Projet US « Grand Moyent-Orien » : guerre et pillage au programme




Depuis quelques temps, l’administration Bush ne ménage pas ses efforts pour faire avancer un projet qu’elle a baptisé Grand Moyen-Orient (GMO). On lui prête l’intention de le faire adopter par le sommet du G8 qu’elle accueillera au mois de juin à Sea Island en Georgie.

Ce projet ambitieux consiste officiellement à promouvoir la démocratie et le développement économique dans une zone qui s’étend de l’Afghanistan au Maroc. Le règne de la démocratie parlementaire et du capitalisme libéral doit amener la paix et la prospérité aux peuples de cette zone immense.

La rhétorique altruiste de la Maison-Blanche cache mal les vrais desseins de ce projet. En fait, il s’agit de redessiner les cartes politique, militaire et économique de cette immense zone au bénéfice des États-Unis et des multinationales. Les buts réels sont :
 assurer la liberté totale des capitaux ;
 contrôler les marchés des ressources énergétiques mais aussi hydrologiques ;
 empêcher l’émergence d’une puissance régionale autonome.

De ce point de vue, le contrôle des États-Unis sur la gestion de l’eau serait une arme redoutable pour soumettre toute la zone.

Ce projet implique la déstabilisation, la chute des régimes locaux, et un « remodelage » des territoires des États actuels si nécessaire. Une fois les nœuds stratégiques de la zone sous contrôle militaire, les USA renverseraient les pétromonarchies saoudiennes et émiratis. Les sociétés de l’énergie nationalisées au cours des décennies précédentes seraient privatisées au profit des multinationales étrangères. Leur mainmise sur toute la filière, de la production à la distribution, en passant par le transport, leur permettrait d’intervenir sur les mécanismes de fixation des prix dans un sens favorable aux pays industriels aux appétits énergétiques énormes. Pour les pays de la zone ce serait un retour à la situation antérieure aux nationalisations et à la création de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole). Ils seraient à nouveau dépourvus de tout pouvoir sur leurs ressources énergétiques. L’Égypte et l’Arabie saoudite qui se savent visées ont pris la tête de l’opposition des pays arabes. Pour les pays industrialisés concurrents des États-Unis, cela se traduirait par une dépendance énergétique et par une mise sous tutelle de fait. Ce qui explique leur manque d’enthousiasme pour soutenir le GMO et qui laisse penser que les discussions au G8 vont être difficiles.

Du rêve à la réalité

Qu’importe les oppositions des uns et des autres, pour parvenir à leur fin les États-Unis comptent sur leur supériorité militaire, plus que sur la diplomatie. Il en a était ainsi pour l’Irak l’an dernier, il y a peu de chance qu’il en soit autrement pour le GMO dans les années à venir. Le Pentagone a divisé la planète en « aires de responsabilités » qu’il a attribuées à des grands commandements militaires. Le GMO en chevauche deux, le Centcom (Commandement Central) qui se taille la part du lion avec le Moyen-Orient, l’Asie centrale et la Corne de l’Afrique, l’Eucom (Commandement Europe) qui est en charge du Maghreb.

L’histoire du Centcom est instructive tant elle est liée à celle du GMO. À l’origine, il y a la création de la Rapid Deployement Joint Task Force en réponse à l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS et à l’arrivée de Khomeiny en Iran. Le Centcom prend la suite en 1983, il a pour mission de protéger les États clients du Moyen-Orient et de sécuriser l’approvisionnement en pétrole des pays industrialisés. En 1991, la guerre du Golfe donne au Centcom l’opportunité de montrer son savoir-faire, sa victoire écrasante sur l’armée irakienne est complétée par l’implantation de bases militaires en Arabie saoudite et dans les émirats. Dans un contexte marqué par la mort de l’URSS, cette victoire ouvre d’immenses perspectives chez certains idéologues qui s’agitent dans l’entourage du président Bush, le père.

La longue gestation du GMO a commencé.

En 1998-1999, les aires de responsabilité sont adaptées aux changements apportés par la fin de la guerre froide. Le 1er octobre 1999, le champ d’action du Centcom est étendu aux anciennes républiques soviétiques d’Asie Centrale. Quand arrive le 11 septembre 2001, il est prêt. Sous prétexte de guerre au terrorisme, le Centcom étend son réseau de bases et d’infrastructures à l’Afghanistan, au Pakistan, à l’Ouzbékistan, au Kirghizistan, au Kazakhstan, au Yémen et à Djibouti.

Pour les néoconservateurs, ce qui n’était qu’un rêve en 1991 avec le père, semble être à portée de main en 2001 avec le fils. On comprend leur rage à entraîner, coûte que coûte, les États-Unis dans l’aventure irakienne. En effet, l’occupation de l’Irak est une étape décisive vers la concrétisation du GMO : au Centcom, elle permet d’étoffer son réseau de bases ; aux multinationales, surtout si elles sont proches du pouvoir, elle offre les richesses du pays ; aux néoconservateurs, elle fournit un laboratoire où expérimenter leurs théories.

A qui le tour ?

Dans un discours prononcé le 26 février 2003 devant l’American Enterprise Institute, une machine de guerre idéologique des néoconservateurs, Bush a précisé la portée de la guerre qui se préparait : « Un Irak libéré pourra montrer comment la liberté peut transformer cette région qui revêt une importance extrême, en apportant espoir et progrès à des millions de personnes (...) Pour d’autres nations de la région, un nouveau régime en Irak servirait d’exemple spectaculaire et impressionnant de la liberté. »

En ce qui concerne les pouvoirs en place, l’avertissement est clair. L’évolution des régimes libyens et soudanais montre qu’ils ont compris que leur survie passe par des concessions importantes. La question qui se pose maintenant est « qui sera le suivant ? » L’extrême droite chrétienne milite pour un règlement définitif de la question palestinienne qui passe par l’installation de régimes à la botte des USA en Syrie et au Liban, et qui donne carte blanche à la droite israélienne pour organiser la purification ethnique des territoires occupés. Récemment Bush a fait des pas dans leur sens, à la mi-avril en remettant en cause la ligne verte, reconnue par l’ONU comme future frontière de deux États, en mai en imposant unilatéralement des sanctions contre la Syrie.

De leur côté, d’influents néoconservateurs poussent à la guerre contre l’Iran des ayatollahs, un morceau beaucoup plus coriace que l’Irak de Saddam Hussein, ou la Syrie de Bachar El Assad. Il est probable que le choix de la prochaine cible sera fonction de la situation internationale plus que des luttes de factions à Washington. Pour agir, les États-Unis saisiront l’occasion quand elle se présentera, comme ils l’ont fait avec l’invasion du Koweït en août 1990, ou avec les attentats de septembre 2001. Dans une région aussi explosive que le Moyen-Orient ce ne sont pas les occasions qui manqueront.

Quelle liberté ?

Si le but du GMO est de renverser des dictatures, il n’est bien sûr pas question d’instaurer une réelle démocratie dans la région. Des régimes issus d’élections démocratiques seraient beaucoup plus intransigeants que les élites corrompues actuelles, en matière d’indépendances politique et économique, et de soutien à la lutte palestinienne. Pour ce qui est d’apporter « espoir et progrès à des millions de personnes », l’exemple irakien est effectivement « spectaculaire et impressionnant ». La « libération » du pays s’est traduite par un gigantesque dégraissage qui a mis au chômage 50 à 70% de la population active, en quelques mois seulement. Violence, pénurie, inflation, corruption alimentent le ressentiment contre l’occupation et favorisent l’émergence d’une économie maffieuse. Au bout du compte, il n’y a de liberté que pour les capitaux locaux et étrangers.

C’est d’ailleurs toujours dans ce sens qu’il faut entendre le mot liberté quand il est prononcé par un officiel étatsunien. De même qu’il faut comprendre les promesses de paix du GMO comme des menaces de guerre. Pour les bourgeoisies locales la survie passe par la soumission, pour les populations le seul espoir d’éviter l’asservissement, c’est la résistance.

Le Grand Moyen-Orient est le projet de politique étrangère de groupes qui ont une grande influence sur l’administration actuelle, mais il n’est pas sûr que les autres groupes de pouvoirs, partisans de politiques alternatives, arrivent à stopper la machine infernale. Il ne faut donc pas se faire d’illusion sur le résultat de l’élection présidentielle US de novembre 2004. Pour l’écrasante majorité de la planète la difficulté est de briser la contre-révolution néolibérale, sans faire le jeu d’autres formes d’oppressions capitalistes, religieuses ou nationalistes. Sans abolition du salariat et de l’État, il n’y a pas de liberté.

Hervé (AL Marseille)

 
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