idée d’une alliance entre le centre et la gauche est à la mode. Les ateliers d’été de L’Espoir à gauche, un courant du PS, proposaient en août un débat intitulé « Une nouvelle alliance progressiste pour la France : comment et avec qui ? » avec une tribune ultra médiatisée alignant le socialiste amateur de matraques et de montres Julien Dray, l’ex-dirigeant du PCF Robert Hue, le radical-socialiste Jean-Michel Baylet, le vert néolibéral Daniel Cohn-Bendit et la dirigeante du Modem Marielle de Sarnez. Bref, une préfiguration de ce que pourrait être une « nouvelle gauche plurielle » élargie aux centristes, dont rêvent nombre de dirigeants socialistes, et dont le quotidien Libération s’est fait l’infatigable troubadour. En juillet, Martine Aubry plaidait pour une « Maison commune » de la gauche. À l’université d’été du PS, elle proposait des « primaires ouvertes » pour désigner une ou un candidat de gauche unique à la présidentielle de 2012, une proposition rejetée par la plupart de ses partenaires. À la fête de L’Humanité, Martine Aubry et Marie-George Buffet esquissaient des alliances PS-PC aux régionales de 2010.

Toutes ces manœuvres, abondamment commentées par la presse, donnent un avant-goût du niveau infrapolitique des débats qui va dominer la gauche institutionnelle dans les deux années à venir : construire une vaste alliance politique sans contenu, sur la seule base du rejet de Sarkozy.

Et Prodi « chassa » Berlusconi

C’est, dans les grandes lignes, le scénario italien de l’antiberlusconisme poussif d’il y a trois ans. En mai 2006, Berlusconi le honni était battu de justesse aux législatives par le socialiste Romano Prodi, qui conduisait une grande coalition allant des centristes démocrates-chrétiens aux communistes du PRC (intégrant des morceaux de trotskistes), en passant par les socialistes, les Verts et même des régionalistes de droite. Le candidat Prodi avait lui-même été choisi lors de primaires qui avaient rassemblé plusieurs millions de personnes.

L’antiberlusconisme avait gagné. La vertu triomphait, et les médias démocrates européens étaient aux anges. Le hic, c’est que deux ans de ce gouvernement bigarré n’a pas permis au peuple italien de voir une différence profonde d’avec la politique de Berlusconi. Dès avril 2008, les législatives anticipées redonnaient le pouvoir au Cavaliere. Entre-temps, le PS avait fusionné avec le Modem italien pour fonder un Parti démocrate abandonnant toute référence au socialisme.

Et le PS français ? Que peut-il promettre de mieux que le PS italien ? Dépourvu de projet politique, même réformiste, honteusement d’accord avec l’UMP sur la plupart des sujets importants (retraites, immigration, crise économique, politique internationale…), ses seules critiques audibles contre le gouvernement portent non sur le fond, mais sur le style de sa gouvernance (affaires Frédéric Mitterrand, Jean Sarkozy, etc.).

Au-delà de Frédéric Mitterrand, le néant

Cette inexistence politique du PS consterne sans doute beaucoup de gens dans les classes populaires, qui se consolent en votant PG, PCF, NPA ou LO. Mais, ils et elles ne font là que se consoler. Et si leur souci est en priorité de stopper la politique de casse sociale du gouvernement, alors ils ne prennent pas le problème par le bon bout.

La question vitale, qui doit préoccuper chaque militante et chaque militant anticapitaliste, c’est que les syndicats et les organisations du mouvement social et syndicaux portent leur propre projet politique, et soit prêts à le défendre dans la rue. Les grèves générales aux Antilles l’hiver dernier sont à ce titre exemplaire. En Guadeloupe, le collectif LKP, en Martinique le Collectif du 5-Février ont fédéré des dizaines de mouvements politiques ou syndicaux et lancé une mobilisation de masse portant des revendications populaires en ignorant superbement les politiciens.

C’est cet esprit qu’il faut retrouver dans l’Hexagone, faute de quoi la présidentielle de 2012 sera la réédition de celle de 2007. Que s’était-il passé à l’époque, de notre point de vue ?

Contre le désarmement moral

En 2007, le mouvement social était en pleine crise de confiance. Il est resté coi. Il s’est raccroché à une logique de délégation de sa colère à des partis politiques qui voulaient s’en faire le porte-voix. Or la confiance dans l’action directe des travailleuses et des travailleurs est la condition sine qua non d’une opposition réelle à la politique gouvernementale. C’est également la condition sine qua non d’un projet d’émancipation anticapitaliste fondé sur la « gauche de la rue », c’est-à-dire sur l’ensemble de ces gens qui, sans être anarchistes ou particulièrement politisés, savent intuitivement que les victoires sociales se gagnent dans la lutte, et que les élections relèvent plus ou moins du décorum.

La présidentielle de 2007 aura été révélatrice, de ce point de vue. L’échec ne vient pas, en soi, de la victoire de Nicolas Sarkozy. En effet, sa rivale socialiste avait un programme analogue, et la politique menée n’aurait, pour l’essentiel, pas été différente sur le fond. L’échec vient de l’attitude désemparée des mouvements sociaux pendant la campagne présidentielle, et de leur incapacité à s’affirmer comme une opposition politico-sociale autonome. Les mouvements sociaux auraient dû avoir une expression forte pour dire : « Quel que soit le résultat du scrutin, nous savons, au vu du programme des candidats, que les travailleuses et les travailleurs auront à se battre pour défendre leurs intérêts, et nous nous battrons. » Faute de tenir ce discours clair, on préparait le désarmement moral de la « gauche de la rue » pour l’après-scrutin, quelle qu’en soit l’issue. Si l’UMP l’emportait, on était condamné à la démoralisation. Si le PS l’emportait, on était condamné à se réjouir mollement d’avoir échappé au pire. Dans les deux cas, le mouvement social se retrouvait, au lendemain de l’élection, dans un état d’hébétude qu’il n’avait connu ni en 1995, ni en 2002.

Réveiller la « gauche de la rue »

Ce qui doit préoccuper les militantes et les militants qui veulent voir un peu plus loin que l’antisarkozysme primaire, ce n’est donc pas les querelles d’alliances et de primaires dans la gauche politicienne, le tout-sauf-Sarko paniqué qui va cimenter la future néogauche plurielle.

Ce qui doit les préoccuper s’ils veulent « battre Sarkozy », ce qui doit nous préoccuper si nous voulons stopper sa politique, c’est que le mouvement social reprenne confiance en lui-même, que la « gauche de la rue » prenne conscience d’elle-même et qu’elle se constitue en une force politique extraparlementaire, seule à même de faire renaître l’espoir d’un changement. Il faut ressusciter l’idée que les luttes sociales peuvent changer la société.

Guillaume Davranche et
Clément Garnier (AL Paris-Sud)

 
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