Pollution aux métaux lourds : Boue rouge dans les calanques




Le parc national des Calanques entre Cassis et Marseille est utilisé depuis cinquante ans comme décharge par Alteo, qui exploite la bauxite pour produire de l’alumine. En décembre 2015, l’entreprise a obtenu du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur le droit de continuer à déverser ses déchets industriels pendant encore six ans.

Alteo, premier producteur mondial d’alumine avec plus de 1 000 tonnes exportées chaque jour, est contrôlé par le fonds d’investissement américain HIG Capital. Depuis près de cinquante ans, sur le site de traitement de bauxite de Gardanne, cette entreprise bénéficie d’un droit d’expédier des résidus en mer par 200 m de fond et à 7 km au large de Marseille et Cassis. Aujourd’hui ce sont au moins 20 millions de tonnes de boues rouges qui tapissent ainsi les fonds marins sur 2 400 km² [1].

Normes légales largement dépassées

L’autorisation reconduite en 1996 stipulait que l’industriel avait jusqu’au 31 décembre 2015 pour cesser d’expédier ses déchets en mer. Pour y parvenir, Alteo s’est doté en 2007 de trois filtres-presses, pour moitié subventionnés par l’Agence de l’eau. Les boues rouges déshydratées extraites des boues rouges sont destinées à être utilisées comme matériau de remblai [2]
. Malgré cela, l’usine continue de déverser des effluents liquides chargés en métaux divers, arsenic, chrome, plomb, titane, mercure, aluminium... Bien entendu les concentrations en polluants des effluents dépassent très largement les normes légales. Selon les données du ministère de ­l’Écologie, sont encore rejetées en mer chaque jour 6 tonnes d’aluminium (au lieu de 64 tonnes précédemment), 83 kg de fer (contre 270 tonnes), 11 kg d’arsenic (contre 42 kg), 20 mg de mercure (contre 80 g). Et, au-delà de la pollution marine, l’usine de Gardanne pollue aussi son environnement proche par les fuites des bassins de rétention et les poussières dégagées, et pose ainsi aux riverains des problèmes sanitaires importants.

En 2015, l’industriel a demandé deux nouvelles autorisations. L’une pour continuer d’occuper le domaine public maritime jusqu’au 31 décembre 2045 avec sa vieille canalisation ; l’autre est une dérogation indispensable pour continuer à déverser dans l’environnement marin les effluents liquides comme il le fait depuis 2007.

Une enquête publique a donc été ouverte. Mais ni les remarques des experts, ni l’intense mobilisation pendant l’enquête publique riche de plus de 2 300 contributions, ni le refus de plusieurs municipalités – dont celle de Cassis où débouche la canalisation –, ni l’opposition de la ministre de l’Écologie n’ont dissuadé les trois commissaires de l’enquête publique. Ils ont rendu le 22 octobre un avis unanimement favorable aux demandes d’Alteo : « À l’heure où l’opinion française redoute les délocalisations », il est impératif de « sauvegarder plusieurs centaines d’emplois ». Un article du Monde diplomatique dénombre « quatre cents emplois directs et plus d’un millier en comptant la sous-traitance ». Dans la foulée et malgré la violation manifeste de la Convention de Barcelone pour la protection de la mer Méditerranée ratifiée par la France, le préfet de région, exécutant les directives de Manuel Valls, autorisait pour six ans la poursuite de ces rejets en mer.

En mars 2016, les inspecteurs de l’environnement ont effectué une visite surprise à Gardanne. Ils ont détecté encore trop de matières en suspension, des dépassements des plafonds autorisés de mercure, de zinc et d’antimoine, un pH trop élevé, ainsi qu’une « demande biologique en oxygène » non conforme. De plus, le 9 mars, une fuite pendant le processus de fabrication a entraîné la formation d’un nuage contenant de la soude caustique. L’incident s’est traduit par des dépôts blanchâtres bien visibles sur une quinzaine d’hectares autour de l’usine [3].

Cette situation appelle plusieurs types de commentaires. D’abord, signalons une fois encore l’attitude permanente des gouvernements, gauche et droite confondues, dont les décisions sont et seront calibrées pour répondre aux intérêts à court terme des capitalistes. Ensuite, techniquement, une unité industrielle de production d’alumine pourrait être infiniment moins polluante. Comme l’affirme le BRGM (bureau de recherches géologiques et minières), il existe des solutions pour filtrer davantage les eaux résiduelles dans le cadre de ce procédé d’extraction utilisé à l’usine de Gardanne depuis 1894 et basé sur la dissolution de l’alumine provenant de la bauxite par de la soude.

La fausse alternative de l’emploi et de la nature

Mais surtout il existe au moins un autre procédé d’extraction, le procédé dit Orbite, breveté par la compagnie canadienne Orbite Aluminae qui ne produit pas de boue rouge. Au regard de cela, l’opposition entre la défense des emplois et celle de la nature paraît artificielle. Ce qui se joue à Gardanne aujourd’hui a en réalité peu à voir avec la défense de l’emploi. Il s’agit essentiellement de sauvegarder les dividendes à court terme des actionnaires d’une multinationale qui refuse d’effectuer les investissements nécessaires à une production non polluante d’alumine.

Enfin nous entendons mettre en évidence que cette opposition entre défense de l’emploi et de la nature est fondamentale pour le capitalisme car il permet de diviser en profondeur le mouvement social. Trop souvent mouvement syndical et organisations écologistes se combattent sous l’œil goguenard des capitalistes. Même si aujourd’hui la conscience des dégâts causés par le productivisme progresse, même si dans un grand nombre d’entreprises des salarié-e-s se posent des questions sur les effets de leur travail sur l’environnement, c’est pour tomber dans un profond sentiment d’impuissance.

Aussi nous devons mener un combat idéologique pour convaincre que cette opposition emploi contre écologie est profondément artificielle. Ce combat est aussi à mener dans les associations et dans les syndicats où nous militons : à chaque fois que cette question sera posée nous chercherons à tisser des liens entre celles et ceux qui luttent pour l’emploi et celles et ceux qui combattent les pollutions industrielles pour que se mette en place une stratégie commune capable de s’attaquer aux deux aspects du problème. À Gardanne, la défense d’un emploi pérenne passe par la nécessité d’imposer des investissements importants pour supprimer toute pollution de l’environnement. En dehors de cette perspective, non seulement les délocalisations s’opéreront, mais en plus il est probable que dans les pays d’accueil une nouvelle usine polluante soit construite et continue, ailleurs, à détruire la vie !

Jacques Dubart (AL Nantes)

[1Le Monde du 30 janvier 2016.

[2Utiliser comme matériau
de remblai
une matière contenant
de grandes quantités de métaux lourds lessivables
est susceptible d’entraîner
de nouvelles pollutions

[3Le Monde du 06 juillet 2016.

 
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