Résolution sur les femmes votée au Congrès ouvrier socialiste de Marseille (1879)




Résolution présentée le 31 octobre 1879 aux 132 délégué-e-s du IIIe congrès ouvrier, tenu à Marseille.

La question des femmes était la première question inscrite à l’ordre du jour. La résolution ci-dessous synthétisait les 16 rapports présentés sur la question, dont notamment celui d’Hubertine Auclert.

La résolution fut adoptée, sans qu’on sache le résultat exact du scrutin, ni le détail des votes, après un incident de séance (un délégué tenta de s’opposer au vote) relaté dans le compte-rendu du congrès disponible en PDF sur le site Gallica.

C’était la première fois que le mouvement ouvrier, en train de se réorganiser après le massacre de la Commune de Paris, entérinait les revendications féministes les plus avancées de l’époque. Sur cet événement, lire « 1879 : l’égalité hommes-femmes votée par le congrès ouvrier » dans Alternative libertaire d’octobre 2009.


La citoyenne Hubertine Auclert, au nom de la commission de la première question, lit le rapport suivant :

Citoyens, Citoyennes,

La commission préparatoire au Congrès ouvrier de Marseille, en inscrivant en tête de son programme la question de la femme ;

L’assemblée générale, en accueillant avec faveur les travaux tendant à l’émancipation de la femme ;

Enfin, la commission nommée spécialement pour examiner cette question, en me chargeant de faire ce rapport et de présenter des conclusions, ont clairement manifesté leur opinion. Le Congrès proclame l’égalité absolue des deux sexes.

C’est un grand pas dans la voie du socialisme, c’est une évolution importante vers un avenir de justice et d’harmonie.

Jusqu’ici, on avait fait de la femme un esclave, une humiliée, une martyre, en tant qu’individu, une non-valeur au point de vue social.

Ces grandes Assises du travail, en proclamant l’égalité de l’homme et de la femme, empêcheront la France de rester en arrière des nations voisines, dans une question d’affranchissement ; car, il faut le dire, partout le sort de la femme s’améliore, partout sa situation tend à changer.

En Allemagne, l’instruction solide qui facilite aux femmes l’étude des hautes sciences, leur ouvre avec avantage deux carrières : la médecine et le professorat.

En Angleterre, depuis dix ans, les femmes votent dans les élections municipales et dans les comités scolaires ; elles sont à.la veille d’obtenir le droit du suffrage pour les élections législatives.

En Russie, les femmes instruites jouent le rôle le plus actif dans le grand mouvement socialiste qui s’accomplit.

Enfin, en Amérique, pays des libertés, les femmes exercent toutes les professions. Elles dirigent les écoles secondaires, les lycées de jeunes gens, elles sont médecins, elles sont avocats, elles sont banquiers, elles sont juges de paix. Dans plusieurs États, les femmes sont électeurs et éligibles, et il est même question en ce moment de porter comme candidat à la présidence des États-Unis une femme, miss Wordhwill.

La France, ce pays des préjugés, continue de garrotter les femmes avec une double chaîne de lois, de mœurs, d’usages. Elle fait cela galamment ; on couvre de fleurs les victimes comme dans les sacrifices antiques, on chante la grâce, la beauté, la bonté de la femme, on lui accorde un royaume d’amour dans une empyrée imaginaire. Cette flatterie est le fil d’or qui enguirlande la chaîne de servitude. Moins d’apothéose, plus de droits. Voilà ce que nous voulons.

Cependant, depuis quelques années une grande impulsion est donnée au mouvement des femmes en France, le vent de la rébellion semble guetter l’heure propice pour souffler du nord nu midi, et mettre debout, pour la lutte, toute cette classe de parias, les femmes. Ici, c’est une individualité féminine qui se lève pour revendiquer ses droits ; là, des groupes qui se forment pour faire de l’agitation autour de la question. Ailleurs, enfin, des sociétés bien constituées qui agissent.

Les bourgeois rient de ces tentatives d’émancipation féminine. Ces réfractaires à tonte idée de progrès qui n’a pas exclusivement pour but de leur être utile, dénient à l’esclave le droit de se relever. Les travailleurs, eux, ont tendu la main à la femme ; avec Ia justice qui les caractérise, ils ont déclaré dans ce congrès, et ce sera leur titre de gloire aux yeux de la postérité, qu’il n’y avait pas d’êtres originairement inférieurs dans l’humanité. Les travailleurs ont compris que conserver la femme esclave c’était un crime autant qu’un danger ; ils ont compris que les femmes, naturellement humaines, se mettraient du côté des réformateurs les plus hardis, et qu’ainsi les efforts des prolétaires et ceux des femmes convergeant au même but, l’application intégrale de la justice, permettraient peut-être à la révolution nécessaire d’être pacifique.

CONCLUSIONS :

Le Congrès ouvrier socialiste de Marseille, considérant tout l’avantage qu’il y a pour le prolétariat à se ménager le concours des femmes dans sa lutte contre les privilégiés, émet le vœu que l’éducation civique des femmes soit l’objet d’une attention toute particulière. Les hommes les admettront dans leurs réunions, cercles d’études, comités socialistes électoraux, où elles auront voix délibérative.

Le congrès, considérant que l’homme et la femme sont équivalents devant la nature, considérant qu’ils sont aussi indispensables l’un que l’autre à la perpétuation de la société, déclare qu’ils doivent régir ensemble cette société et partager l’exercice des mêmes droits, tant dans la vie publique que dans la vie privée.

Le congrès, partant de ce principe, l’égalité absolue des deux sexes, reconnaît au femmes les mêmes droits sociaux et politiques des [sic] hommes.

Qui dit droit, dit responsabilité : la femme doit travailler, n’étant pas moins tenue de produire que l’homme, vu qu’elle consomme, le congrès émet le vœu qu’il y ait pour les deux sexes même facilité de production et application rigoureuse de cette formule économique : à production égale salaire égal.

En ce qui concerne le travail des femmes dans les usines, fabriques, ateliers, le congrès ne devant porter atteinte à aucune liberté, ne peut qu’émettre les vœux que les systèmes établis dans les usines, ateliers, fabriques, tant pour le travail des hommes que pour celui des femmes, soient remplacés par d’autres systèmes préconisés par l’hygiène. En outre, le congrès émet le vœu, et cela dans l’intérêt de tous, qu’une division équitable se fasse dans l’ordre du travail ; qu’aux êtres faibles, hommes ou femmes, soient dévolus les travaux qui réclament de l’adresse ; aux êtres forts, les travaux qui exigent la dépense d’une grande force musculaire.

Quant au travail dans les prisons et les couvents, vouloir émettre un vœu tendant à le supprimer serait chose puérile ; ce n’est pas l’effet, c’est la cause du mal qu’il faut détruire.

Le congrès, considérant que les couvents ne sont qu’un refuge offert à la paresse et à la démoralisation conclut à leur suppression.

Le congrès considérant que les individus dangereux contre lesquels la société se garantit en les emprisonnant, sont des malades qu’il faut traiter et guérir, conclut à la suppression des prisons, cet instrument de répression honteux a une époque où l’on comprend qu’il faut moraliser et non punir.

Le congrès considérant que les préjugés qui, sous le nom de convenances, restreignent la liberté de la femme, sont préjudiciables à son émancipation, décide qu’en toutes circonstances, les femmes auront comme les hommes leur liberté d’action. Cette liberté entraînant chez elles le sentiment de la responsabilité sera une garantie de dignité et de moralité.

Le congrès considérant qu’un rôle, pour être rempli, doit relever du choix de l’individu qui le remplit, n’assigne aucun rôle particulier à la femme, elle prendra dans la société le rôle et la place que sa vocation lui assignera. Maintenant la reconnaissance des droits ayant pour corollaire l’acquittement des devoirs, le congrès émet le vœu que les devoirs inhérents à la maternité soient remplis par la mère seule, l’allaitement maternel est de rigueur à moins que, par exception, l’allaitement de la mère ne soit un danger pour la santé de l’enfant.

Le rapporteur : Hubertine Auclert.
Jean Garrigue (tailleur, Paris), Joseph Bernard (serrurier, Grenoble), Louis Goudefer (mécanicien, Saint-Étienne), Louise Meunier (couturière, Marseille), Joseph Godefroy (cocher, Paris), Louise Tardif (couturière, Marseille), Jean-Baptiste Graves (cordonnier, Marseille), Jean Lombard (ouvrier bijoutier, Marseille).

 
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