Renault : A l’usine de Douai, « la production ? C’est la mort »




À l’usine, depuis les combats perdus contre les lois Travail, le syndicalisme est affaibli, et l’ambiance aussi grise que nos bleus de travail. Il y a pourtant de quoi se révolter : violence et dangerosité du travail répétitif, magouilles, intimidations et menaces… Ce sont les intérimaires qui en souffrent le plus.

Déjà 4 heures du matin, le réveil me tire du lit. Quelques minutes plus tard me voici dans la cuisine, en bleu de travail, avalant un café et… quelques cachets pour soulager les douleurs aux tendons. On n’est que mercredi et déjà la fatigue de la semaine s’accumule. Ma vieille Ford démarre, ouf ! C’est parti pour le trajet quotidien, avec les mêmes voitures sur la route, les mêmes personnes, le même parking sur lequel je me gare après avoir franchi le grand porche proclamant « Bienvenue à l’usine Georges-Besse – Renault Douai ».

Georges Besse justement, PDG de Renault exécuté par le groupe Action directe en 1986, jugeait que cette usine, bâtie en 1970, était « une erreur ». À l’époque, l’État actionnaire avait insisté pour qu’elle soit implantée dans le Douaisis, promis au chômage de masse par la fermeture des mines de charbon. À la fin des années 1970, 8 500 salarié.es y bossaient. Nous y sommes aujourd’hui 3 400 en CDI  ; 800 à 1.300 intérimaires selon les périodes ; 15 à 20 % de femmes.

Sur la chaîne la cadence (61 véhicules par heure !) est intenable, malgré les anxiolytiques et les antidouleurs.
France 3 Hauts-de-France

La production se répartit entre plusieurs bâtiments, sur près de 350 hectares. Dans le « bâtiment DB », on réceptionne puis on assemble les organes des moteurs : démarreur, alternateur, radiateur et tout un tas d’autres trucs… Dans les bâtiments emboutissage et tôlerie, d’immenses presses de la taille d’un petit immeuble transforment de gros rouleaux de tôle (chacun coûte des millions d’euros…) en capots, côtés de caisses, ailes, etc. Ils seront ensuite soudés et assemblés par des robots avant ébavurage. Au bâtiment peinture, on plonge les caisses encore nues dans d’immenses bains de peinture avant de les envoyer au bâtiment montage, le « DA ». Là, sur une chaîne de montage qui court sur deux étages, tout le reste du véhicule est assemblé (tableau de bord, volant, sièges, électronique, options, vitres). Le véhicule achevé est testé, puis garé sur un parking d’où les camions de la Cat embarqueront les Espace, Talisman et autres Scenic.

Velléités grévistes chez les intérimaires

En ce moment, sur l’usine, l’ambiance est aussi grise que nos bleus de travail. Le combat perdu contre les lois Travail pèse lourd sur le moral. Deux syndicats combatifs coexistent sur le site. La CGT est assez proche de la France insoumise, et SUD plus indépendant politiquement, mais les deux portent des revendications analogues et agissent souvent ensemble. Hélas, les appels intermittents à la grève, en 2016 et 2017, n’ont mobilisé que des convaincus. Sur l’une des journées d’action, un groupe de jeunes intérimaires a cependant été à deux doigts de partir en grève, mais la direction a étouffé la rébellion dans l’œuf. Les chefs d’équipe ont accouru pour les menacer (« c’est interdit pour les intérimaires ! Et ton contrat ? »). SUD et la CGT, partis en manif à ce moment-là, n’ont pu intervenir, et il n’y avait rien à attendre de FO et de la CFDT, non-grévistes pour la plupart.

Les réformistes (revendiqué.es) de FO, majoritaires, n’hésitent pas à expliquer aux opératrices et opérateurs qu’ils ont davantage à gagner en collaborant avec la direction plutôt qu’en se -battant. Il n’y a que la CFDT qui soit plus jaune, avec des tracts caricaturaux se vantant d’avoir «  gagné  » des petits pains et des bonbons pour le personnel !

Volontariat obligatoire cadences infernales

Il y a pourtant de quoi se révolter à Renault Douai. Tout en bas de l’échelle, ce sont les intérimaires qui encaissent le plus, contraints d’accepter les heures supplémentaires. Ils et elles sont les premières victimes du samedi dit « au volontariat » – rebaptisé ironiquement « volontariat obligatoire ». Le chef d’équipe passe régulièrement faire du démarchage individuel pour remplir son planning de « volontaires » en les menaçant de façon à peine voilée du non-renouvellement de leur contrat.

Pas étonnant qu’on traîne les pieds pour venir bosser le samedi dans cette usine digne de Germinal. Violence du travail répétitif, troubles musculo-squelettiques (TMS), intimidations et menaces, sans compter la dangerosité des conditions de travail, comme à l’usine PSA de Trith-Saint-Léger [1].

On a découvert que la chaîne était parfois accélérée en cachette...
France 3 Hauts-de-France

À la question « qu’est-ce que la production  ?  », les opératrices et les opérateurs vous répondront : «  La production, c’est la mort.  » Sur la chaîne, la cadence (61 véhicules par heure  !) est éreintante malgré les anxiolytiques et les antidouleurs. On a découvert qu’elle était parfois accélérée en cachette, histoire de rattraper un retard. Avant qu’une ou un délégué s’en aperçoive et proteste, les magouilleurs remettent la vitesse à la normale… Cet été, en raison des fortes chaleurs, une intérimaire a fait un malaise. Chaîne stoppée. Alerté, le chef du département montage a accouru. Non pas pour prendre de ses nouvelles, mais pour évaluer le temps perdu et relancer la production au plus vite.

En fait, il est fréquent que si une ou un intérimaire se blesse sur la chaîne, les chefs le dissuadent d’aller à l’infirmerie. Un chef emmène donc le blessé aux toilettes et hop, un coup de désinfectant sur la plaie, un pansement, et retour à la production. Le but ? Ne pas faire monter la courbe des accidents de travail, pour donner une image d’usine modèle en termes de sécurité. Il faut « être compétitif face aux autres usines du groupe », nous dit-on, sinon « le site va fermer » !
SUD et la CGT ne cessent de dénoncer cette organisation du travail, mais la direction fait la sourde oreille, obsédée par ses chantiers « kaizen ». Derrière ce jargon managérial et son objectif d’« amélioration de l’ergonomie » se cache une réalité triviale  : il s’agit de localiser les postes qu’il serait possible de supprimer pour en redistribuer les tâches aux autres ouvrières et ouvriers, de préférence intérimaires. De peur de perdre son boulot, l’intérimaire ne proteste guère…

Lutter contre la souffrance au travail

Comment faire face à la violence des patrons et du travail ? Les seuls foyers d’une possible résistance, ici, ce sont SUD et la CGT, même s’ils sont affaiblis. C’est par l’entraide et la lutte collective que chacune et chacun peut prendre confiance et s’investir. Aujourd’hui, nous devons lutter pour moins de souffrance au travail. Demain, nous lutterons pour la socialisation des moyens de production, sous le contrôle des travailleuses et des travailleurs. Quand les premières et les premiers concernés organiseront eux-mêmes la production, c’en sera fini de la souffrance, du règne des chefs et de la maltraitance. On pourra inventer une société débarrassée du capitalisme et des Carlos Ghosn et Thierry Bolloré en tous genres !

Damien (AL Douai)

[1Lire « Peugeot-PSA : ils poussent leurs cadences, nous comptons nos morts », Alternative libertaire, octobre 2018.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut