Pour une explosion sociale salutaire : L’étincelle antillaise




Le succès de la grève générale du 29 janvier est à mettre au crédit du ras-le-bol généralisé face à Sarkozy, mais aussi de l’unité syndicale et de l’affirmation des anticapitalistes. Toutefois, contrairement à ce qui se passe aux Antilles, les difficultés du syndicalisme de lutte à se faire entendre limitent les perspectives d’action.

Temporiser. C’est le choix qu’ont fait les organisations syndicales françaises après la formidable mobilisation unitaire du 29 janvier. Les manifestations étaient plus revendicatives et massives que d’habitude, ce qui a permis aux travailleurs et travailleuses de prendre conscience de leur force.

Le gouvernement, qui jusque-là n’avait traité les salarié-e-s et les syndicats que par le mépris, a dû reconnaître que sa politique de défense du capital suscite de plus en plus de mécontentements. Pour autant 24 heures de grève ne sauraient infléchir de façon significative la politique de Sarkozy. À cela s’ajoutent toutes les attaques en cours, notamment celles qui visent l’asphyxie financière des associations d’éducation populaire ainsi que du mouvement des femmes à travers le Planning familial, dont un tiers des centres sont menacés de fermeture en 2009 et la totalité en 2010, ce qui n’est pas sans liens avec le projet de Sarkozy de développer les emplois à temps partiel.

Pour des revendications offensives

Plus grave, le refus d’en découdre de la quasi totalité des directions syndicales a permis au pouvoir de reprendre la main. Ce pitoyable spectacle de pseudo négociations à froid contraste fort avec la grève générale en Guadeloupe et en Martinique (lire p. 12). La faiblesse du syndicalisme de lutte, là est le véritable problème. Bien évidemment celui-ci existe dans le secteur privé (automobile, travailleuses et travailleurs sans-papiers, commerce, livre, ports et docks…) et public (éducation, rail, poste, finances, santé…), incarné aussi bien par Solidaires et la CNT que par de nombreuses équipes CGT, FSU ou FO. Mais il n’a pas d’expression propre, spécifique, autonome.

Ces derniers mois, les équipes syndicales de lutte ont tenté de se coordonner à l’échelle d’un secteur (automobile), d’une ville (Rennes, Le Havre) ou d’une région (Nord-Pas-de-Calais). Après le 29 janvier plusieurs équipes CGT (unions locales, syndicats) ont exprimé publiquement leur volonté de donner une suite rapide à cette journée. Mais tout cela reste très insuffisant.

Les responsabilités des syndicats de lutte

L’unité par en haut est nécessaire dans la mesure où elle permet au plus grand nombre, et notamment aux salarié-e-s du privé, de s’exprimer ; mais elle n’est rien sans unité par en bas reposant sur l’auto-organisation.

Il est urgent que les syndicats de lutte s’affirment et se donnent les moyens de la visibilité mais aussi de la lisibilité, localement comme nationalement, en mettant en avant des revendications plus offensives : semaine de 32 heures sans réduction de salaire, avec embauches correspondantes et sans intensification du travail ; blocage du versement des dividendes aux actionnaires ; droit de veto des travailleuses et travailleurs sur les licenciements ; réquisition des logements vides ou encore régularisation de toutes et tous les sans-papiers.

La situation antillaise est exemplaire de ce qu’un syndicalisme de lutte peut permettre. C’est la première fois depuis 1968 qu’un mouvement populaire permet d’obliger le pouvoir à négocier sur la base des seules revendications syndicales. Faut-il s’étonner que les Antilles soient aussi en avance sur la France ? Non, quand on sait que le syndicalisme de lutte guadeloupéen, par exemple, pèse environ 80 % du syndicalisme, là où en France on peut l’évaluer à 20 % ou 30 % tout au plus.

En France, c’est aussi au syndicalisme de lutte que revient la tâche de mener campagne pour la grève générale et les actions de blocage, et de pousser au débat dans les entreprises et les services publics. Pour questionner l’inefficacité de grèves sans lendemain, sans autre conséquence que l’application de la politique gouvernementale (2003), et celle de grèves de masse illimitées (1968, 1995, 2009 en Guadeloupe et en Martinique). C’est ce que SUD Rail a fait à l’automne 2007, c’est ce qu’il faut faire dans l’unité la plus large à l’échelle interprofessionnelle en ce premier semestre 2009, pour faire du 19 mars un succès plus important que le 29 janvier mais aussi pour lui donner des suites.

Au-delà de l’urgence sociale, c’est bien la question de la reconstruction du syndicalisme sur des bases de classe, de masse et de transformation sociale, qui est posée. En se contentant des seconds rôles, le syndicalisme de lutte se condamne à une double impuissance : impuissance face au syndicalisme institutionnel qui monopolise ainsi l’espace syndical, et face à la gauche institutionnelle et à l’extrême gauche en quête de représentation parlementaire qui apparaissent par défaut comme le seul débouché politique possible.

Front anticapitaliste contre logiques électorales

Pour avancer, AL estime qu’il y a trois axes à développer :

– construire un front social de l’égalité et de la solidarité dans lequel le syndicalisme de lutte occupe une place clef pour cristalliser les luttes ;

– construire un front anticapitaliste à l’échelle locale comme nationale. C’est-à-dire un regroupement des militantes et militants anticapitalistes, présents dans des organisations politiques, syndicales ou associatives, afin d’impulser partout des luttes, des solidarités, de mener la bataille idéologique en vue d’articuler mesures d’urgence et mesures de rupture, mais aussi mettre la question du socialisme autogestionnaire au centre du débat politique. C’est pour cette raison qu’AL a signé la déclaration des organisations de gauche et d’extrême gauche soutenant la grève du 29 janvier. Le front anticapitaliste peut constituer un levier pour le débat comme pour les mobilisations à condition qu’il se développe sur un terrain extraparlementaire. Sur ce point, il est nécessaire de clarifier le débat aussi bien face au Parti de gauche (PG) que face à la stratégie du NPA. Le premier souhaite que toutes les expressions sociales et politiques trouvent leur débouché dans un front de gauche à vocation électorale et s’inscrivent dans le champ de la gouvernabilité. Le NPA privilégie quant à lui un front anticapitaliste électoral en réponse au PG, mais reste l’arme au pied quand il s’agit de mettre en place dans les villes et les quartiers un front anticapitaliste favorisant les luttes et le combat de classe.

– renforcer Alternative libertaire, c’est-à-dire un courant qui met toutes ses forces au service des luttes et de l’auto-organisation, et propose une stratégie à la fois offensive et unitaire permettant de faire converger des ripostes aujourd’hui dispersées.

Edith Soboul (secrétariat fédéral d’AL) et Laurent Esquerre (AL Paris
Nord-Est)

 
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