Prédélinquance : Enfants pauvres, la nouvelle cible




Un projet de loi sur la prévention de la délinquance est en préparation au ministère de l’Intérieur. Il s’appuie sur divers rapports tous plus liberticides et discriminatoires les uns que les autres.

En octobre 2004, le rapport Bénisti, du député UMP du Val-de-Marne l’ayant présidé, affirme que les comportements déviants seraient prévisibles grâce à différents facteurs identifiables dès la tendre enfance. Les nourrissons pressentis pour être de futurs criminels sont ceux dont les parents parlent le "patois" d’origine chez eux. Tous les comportements déviants viendraient du seul fait qu’une autre langue que le français est parlée au domicile parental. Ne pas parler le français chez soi provoquerait un obstacle à la communication avec autrui et serait donc source de déviance. Le rapprochement fallacieux entre immigration et délinquance fait dans ce rapport nous permet d’imaginer sans difficulté la teneur raciste de la future loi qui en découlerait. Et il suffit de rappeler les propos effarants de Bénisti lors d’une interview le 9 mars 2005 : "En tant que maire de Villiers-sur-Marne, j’ai créé des cours d’alphabétisation pour les femmes maliennes notamment. Et déjà il y a des tentatives d’instaurer le français à la maison. Toutefois, les maris maliens sont assez réticents et préfèrent apprendre le “bamboula”" [sic !]. Lapsus ô combien révélateur de Bénisti qui voulait parler du bambara, langue parlée au Mali.

Rapport Bénisti : « délinquant tu deviendras »

La prévention de la délinquance se ferait grâce à la collaboration des parents avec les acteurs et actrices des services sociaux, éducatifs et médicaux sur leur commune. La culture du "secret partagé" prendrait donc le pas sur celle du secret professionnel, privilégiant ainsi le tout-contrôle au respect de la dignité des personnes et de leur vie privée. Le maire doit être le centralisateur de ce grand projet de délation, lui-même sous les ordres du préfet.

Avec le rapport Bénisti, force est de constater que la loi portant sur la prévention de la délinquance ne fera que détruire encore un peu plus le tissu social déjà largement entamé, alimentant encore la méfiance envers des populations déjà discriminées et favorisera la dénonciation de nos voisines et voisins suspectées d’être des délinquant(e)s en puissance. Cela n’est pas sans rappeler certaines pages très sombres de notre histoire.

Rapport de l’Inserm : « délinquant tu naîtras »

En 2002, la Caisse nationale d’assurance maladie a commandé un rapport à l’Inserm portant sur les troubles de conduites chez l’enfant et l’adolescent. "Les troubles du comportement se situent à l’interface de la psychiatrie, du domaine social et de la justice", dit ce rapport sorti en septembre 2005. En premier lieu, il prévoit de "sortir le jeune de son environnement antisocial", et ensuite, si ce dispositif ne s’avère pas assez efficace, "un traitement pharmacologique" est envisagé.

L’Inserm s’appuie sur des expériences et des études nord-américaines pour traiter les troubles du comportement chez les jeunes personnes. Déjà, la prise de médicaments permettrait aux adolescents présentant des troubles du comportement d’être attentifs en classe, calmes et obéissants, comme cela a été constaté outre-Atlantique. L’Inserm prévoit également de "mettre en place un repérage et un suivi des enfants à risque dès la période anté- et périnatale. Les facteurs empiriquement associés au trouble des conduites ont été identifiés : antécédents familiaux de trouble des conduites, criminalité au sein de la famille, mère très jeune, consommation de substances psychoactives pendant la grossesse."

Le ciblage des personnes susceptibles de développer des troubles comportementaux pour la "prévention sélective" est un préalable à toute méthode d’intervention. Il s’agit "des populations habitant des zones urbaines sensibles, des enfants de parents en situation de précarité, des enfants de jeunes mères célibataires, des enfants vivant dans un climat familial conflictuel, des enfants ayant des parents souffrant d’addiction. La prévention indiquée s’adresse aux jeunes en échec scolaire, à des enfants manifestant des comportements impulsifs et/ou agressifs, à des enfants présentant un diagnostic de trouble déficit de l’attention/ hyperactivité (TDAH) ou de trouble oppositionnel avec provocation (TOP)."

Ces rapports inspirent le projet de loi en partant de postulats racistes pour certains, à dimension pro-eugéniste pour d’autres. D’une part, le concept de "prévention sélective" vise des populations souffrant d’une situation de précarité, et notamment les populations étrangères. D’autre part, l’idée véhiculée que les personnes dites à risque de développer des troubles comportementaux sont détectables au stade prénatal nous apparaît particulièrement dangereuse. En effet, la criminalité n’est pas génétique, elle ne se transmet pas dans les gamètes, contrairement à ce que dit le rapport de l’Inserm. Si nous mettons le rapport Bénisti en lien avec ce rapport de l’Inserm, la délinquance serait le propre des étranger(e)s et elle se transmettrait de parents à enfants !

Ripostes à construire

Tous ces rapports convergent vers la même politique, celle du tout contrôle et de la surveillance des populations en difficulté, en y associant les autres "pour leur sécurité".

À l’heure actuelle, les voix de professionnels de santé se font timidement entendre pour dénoncer ces volontés législatives mais elles sont isolées, donc insuffisantes [1]. Le pari des mois qui viennent est de parvenir à faire converger les collectifs existants, et les luttes qui se développent ici et là autour du thème central de la défense des libertés individuelles et collectives. La peur de toute volonté de changement qui pourrait surgir des inégalités engendrées par le capitalisme cadenasse notre société chaque jour un peu plus et bientôt, le champ d’action sera réduit à peau de chagrin. A travers la lutte pour la défense de nos libertés, il apparaît urgent et nécessaire de rompre radicalement avec ce système capitaliste.

Antoine et Erell (AL Agen)

[1A noter tout de même qu’une pétition a recueilli plus de 100 000 signatures contre la partie du projet de loi qui veut prévenir la délinquance en stigmatisant les « troubles du comportement » chez les enfants de moins de 36 mois.

 
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